Après un an de travaux et 1,5 M € d'investissement, le château de Fougères construit du XIe au XVe siècle vient de ré-ouvrir ses portes au public, agrémenté d'un parcours scénographique et audio-visuel (1) relatant les moments historique majeurs de son histoire et de celle des marches de Bretagne. Un film de 15 mn à l'entrée en guise d'introduction, trois cents audio guides en cinq langues (italien, espagnol, anglais, allemand, français), dix-neufs heaumes fixés à des lances en métal et répartis dans l'enceinte du château où on peut y voir une image du château tel qu'il était au Moyen Âge, deux salles de la tour Mélusine où il est question de l'An Mil et de la fée Mélusine adoptée par la famille de Lusignan comme fée protectrice du château au XIIIe siècle, la Tour Surienne qui présente la vie de Fougères dans une rue médiévale au XVe siècle jusqu'à son attaque surprise et sa mise à sac par le mercenaire François de Surienne (2) au service des Anglais, la Tour Raoul II où est relatée le couronnement du Duc de Bretagne François II, puis la prise de Fougères par l'armée française en 1488 suivie de la bataille de Saint-Aubin du Cormier… Bravo !
Nous aimerions avoir de tels moyens sur le site de bataille de Saint-Aubin du Cormier, que nous continuons à protéger contre toute nouvelle et éventuelle « agression jacobine » , et où les pouvoirs publics, après avoir renoncé en 2001 à y implanter un site d'enfouissement d'ordures ménagères, n'ont pas encore compris l'importance d'y développer une dynamique touristique et culturelle dans le respect des lieux, tels nos amis Écossais à Culloden, où ailleurs en d'autres sites de batailles européennes !
Certes nous avons appris par voie de presse (Ouest France du 4/9/2009), que les élus de Vitré venaient de lancer l'idée de proposer un classement au patrimoine mondial de l'Unesco, de la frontière franco-bretonne dite Marches de Bretagne, jalonnée de multiples forteresses et sites remarquables du nord au sud, vingt-et-un d'après le premier répertoire dressé par un comité scientifique d'experts et d'historiens… Tous les maires semblent partants, et Saint-Aubin du Cormier en faisant partie, nous ne pouvons qu'esquisser un sourire en pensant à un tel projet si nous ne nous étions pas opposés à celui, profanateur, du début de ce siècle et millénaire : nous voyons mal l'Unesco classer des Marches de Bretagne où l'un des lieux majeurs eût été transformé en déchèterie… Aurons nous un jour un seul remerciement ou signe de reconnaissance de la part de ces décideurs à qui, malgré eux, nous avons épargné le déshonneur historique d'avoir commis l'irréparable ? J'en doute fort, bien sûr ! Mais bravo tout de même pour ce revirement spectaculaire et bénéfique pour les deux départements du 35 et du 44, comme pour la Bretagne tout entière !
De mon côté, chat échaudé craignant l'eau froide, je me suis rendu en simple et anonyme visiteur, au château de Fougères, afin de constater par moi-même la forme et surtout le fond de ce nouveau parcours scénographique, son esprit dominant, soit emprunt d'objectivité, impartialité que nous serions en droit d'attendre, ou bien de révisionnisme anti-breton comme nous en avons tant l'habitude… Après visite, mon avis reste mitigé quant au fond : ni objectivité ni révisionnisme, mais une légère tendance intermédiaire au parti pris discret mais réel pour le camp français, celui qui subventionne sans doute, plutôt que le camp du peuple qui règle la note. Je me suis permis à suivre, de donner mon avis par courriel à la ville de Fougères, à monsieur Jean Hérisset, directeur du service du patrimoine, plus exactement, dont j'avais le courriel sous la main… Pas de réponse. Un second, et toujours pas réponse… Je décide alors d'écrire cet article, pour informer mes compatriotes, et je redonne ci-dessous ces deux courriels maintenant ouverts :
Courriel 1 : « Monsieur Jean Hérisset, N'ayant pas le mail de votre historien, monsieur Cintré, je m'adresse à vous pour vous féliciter de vos explications sur la bataille de Saint-Aubin du Cormier dans votre nouveau parcours historique du château de Fougères : il y est clairement dit que cette bataille sonne le glas de l'indépendance bretonne, et que le nombre de morts côté breton s'élève à 5 ou 6.000, et peut-être plus... Cette vérité clairement dite vous honore, car quand nous nous battions en 2000 et 2001 contre le projet profanateur sur le champ de bataille, (projet dans lequel votre ville était partie prenante à travers Monsieur Guichaoua, vice-président du Sitcom de Fougères à l'époque), cette vérité semblait taboue dans les rangs des pouvoirs publics de tous bords... Merci donc, pour la Bretagne et la vérité historique ! Par ailleurs, les chiffres des combattants du 28 juillet 1488 ne sont pas donnés, (11.500 côté breton et 15.000 côté français), et la composition des armées en contingents étrangers reste floue...
