La capitale du Pays de Galles est en train de devenir bilingue. Il existe à Cardiff 16 écoles primaires dans lesquelles la langue galloise est la langue d'enseignement et deux autres doivent ouvrir à l'automne. On estime que 20 % des enfants qui sont entrés dans le système scolaire en septembre dernier, l'ont fait dans des écoles primaires de langue galloise. Ce chiffre devrait augmenter rapidement au cours des années à venir. En septembre 2012, un troisième lycée de langue galloise devrait ouvrir ses portes à Cardiff.
La population de Cardiff est de 305.340 habitants. Aussi, si nous nous projetons dans l'avenir, nous pouvons augurer d'une solide progression de la langue galloise. Et la situation s'améliore continuellement, non sans une certaine opposition aux plans progressistes du Parti Libéral qui gère la ville. Le nombre des collèges de langue anglaise diminue en raison des taux de natalité qui déclinent, laissant des places vides dans les salles de classes de langue anglaise tandis que la demande d'une éducation en langue galloise garantit la croissance des écoles en gallois.
Dans le passé, c'est dans le secteur de Rhondda et de Pontypridd que s'est surtout produite la croissance de l'enseignement en gallois. À Pontypridd, un tiers (33 %) des enfants de 4 à 6 ans fréquente des écoles de langue galloise. Pontypridd est la ville la plus importante de la circonscription de Rhondda-Cynon-Taf et pourtant, il y a cent ans, c'était la ville la plus anglicisée du Sud-Est industrialisé du Pays de Galles. Dans le secteur de Rhondda, près d'un quart (25 %) des enfants d'âge scolaire est scolarisé en gallois. Cynon ne fait pas aussi bien.
Mais il n'y a guère eu de développement dans la circonscription de Rhondda-Cynion-Taf depuis au moins 15 ans, bien que les écoles en langue galloise soient pleines à craquer et contraintes de refuser des élèves, tandis que de nombreuses écoles en langue anglaise sont à moitié vides. Les politiciens locaux répugnent à fermer des écoles alors que, dans les grandes zones urbaines, ce sont les écoles en anglais qui voient le nombre de leurs élèves diminuer.
Globalement, les chiffres de l'enseignement en gallois dans le Sud-Est densément peuplé du Pays de Galles sont encourageants. On observe une croissance continue dans le Gwent. Dans d'autres secteurs, comme ceux de Merthyr et Swansea, la situation n'est pas aussi brillante et il y a des difficultés dans beaucoup de zones rurales traditionnellement de langue galloise, du fait de l'arrivée de nombreux migrants venant d'Angleterre, qui sont souvent, sinon presque toujours, assez hostiles à la langue galloise.
Curieusement, il y a eu peu de recherches faites sur les raisons qui poussent tant de parents qui ne parlent pas gallois eux-mêmes - on dit souvent que c'est le cas de plus de 90% des parents dans les écoles de langue galloise - à envoyer leurs enfants dans des écoles où ceux-ci reçoivent un enseignement dans une langue qu'eux-mêmes ne parlent pas. M. Huw Thomas, ancien directeur de Ysgol Gyfyn Cwm Rhymni (le collège d'enseignement général gallois de la vallée de Rhymney), est la seule personne que je connaisse à avoir rassemblé des données sur les motivations des parents.
Était-ce les perspectives d'emploi en sortant de l'école ou l'excellente réputation dont jouissent universellement les écoles de langue galloise ? Les écoles de langue galloise ont indiscutablement de bien meilleurs résultats que toutes les écoles de langue anglaise au Pays de Galles, exception faite de quelques écoles privilégiées, généralement privées. M. Huw Thomas a découvert avec surprise que la grande majorité des parents voulaient simplement que leurs enfant soient capables de parler gallois, ce dont ils avaient eux-mêmes été empêchés.
