Suite du journal de campagne de Jean-Charles Perazzi
Donc, quarante ans après, Alan Stivell, en compagnie de son vieux compère Dan Ar Braz, de Nolwenn Leroy, du bagad de Saint-Malo et d'autres artistes vient de faire un nouveau triomphe à L'Olympia. Quarante ans après son fameux concert du 28 février 1972 dans la même salle. Le moins que l'on puisse dire est que ça fait chaud au cœur des Bretons. Surtout s'ils savent les tonnes d'âneries - le terme est faible - déversées à leur endroit durant deux ou trois siècles. Je ne résisterai pas au plaisir (?) d'y revenir dans une dans une prochaine chronique. Cela en vaut la peine.
On me permettra aujourd'hui d'évoquer quelques souvenirs et évènements personnels partagés avec le barde qui a contribué, comme d'autres artistes de chez nous, à faire le renom de notre pays.
Juin 1971. Rassemblés en congrès à Belle-Île-en-Mer, les jeunes du patronat breton débattent des « moyens de promouvoir l'entreprise bretonne » .
Pour animer leur première soirée, ils ont invité deux jeunes artistes qui commencent déjà à faire parler beaucoup d'eux : Alan Stivell et son guitariste Dan Ar Braz. En arrivant dans la salle, Alan découvre des invités en tenue de soirée. Il tourne les talons et remonte dans sa chambre. Yvonig Gicquel, directeur de la Chambre de commerce et d'industrie du Morbihan, l'un des organisateurs du congrès, me demande alors de jouer les intermédiaires. Stivell finit par accepter de descendre, en me disant : « Ce sera trois morceaux de harpe, rien de plus. » Sans doute le plus bref concert de sa longue carrière.
A la fin de l'année 77, dans sa vieille demeure de Kerlazen Bihan, à Langonnet, il évoque pour moi et mon compère reporter-photographe Noël Guiriec, la « Symphonie celtique » qu'il pense avoir terminée à la fin de l'année suivante. Le public, parfois quelque peu déconcerté par le contenu des huit disques déjà enregistrés - je le suis moi-même -, le sera sans doute un peu plus. Son explication : « En essayant de faire quelque chose de différent à chaque fois, j'empêche les gens qui m'écoutent de se mettre en pantoufles. »
Le chantier dure plus que prévu. En 1980, il me parle d'accouchement « long et difficile. » et ajoute, évoquant les musiciens (soixante-quinze au total) des différents pays invités à la préparation du disque : « Il faut constater qu'une civilisation menacée de mort se rétracte sur des éléments artificiels, rejette, par réflexe, des influences extérieures. Or, pour la survie d'une culture, celles-ci sont bonnes à prendre. L'essentiel est alors de savoir les digérer. » Ce jour-là, il s'indignera aussi en ces termes : « On est, paraît-il dans la patrie des droits de l'homme. En fait la démonstration est faite que l'on se fiche du désir des gens (…). Par exemple, a-t-on demandé aux habitants de Loire-Atlantique s'ils ne voulaient plus être en Bretagne ? »
En 1993, le voilà « Breton de l'année. » Il n'en n'est pas peu fier et me confie : « Trop nombreux sont ceux qui me voient comme ils voient la Bretagne : en chupenn et en sabots. Je lis souvent leur surprise et leur intérêt quand ils commencent à nous connaître. » Il se sent alors résolument « Breton d'aujourd'hui et citoyen du monde. » Sa musique en témoigne qui se mêle à l'occasion à celle du Sénégalais Doudou N'Diaye Rose, de l'Argentin Uña Ramos, du Kabyle Idir et d'autres artistes de l'ancien et du nouveau monde.
« Comment peut-on être Breton aujourd'hui? » . Après Morvan Lebesque, Alan Stivell ne cesse de donner la (bonne) réponse à cette question existentielle.
Jean-Charles Perazzi