Je comprends tout à fait qu'il soit difficile de rentrer dans les détails, dans un parcours grand public, mais je tiens quand même à m'étonner du seul chiffre que votre montage audio-visuel avance : celui des archers anglais évalué à 2.000! En fait ils étaient 440 (Veuillez à ce sujet consulter mon article sur ABP, dont je vous donne le lien ci-dessous), et la différence s'explique par une lubie du Maréchal de Rieux, qui ordonna à de nombreux Bretons de son armée de troquer le hocqueton orné de la Kroas Du des Bretons, contre celui de la Croix rouge anglaise (de Saint-George)... et ce pour impressionner les Français, dont le souvenir d'Azincourt était encore vivace... L'effet fut le contraire, qui enragea les Français et fit que de nombreux Bretons furent massacrés cruellement comme étant des anglais...
Bien à vous! Jean-Loup LE CUFF
Le lien: (voir le site)
Courriel 2 : « Monsieur Jean Hérisset, Je me permets ce second mail pour vous exprimer en toute franchise un petit détail qui me chiffonne (vous ne m'en voudrez pas puisqu'il va dans le sens de "l'objectivité" ou du moins de la neutralité entre les deux camps français et breton) : Si je n'ai effectivement pas noté d'éléments "révisionnistes" dans votre parcours audiovisuel au château, et je vous en ai félicité dans mon mail précédent, j'ai tout de même noté un parti pris français appuyé. En effet, la voix off semble reprendre un texte français de l'époque puisque la mort du Duke of Scales, Edward Woodville, y est rapportée crument, où le commandant du contingent anglais de l'Île de Wight y est qualifié de "porc". Un point de vue breton aurait plutôt parlé de son courage et de sa mort héroïque.
Dans un autre montage audio-visuel, il est question de troubles chaotiques dans la population civile bretonne, où l'insécurité semble totale, légitimant par là, comme de façon "subliminale" auprès du grand public visiteur, l'annexion future de la Bretagne par la France, pour son plus grand bien sans doute ! Nous aurions au contraire aimé entendre une autre vérité indiscutable : celle d'une Bretagne pacifique, marchande, riche et prospère, respectée et enviée chaque fois que son indépendance était physiquement respectée, c'est-à-dire en dehors des invasions normandes, puis anglaises et françaises... La vérité historique, approchée au plus près, aurait même consisté à expliquer que la guerre d'annexion livrée par la France en Bretagne, à partir de 1487 fut une guerre dure, d'usure, où la population civile bretonne a beaucoup souffert des pillages, meurtres, viols et toutes exactions inhérentes à la guerre... de la part de l'armée royale française.
Nous disposons de nombreux textes indiscutables là-dessus, notamment ceux cités par L. Grégoire dans "Revue des Provinces de l'Ouest", tome 1, p.68. (Documents cités de la bibliothèque de Nantes). Ces écrits destinés à effrayer la population bretonne et à obtenir sa soumission, dans une propagande française en Bretagne en 1488, avant la bataille de Saint-Aubin du Cormier, sont tout à fait clairs sur les méthodes françaises de l'époque...