Les Britanniques - en très grande majorité anglais - ont un problème avec les langues. Peut-être est-ce dû au fait que l'anglais, exception faite de son orthographe très particulière, est facile à apprendre pour les autres. L'enseignement de la grammaire anglaise est négligé et les monolingues anglais ont en général tendance à ne pas très bien comprendre les bases de la grammaire. Ceci ne prédispose pas les élèves plus âgés, ni les adultes, à apprendre une nouvelle langue. Et comme l'anglais (basique) est une langue très utilisée dans le monde, il ne voient pas l'intérêt d'en apprendre une autre et estiment qu'ils n'ont pas à s'en préoccuper.
Ajoutez à cela les conceptions confuses exprimées très récemment par des politiciens anglais de premier plan. Deux anciens ministres de l'éducation - Estelle Morris et Ruth Kelly - ont déploré l'incapacité des écoliers anglais à apprendre une langue étrangère. Deux autres politiciens - David Blunkett et Ann Cryer - ont parlé de "l'impact négatif" qu'aurait pour des enfants le fait de grandir en parlant à la maison une langue différente de celle pratiquée à l'école. Ils pensaient aux communautés asiatiques vivant en Angleterre. Il ne leur serait jamais venu à l'idée de prendre en compte l'expérience galloise ! Ils auraient tout de même pu s'intéresser aux recherches faites dans les communautés asiatiques en Angleterre.
Une étude menée à Leicester par Arvind Bhatt a révélé que le bilinguisme améliorait les performances éducatives globales des enfants en les amenant à une utilisation plus subtile de la langue et en améliorant leurs talents à communiquer. Blunkett et Cryer fondaient leur opinion sur une théorie dépassée selon laquelle les enfants ne pouvaient apprendre qu'une seule langue à la fois et que l'apprentissage d'une langue maternelle interférait avec l'anglais. Cela fait 50 ans déjà que des éducateurs éclairés au Pays de Galles ont rejeté cette théorie !
Une autre étude menée à Watford a démontré que des enfants bilingues apprenaient à lire en plus d'une langue à la fois. J'ai moi-même appris à lire le gallois, une langue phonétique (qui s'écrit comme elle se prononce), et j'ai commencé à lire l'anglais à l'âge de huit ans. La même chose est arrivée à mes enfants et maintenant, à nouveau, à mes petits-enfants. Le fait de parler une langue phonétique les aide à comprendre le mécanisme de la lecture. L'anglais, en raison de son orthographe étrange, peut être difficile pour de jeunes lecteurs et l'alphabétisme - ou l'analphabétisme - est un sujet permanent de discussion en Angleterre.
La recherche faite à Leicester a montré que les jeunes Asiatiques ont tendance à obtenir de meilleurs résultats scolaires que la moyenne des élèves. Les compétences qu'ils acquièrent et développent dans leur propre langue, leur servent dans d'autres domaines. Un autre étude a montré que des enfants de onze ans se débrouillent généralement mieux que des enfants monolingues anglais de milieu social similaire, s'ils parlent couramment un dialecte du Gujarati ou l'urdu, qu'ils utilisent dans un cadre religieux.
En 2004, Madame Anne Dowker, enseignante à Oxford, a montré que des enfants bilingues scolarisés en gallois bénéficiaient d'un avantage initial dans l'apprentissage des mathématiques de base. J'ai personnellement fréquenté une école secondaire dans une région très majoritairement de langue galloise. Nous recevions un enseignement en anglais mais la langue parlée à la maison et dans la cour de récréation était le gallois. Ce très petit établissement - qui comptait au total 380 élèves et était à la fois collège et lycée - a produit chaque année et produit encore, je pense, des étudiants qui sont devenus d'excellents mathématiciens et physiciens. Ce qui laisse penser qu'il y a un lien entre le bilinguisme précoce et l'intelligence.
Il ne peut y avoir qu'un moyen pratique de faire devenir bilingues des enfants à l'âge de cinq ans, c'est de tirer pleinement profit de toute langue parlée à la maison ou dans la communauté. Il peut s'agir d'une langue provenant d'une autre région du monde - en Grande-Bretagne, il peut ainsi s'agir d'une langue du sous-continent Indien, du chinois, du cantonais ou du polonais. Et a fortiori d'une langue indigène comme le gallois ou le gaélique.
