KOAN-TABUT - DINER-DEBAT
Gant - Avec MICHEL TREGUER
Diwar-benn e levr - Autour de son livre
"Aborigène occidental"
e Ti ar Vretoned - A la Mission Bretonne
(22 rue Delambre 75014 Paris)
digwener 30 a viz Gwengolo - vendredi le 30 septembre 2005, 19h30
Habasker : Pierre-Yves Le Priol, penn-kazetenner ar gazetenn La Croix
Modérateur : Pierre-Yves Le Priol, chef de rédaction au quotidien La Croix
Priz : 20€ (pred hag evajoù), ar bilhiji zo da vezañ prenet en araok nemetken
Prix : 20€ (repas et boisson), sur réservation uniquement
réservez en ligne (paiement sécurisé): (voir le site)
Pe kasit ho chekenn da : ou envoyez votre chèque à : Skoazell Diwan Paris 374 rue de Vaugirard 75015 Paris ; a-raok - avant le 26 sept. diwanparis [at] free.fr - 01 40 19 92 51 - 06 14 39 76 76
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Michel TREGUER réunit dans sa personne d' homo sapiens sapiens du XXe siècle européen plusieurs héritages contrastés :
il est né à la pointe de la Bretagne dans une lignée populaire d'agriculteurs, de marins pêcheurs, d'artisans, de petits commerçants de village, tous bretonnants, les femmes portant coiffe ; il est ancien élève de l'École Polytechnique ; il s'est tenu à une trajectoire de free-lance ; de producteur de radio, de réalisateur de télévision, en un temps où ces nouveaux médias acquéraient progressivement sur les esprits le pouvoir qu'on leur connaît aujourd'hui ; il a rencontré chemin faisant nombre d'intellectuels et d'artistes contemporains (Lévi-Strauss, Lacan, Jakobson, Atlan, Girard, Gracq, Hartung, Rauschenberg, etc.) avec lesquels il a produit ou des films ou des livres ; fils d'instituteur public, il redécouvre à trente ans la culture bretonne qui lui avait été totalement dissimulée et décide de rapprendre la langue méprisée.
Son livre se trouve donc traversé par le grand débat, plus actuel que jamais, qui oppose, unit ou réconcilie "identité" et "universalité".
Mais il ne se réduit pas à un essai partisan. Le récit ne croise cette " dispute " collective qu'en contant la destinée singulière d'un aborigène occidental…
Nombre d'acteurs de la scène française et bretonne sont évoqués " à découvert ". Aborigène occidental voudrait être une entreprise de vérité. C'est un livre " politiquement incorrect " qui appelle un chat un chat.
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Mille et une Nuits / Fayard présente ABORIGENE OCCIDENTAL (achetez ce livre en ligne)
extrait :
" Un homme n'est pas qu'un organisme biologique, c'est un être parlant. Il est l'addition d'une machinerie de cellules et d'une culture essentiellement portée par une langue. C'est à la fois facile à énoncer et assez difficile à penser : l'autonomie de la personne lui donne des "droits" à la vie, à la liberté - ce qui a une saveur spéciale pour les femmes - mais cette entité souveraine n'advient que par le canal d'une culture qui, elle, est une réalité collective en quelque sorte "dépendante". Autrement dit, pour formuler les questions premières qui permettent à un individu de se penser lui-même - qui suis-je? où suis-je ? est-ce que je vois un extérieur ou bien est-ce que je rêve à l'intérieur ? est-ce que le monde existe ? - il faut avoir déjà rencontré les autres. Une langue n'est pas qu'une prison ; elle est aussi l'outil nécessaire de tout développement, de toute libération, la voie d'accès aux grands espaces des valeurs universelles ; il n'y a pas d'autres chemins, telle est la nature humaine. Chacune "formate" ses locuteurs, lui impose des visions, des concepts, des croyances spécifiques. Mais toutes peuvent déboucher sur des horizons planétaires communs : il n'existe pas de valeur humaine qui ne soit accessible à une langue donnée, quand ce serait au prix d'une évolution, de la création de néologismes.
C'est par ce que nous avons de plus propre que nous sommes entés sur l'universel (Merleau-Ponty). Le caractère commun le plus important de l'humanité est le particularisme (Michael Waltzer).
Un enfant de sept ans qui n'a pas été initié au langage ne parlera plus, son cerveau se trouvera irréversiblement câblé, retenu dans le monde pré-humain de l'animalité. La langue paraît presque s'inscrire dans le corps aussi physique-ment que des organes biologiques, jusqu'à modeler le larynx, le palais, les lèvres, pour ne rien dire du cerveau. De nouvelles expériences françaises et américaines viennent de confirmer que, dès ses premières heures de vie, alors même qu'il n'émet encore que des vagissements, un nourrisson reconnaît, non pas seulement la voix de sa mère, mais aussi son idiome, différencie des phonèmes très proches, se trouble si on lit à l'envers la bande d'un enregistrement, etc. La transmission, par les parents aux enfants, du monde tel qu'il est et tel qu'il a été est une nécessité constitutive de l'être humain. Un manquement à cette obligation produit des êtres égarés, chargés d'une identité haïe ou bien abandonnés à leur solitude dans un désert culturel ; il laisse béante une faille douloureuse et demande réparation.
