I / Résultats chiffrés de l’enquête :
A partir de cet été, l’association Bemdez diffusait un avis à la population concernant l’avenir des sites mégalithiques de Carnac.
Arrêté à la date du 25 décembre, nous dressons désormais un bilan définitif de cette concertation :
263 réponses nous sont parvenues ;
34 réponses sont favorables à un projet d’aménagement défini par le ministère de la Culture avec parfois le concours de la Région ou / et du département du Morbihan ;
2 réponses neutres ;
227 réponses s’opposent à un quelconque projet de réaménagement par l’État dont 204 contre tous les projets de réaménagement d’où qu’ils proviennent !
Nous obtenons donc 23 esquisses de contre-projet.
II / Motivations des votants :
a/ Les défenseurs du projet de l’Etat :
La plupart d’entre eux mettent en avant l’intérêt de trouver les moyens nécessaires pour mettre en valeur ce patrimoine historique lors de l’afflux touristique estival. L’argument économique est à peine dissimulé de cette manière. Un habitant de Sarzeau évoque même la manne qu’offrirait un « Karnak » breton (allusion au célèbre site de pyramides en Égypte).
A travers un projet piloté par l’Etat, il s’agit de voir la création de nouveaux emplois. Ce plan générerait des postes diversifiés de « surveillants, conservateurs et employés de musée, chercheurs, et commerçants ».
L’argument écologique est souvent avancé parmi les personnes confiantes dans l’actuel projet de réaménagement puisqu’ils y voient le blocage d’un large périmètre dans le but de protéger les sites. Selon des avis, un périmètre protégé ne doit pas empêcher le développement de complexes immobiliers tout autour car seuls les sites des alignements doivent dans ce cas être pris en compte dans une protection qualifiée de « naturelle ». Les alentours importent donc peu pour ces derniers. Les grillages mis en place à cet effet doivent continuer à juguler l’afflux touristique en périphérie. L’entretien des parcelles closes se ferait de la manière la plus écologique qu’il soit grâce aux moutons déjà présents sur certains sites.
Enfin, dans ce camp, la concertation a eu lieu et il est inutile d’y revenir. Treize personnes regrettent l’ancien projet et cinq accusent les associations regroupées au sein du collectif Holl a-gevret d’avoir empêché de le rendre effectif.
b/ Les « neutres » :
Ils ne sont qu’au nombre de deux et ont la particularité d’être peu loquaces.
Leurs positions s’accordent et reflètent probablement une grande partie de la population mal informée :
1 / Il faut attendre de connaître précisément les desseins de l’Etat ;
2 / Un consensus est possible ;
3/ il faut conserver des grillages plus discrets avec ouverture partielle au public et au moins un centre d’accueil.
c/ Les opposants au projet :
Nous avons listé les critères qui motivent leur position. Chaque réponse argumentée s’élevant contre l’actuel projet de réaménagement des sites des alignements mégalithiques comporte un ou plusieurs des points ci-dessous :
1/ nostalgie du passé lorsque l’accès était libre ;
2/ sentiment de confiscation du patrimoine culturel, naturel et historique au profit de l’intérêt d’une minorité ;
3/ mystère sur le devenir des maisons anciennes ;
4/ mise en danger des commerces du bourg de Carnac par le développement d’un nouveau pôle commercial. Le bourg de Carnac serait « pris en tenaille » entre deux secteurs d’activités commerciales, soit Carnac-Plage au sud et le spectre de centres commerciaux au nord par le développement d’un « Menhirland ».
5/ disparition programmée des activités professionnelles diversifiées et des petits commerces liés aux sites par l’expropriation des exploitations agricoles et la déviation des routes existantes ;
6/ développement de l’emploi précaire si l’économie locale est sacrifiée au tourisme de masse (par des secteurs d’emplois liés à des activités saisonnières) ;
7/ la perte de la gratuité des sites (« notre patrimoine est mis aux enchères » explique une étudiante en histoire) ;
8/ une exploitation commerciale des sites entraînerait leur destruction et défigurerait le paysage (bâtiments d’accueil, billetteries, bureaux, salles de réunion, auditorium, boutiques, cafétéria, sanitaires, logements du personnel, hôtels sont mentionnés) ;
9/ la mauvaise foi démontrée de M. Heulot et des autorités publiques rendent impossible une totale confiance dans l’avenir (leur compétence est aussi souvent remise en cause et le désaveu de M. Aillagon, ministre de la Culture, à M. Heulot et à l’équipe pilote est mainte fois rappelé) ;
10/ il faut mettre un terme au gaspi d’argent public engagé depuis 12 ans au nom du « réaménagement ».