Je n'ai jamais compris pourquoi la France avait toujours été aussi négligente et même hostile envers ses langues régionales. Elles pouvaient présenter un problème à l'époque de la Révolution française quand la moitié des 20 millions d'habitants du pays ne parlaient pas le français et que 4 autres millions ne le maîtrisaient pas bien. Mais le fait d'avoir persévéré dans une attitude négative à l'égard du breton, du basque, du provençal et d'autres langues, est impardonnable. Un enfant éduqué en provençal et en français dispose de très bons atouts pour parler couramment le catalan, l'italien, l'espagnol et le portugais.
Il y a un tel gisement de mots communs à de nombreuses langues que plus une personne peut parler de langues plus elle puise dans ce gisement et avec une compréhension plus poussée de la grammaire acquise par ces expériences, elle ne peut que comprendre et acquérir plus facilement d'autres langues. Aussi petit soit le nombre de locuteurs d'une langue, sa valeur pratique et culturelle est incalculable pour chaque individu.
Je pense au Pays de Galles. Pour un pays dont la population est inférieure à 3 millions de personnes, il produit un très grand nombre d'acteurs, de chanteurs et de gens qui ont brillé dans les arts du spectacle. Bien souvent, ils étaient de langue galloise : Richard Burton, Geraint Eans, Bryn Terfel et c'est toujours vrai, dans la nouvelle vague des stars qui émergent à Hollywood, avec Ioan Gruffudd et Matthew Rhys par exemple. Il y en a beaucoup d'autres connus seulement en Grande-Bretagne aujourd'hui comme Aled Jon, Conni Fisher et Rhydian Roberts. La culture et la communauté de langue galloise ont stimulé et mis en valeur leurs talents. On peut certes discuter sur le fait que la langue galloise et la culture qu'elle véhicule, les ont aussi aidés à l'exporter leurs talents. Mais elles ont certainement contribué à les enrichir personnellement.
Il y a aussi d'autres arguments en faveur du bilinguisme. Des chercheurs ont constaté que les personnes bilingues préservaient beaucoup mieux leurs facultés mentales à un âge avancé que la majorité des gens ne parlant qu'une seule langue, et qu'elles étaient de fait moins exposées à des problèmes comme la maladie d'Alzheimer à la fin de leur vie. La chercheuse canadienne Ellen Bialystok est arrivée dans une autre étude, en 2004, à la conclusion que les personnes qui avaient été bilingues durant la plus grande partie de leur vie, étaient davantage capables de se concentrer sur des tâches complexes.
Pour les personnes âgées, elle a souligné que "le bilinguisme apparaissait offrir de larges avantages parmi une série de tâches cognitives complexes." Elle a constaté que, lorsque les personnes vieillissent, elles trouvent généralement plus difficile de se concentrer sur une tâche. "L'expérience d'avoir géré durant toute une vie deux langues ralentit le déclin dû à l'âge" a-t-elle ajouté. Son travail confirme d'autres recherches qui montrent que le cerveau, de la même manière que les muscles, grandit et se développe quand on l'en sert et s'atrophie quand on le néglige.
Pour beaucoup de gens, acquérir la bonne maîtrise d'une autre langue au lycée ou à l'âge adulte est un travail difficile. Il faut en effet avoir l'esprit analytique d'un savant, l'oreille d'un musicien et la patience de Job.
Nous avons besoin de linguistes et de la connaissance des langues - le chinois, d'autres langues d'Asie, des langues de l'est de l'Europe... autant que des langues européennes traditionnelles. L'apprentissage des langues ne peut être mené facilement et efficacement que quand les enfants sont pris à un âge très jeune. Et n'oublions pas le lien entre le bilinguisme précoce et l'éveil de l'intelligence. Là où il existe des langues indigènes - langues minoritaires ou autres - parlées par des gens dans diverses régions de France, de Grande-Bretagne et du reste de l'Europe, il y a une ressource qui devrait être utilisée et promue. Dans l'intérêt de notre intelligence, de notre santé mentale aussi bien que des cultures.
Gwyn Griffiths
Traduction: Bernard Le Nail. ( voir notre article ) en anglais.