Mais la Bretagne renouvelle le problème et en redouble la complexité en générant, depuis un siècle environ, une catégorie particulière d'humains qui revendiquent comme leur une langue… dans laquelle ils n'ont pas été élevés ! mais qu'ils entreprennent de "rapprendre". On aurait tort de réduire cette démarche à un caprice folklorique ou à une volonté politique : un si gros travail ne résisterait pas à une motivation aussi faible. Au demeurant, le nombre de ces courageux est trop réduit pour qu'on puisse parler d'une stratégie quelconque. Il s'agit vraiment d'une quête personnelle de survie.
Cela dit, il est important d'ajouter deux points, qui éloignent le danger de fermeture. D'une part, la culture dispensée à l'enfant a un caractère aléatoire qui n'est pas sans faire penser à "l'arbitraire du signe" en linguistique : un bébé de Plozévet arraché à ses parents bigoudens et transporté en Chine dans ses premiers jours deviendra vite un parfait Chinois culturel. S'il existe bien un monde indépendant de nos perceptions humaines, peu importe qu'on dise arbre, tree ou gwez : l'essentiel est qu'on puisse se représenter le réel et dialoguer avec lui.
D'autre part, cette culture et cette langue qui sont pour chacun de nous constitutives de son être tout autant que ses gènes, notre héritage occidental tant chrétien que révolutionnaire réclame qu'il soit permis à un individu de les rejeter. Chacun de nous veut être libre, mais il ne peut pas vivre seul. Chacun veut s'arracher à la dictature de ses pères, se libérer des carcans de sa culture maternelle ; mais ces mêmes pesanteurs sont les soleils de sa nostalgie et les logiciels qui lui permettent de penser. Il faut donc prendre garde de ne pas imposer au niveau collectif des mutations qui peuvent
être légitimes dans la trajectoire d'un être particulier. Un individu peut choisir de muer, de partir ; faire muer ou émigrer tout un peuple, c'est l'aliéner, c'est le déporter. Il n'y a sans doute pas, en ce monde, à l'aube du troisième millénaire, de plus difficile ni de plus passionnant paradoxe que celui qui s'exprime ainsi : Si l'on n'y prend garde, la libération de l'individu se paie de la destruction des cultures. Or, il n'y a pas d'individu sans culture.
Pour faire un homme, il faut un corps et une culture. Le premier pas du racisme consiste à l'enfermer dans cette double appartenance : aux yeux des nazis, il suffisait que l'on fût juif ou tsigane, quels que soient ses mérites personnels, pour n'être plus que volume à détruire. Mais la négation de sa culture est une autre forme de destruction de l'individu : dans les hôpitaux psychiatriques finistériens, on rencontre des bretonnants de naissance qui délirent en présence du personnel francophone de l'établissement mais qui retrouvent toute leur raison si un visiteur leur adresse la parole en breton.
André Leroi-Gourhan a fait remarquer que la variété des cultures, donc des comportements, est une caractéristique de l'espèce humaine. Tous les tigres sont les mêmes : ils chassent, mangent, dorment et se reproduisent. Mais chaque homme est différent, et, à un autre niveau, chaque peuple : cette différence participe de leur humanité. Les langues sont, comme les espèces biologiques, des inventions de la Vie, lentement déposées et cristallisées au fil de hasardeux millénaires. À chacune correspond une vision du monde originale et globale qu'aucun auteur humain n'aurait imaginée. Attenter aux langues, les laisser mourir est un impardonnable crime contre l'humanité sinon contre les hommes, et, au-delà d'elle, contre la Création toute entière : c'est un déicide. Les vicissitudes de l'Histoire ont pu donner au centralisme des souverainistes français, pendant un siècle ou deux, une couleur progressiste : à l'aune des millénaires, il n'est qu'une sombre bêtise réactionnaire témoignant d'une myopie philosophique et d'une misanthropie crasse confinant au racisme. À l'inverse, il arrive au rêveur que je suis d'imaginer que l'UNESCO organise la sauvegarde de toutes les langues menacées de la planète en proposant à chacun d'entre nous d'en apprendre au moins une, de lui aménager le refuge de ses neurones. Pour être citoyen du monde à part entière, il faudrait parler, en plus de sa langue maternelle, le dialecte nambikwara d'un recoin du Matto Grosso, ou celui d'un groupe aborigène d'Australie, ou le verlan gaélique des tinkers gitans du Donegal irlandais, ou la variante léonarde d'un hameau de Kerlouan… "
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