III/ Les points de concorde et de discorde :
Dans une concertation, il convient de dégager les principaux vecteurs d’entente afin de jeter les bases d’une proposition concrète et raisonnable. Il a été difficile de trouver ce « terrain d’entente » dans les avis qui nous sont parvenus car, nous l’avons vu, nombre d’entre eux expriment un refus de tout projet d’aménagement alors que, dans le camp des partisans du réaménagement en cours, ils reposent sur des hypothèses d’un projet que nul ne connaît !
a/ base d’une entente :
Voici les points plus ou moins argumentés sur lesquels on peut estimer que des avis des deux camps s’accordent :
La protection est nécessaire ;
La surveillance est à maintenir ;
L’information des visiteurs est importante ;
Répartition des touristes sur différents sites pour éviter la concentration sur des zones naturellement fragiles (la notion de répartition diverge énormément selon les points de vue : il s’agit pour les uns de mettre en valeur différents lieux historiques carnacois, comme les tumulus, dolmens, villages et chapelles, pour les autres de « parquer » les visiteurs dans des structures du type de l’ancien belvédère par exemple) ;
L’éventuelle mise en place de structures d’accueil ou autres ne doit pas défigurer le paysage ;
Le site devrait être classé comme patrimoine de l’humanité.
b/ Divergences :
Les principaux points de désaccords sont exprimés comme suit :
Exploitation commerciale ou non des sites (la notion de développement de structures immobilières y est incluse) ;
Tout tourisme ou pérennité des diverses activités professionnelles ;
Grillages ou non. Derrière le problème matériel posé par la présence contestée des grillages, se pose celui de la méthode de préservation du couvert végétal dans les périodes de grande affluence. Soit l’environnement des alignements mégalithiques est protégé par l’accès interdit ou limité de certaines zones afin de laisser officiellement « travailler la nature », soit d’autres moyens sont mis en œuvre comme la recolonisation rapide du couvert végétal en replantant et en incluant des barrières végétales aux endroits sensibles ;
Gratuité d’accès ou payant ;
Type d’accueil des visiteurs (panneaux, architecture et nombre de bâtiments, guides, situation des parkings).
PHOTO.
Ce ne sont pas les grillages qui empêcheront cet arbre de déchausser
les menhirs !
Si projet il doit y avoir, quelles orientations prendre au vu de ces résultats
IV/ La trame d’un nouveau projet :
a/ Un mystérieux projet d’État !
Sans entrer dans la polémique, il convient d’avouer que le plan de réaménagement des sites mégalithiques de Carnac est pour l’heure bien flou. Aucun calendrier n’est fixé à cet effet et, par les travaux effectués ces derniers mois, tout un chacun a pu en découvrir les premières phases : destruction du belvédère de Kermario, diminution des parkings proches des sites, abaissement des grillages et mise en place de nouvelles clôtures dans les espaces déjà clos, réouverture de l’Archéoscope, mise en place de murets, exposition de prototypes de nouvelles clôtures…
De là, commenter le projet de l’Etat apparaît difficile. D’ailleurs, ses défenseurs n’ont pas dévoilé ses futures étapes.
b/ scénario envisageable :
La compilation des contre-propositions, en tenant compte de la fréquence des argumentations, donne la charpente d’un nouveau scénario. En voici le compte-rendu :
1. Accès :
L’accès au site est libre et gratuit ;
2. Protection du couvert végétal et du patrimoine mégalithique :
La végétation fait l’objet d’une attention particulière et est entretenue. Pour ce faire, l’élagage brutal par engins motorisés et désherbant actuellement utilisés doit être abandonné pour le maintien des sols. Il est inutile également de poursuivre les tontes à ras mettant en péril l’écosystème et l’assise des menhirs. Par ailleurs, des racines d’arbres de grande taille menacent actuellement de déchausser des pierres ;
« Qui s’y frotte, s’y pique ». La lande, par les ajoncs qui la constitue, est une barrière naturelle qui peut suppléer les grillages. Il convient donc de laisser pousser les ajoncs autour des pierres mégalithiques à hauteur raisonnable, de manière à ne pas dissimuler les menhirs. Les grillages s’avèreront donc inutiles ;
Dans des cas extrêmes (forte fréquentation, sécheresse exceptionnelle, incendie), des cordes apposées entre des piquets à des endroits ciblés, où les sols sont directement menacés ou fragiles (affleurements rocheux par exemple), délimitent symboliquement des parcelles closes. Ce système simple est respecté par les visiteurs ;
Les terrains pentus sont restaurés ou maintenus par de la toile dégradable apposée en surface du sol afin de laisser croître le couvert végétal à travers ;
L’alternance de feuillus et de végétation sèche limite les risques d’incendies. Des coupes feux naturels et des réservoirs d’eaux (petits étangs) sont envisageables ;
En saison estivale, des gardiens peuvent veiller au respect de l’environnement et des mégalithes ;