Voilà, peut-être que mes remarques pourront faire évoluer vos montages audio-visuels vers plus d'impartialité, où, sans prendre exclusivement le parti de la Bretagne, vous pouvez l'exposer en parallèle à celui de la France, pour plus de neutralité dans un souci de plus grande vérité historique ? J'ose l'espérer. Dans l'attente de votre réponse, je vais sans doute rédiger un article d'information équilibré pour nos compatriotes. Comptant sur votre compréhension, Cordialement. JLLC
PS : Les chiffres de la bataille de Saint-Aubin du Cormier ont été repris par notre guide au château, où il a confondu le nombre des morts (6.000 dont 2.000 Anglais (sic !)) avec celui des combattants (6.000 au lieu de 11.500 côté breton !!!) Je lui en ai fait la remarque... Il m'a aussitôt répondu en se retranchant derrière les diplômes de votre historien conseiller... Avec le sourire, je n'ai pas insisté... »
Suite à ces deux messages ouverts pour info, pour contrebalancer l'injure faite à la mémoire d'Edward Woodeville dans cette exposition, et pour redire que lui et ses hommes sont morts en héros dans nos rangs, je ne saurais que vous conseiller de relire l'intégralité de la fameuse et longue ballade composée au début du XXe siècle par le poète anglais de l'Île de Wight Percy Goddard Stone, traduite et publiée par le marquis de Beauchesne dans la « Revue de Bretagne » en novembre 1911, et reprise dans « Sentinelle de la Bretagne » en 1988 par Yann Bouëssel du Bourg, et dont voici deux trois strophes sur les cinquante deux qui la composent :
« Wydeville n'a jamais tourné le dos A l'ennemi dans la bataille meurtrière ; Le bras de Wydeville ne s'est jamais détourné Au milieu du cliquetis de l'acier et de l'emportement de la bataille Là où les épées et les haches font leur œuvre…
… Mais sans cesse à mes oreilles retentit le cri de notre capitaine, Et toujours je crois le voir, baigné dans son sang, Sur le champ de bataille piétiné Tomber tout d'un coup pour mourir !
Et malheur, malheur, femmes de Wight : Unissons tous ensembles nos lamentations ; Pleurez ces vaillants héros, vos maris et vos fils, Qui moururent pour soutenir la cause de Wydeville, Dans la lointaine Bretagne !»
Je tiens également à signaler qu'à ma connaissance, aucun « Gwenn ha Du » ne flotte sur la mairie de Fougères, et sur le château non plus, pas le moindre « Champ d'Hermines Plein » ni le moindre « Kroas Du » , drapeaux pourtant contemporains de ce magnifique lieu de mémoire de l'Histoire Bretonne. Un jour peut-être ?
Note 1 : Les trois personnes qui ont réalisé cette scénographie sont la scénographe Agnès Badiche (agence In Site), l'architecte Régis Ribet (agence Soft Age), l'historien René Cintré (enseignant à Fougères). Les deux premiers ont notamment imaginé les aménagements de la tour du port de La Rochelle et du château de Nantes. Le troisième mène depuis 1971 des recherches sur la guerre franco-bretonne et ses conséquences sur les populations et sur le rôle des Marches de Bretagne.
Note 2 : Le mercenaire François de Surienne dit l'Aragonais, a mené en l'an de grâce 1449, dans la nuit du 24 au 25 mars, une attaque surprise de Fougères pour le compte des Anglais : L'assaut a été mené depuis une tour de l'enceinte urbaine par une équipe d'écheleurs. Il reste des vestiges de cette tour dite de la surprise, en bas de la bibliothèque. Les assaillants n'étaient que 600 hommes face aux 4.000 habitants de Fougères surpris dans leur sommeil. En effet il n'y avait pas de gardes à ce moment précis dans la ville, car depuis 1415, le conflit franco-anglais ou guerre de cent ans (qui a débuté le 7 octobre 1337) se résumait à une guerre d'occupation de la Normandie. Côté breton, une sorte de trêve était alors en vigueur. Cette attaque anglaise, secrètement préparée, a été vécue comme une véritable traitrise par le Duc de Bretagne François Ier, qui avait sagement joué jusque là le jeu de la neutralité entre les royaumes de France et d'Angleterre. Piqué au vif, il se rallie au Roi de France pour l'aider à reconquérir la Normandie et vaincre les Anglais en 1451 à la bataille de Formigny. A suivre, les Français peu reconnaissants envers les Bretons, comme toujours, ont profité d'avoir été libérés du danger anglais pour se retourner contre cette riche Bretagne toujours indépendante, et l'envahir trente six ans plus tard… Nous pouvons donc dire que cette traîtresse attaque de Fougères par les Anglais a indirectement entraîné l'annexion de la Bretagne par la France !
(Pour l'anecdote, au moment même où les pouvoirs publics jacobins voulaient enterrer l'histoire Bretonne sous les ordures à Saint-Aubin du Cormier, le cinq centième anniversaire de la bataille de Formigny était fêté à grands renforts de subventions au travers d'une reconstitution spectaculaire de la bataille… Que voilà deux traitements forts différents pour deux batailles contemporaines !)