Si le site de Carnac est unique de par son étendu, de nombreux autres monuments mégalithiques sont à l’abandon, mis à mal ou menacés de disparaître en Bretagne et particulièrement dans le département (il y a quelques années, il était à noter des efforts de mise en valeur par des panneaux explicatifs multilingues). L’intérêt d’un plan breton d’inventaire et de mise en valeur du patrimoine néolithique permettrait de déconcentrer les visiteurs au-delà de Carnac, donc de limiter la sur-fréquentation du Menec, de Kermario et de Kerlescan. De plus, ce travail est seul garant de la vérité historique afin d’offrir une vue globale du mégalithisme breton extraordinairement riche et diversifié ;
3. Aménagements pédagogiques et accueil des visiteurs :
Il est important que le musée de Carnac conserve son emplacement au bourg – selon le vœu de son créateur, Zacharie Le Rouzic – à proximité des commerces et éloigné des sites mégalithiques dans une politique de répartition des visiteurs. Son existence doit être mieux signalée, notamment aux abords des alignements mégalithiques ;
L’archéoscope pollue l’environnement visuel malgré la tentative de le dissimuler sous terre. Sa présence est inutile. Le musée d’archéologie de Carnac n’a rien de comparable quant à l’intérêt pédagogique qu’il suscite et à sa richesse ;
Les zones de stationnement sont réparties près des sites et de moyenne contenance. Elles multiplient les accès piétons afin d’éviter l’effet du piétinement, conséquence de la concentration touristique, et relient par un sentier entretenu les points d’accueil. Ceint d’arbustes, les parkings sont invisibles des alignements ;
Des poubelles et des toilettes se trouvent aux abords des parcs de stationnement ;
Trois pôles d’accueil à but uniquement didactique sont créés respectivement sur les trois principaux sites : Kerlescan, Menec, Kermario. Leur architecture les rend discret, de petite taille et bâtis dans le respect de l’habitat traditionnel alentour. De là, des visites guidées payantes sont proposées ;
Des guides rémunérés proposent des visites organisées plusieurs fois par jour sur les trois sites principaux. Des visites spéciales ont lieu pour les scolaires.
Des panneaux explicatifs légers et discrets informent les visiteurs en plusieurs langues, notamment en breton (patrimoine vivant de la Bretagne) faisant un point caractéristique et historique du site ;
Aucun aménagement n’enfreint les activités professionnelles agricoles, d’élevage et commerciales existant de longue date au sein des sites mégalithiques. Cette économie diversifiée et raisonnée ne représente pas de danger pour l’avenir de cet environnement et participe au dynamisme de la vie locale.
Aucune déviation n’est nécessaire. La route départementale 196 prouve actuellement son utilité. Les bas côtés sont aménagés pour les vélos et piétons. La vitesse des véhicules est limitée à 50 Km/h par mesure de sécurité. Un fossé ou une haie basse empêche les véhicules et les cycles d’entrer dans les champs de menhirs.
4. Classement des sites au patrimoine de l’humanité :
Toutes ces mesures sont incluses dans un plan de classement des alignements mégalithiques de Carnac au patrimoine de l’UNESCO, élargi aux autres sites mégalithiques nombreux sur la commune de Carnac et les communes périphériques (tumulus Saint-Michel, tumulus du Moustoir, tumulus de Crucuny, dolmens de Keriaval et de Mane-Kerioned, Runesto, Mane-Croc’h, Crucuno, la Table des Marchands à l’est en Locmariaquer, etc.).
Les terrains où se trouvent les mégalithes sont du domaine public et ne peuvent devenir privés, leur accès reste donc libre. Cette mesure vise à protéger les mégalithes et à empêcher des constructions destructrices sur ou à proximité de ce patrimoine historique et naturel.
5. Transparence :
L’avancée de ce projet de réaménagement des sites mégalithiques de Carnac se fait dans la transparence la plus totale. Les Carnacois comme le grand public sont informés de toutes les mesures prises, notamment à caractère exceptionnel.
Un conseil constitué d’associations, de spécialistes (historiens, archéologues, biologistes, chercheurs), eet de syndicats est consulté pour toutes les décisions prises quant à la conservation des mégalithes et l’aménagement des terrains concernés.
CONCLUSION :
Bien loin du plan d’aménagement lourd souvent dénoncé, cette synthèse des propositions doit faciliter la concertation. Le contre-projet qui en émerge promet la création d’emplois (guides, gardiens, employés de musée, agents d’entretien, etc.), est peu onéreux, et permet la pérennité des activités professionnelles tout en assurant la conservation des sites. Une trame légale de protection des mégalithes n’est viable que si elle inclut, en toute logique, la restitution des terrains expropriés à leurs propriétaires.
Sans projet mégalomane, les sites mégalithiques de Carnac conserveront leur caractère et leur beauté.