Françoise Maheux est Conseillère en Economie sociale et familiale au sein de la MSA (Mutualité Sociale Agricole). Elle a exercé un certain temps dans la région de Châteaubriant, non sans se poser de multiples questions : « Moi qui n’ai jamais touché une vache, qui n’ai jamais vu un seul vêlage, qu’est-ce que j’en sais de toutes les choses de la terre, et des bêtes et des hommes et des femmes qui font ce métier-là, alors que je viens d’un monde de papiers, de mots et de chiffres qui ne veulent rien dire du tout quand ils ne disent pas le mal que donne la terre, le souci que donnent les bêtes quand on les aime, et le mal que l’on se donne pour garder la terre et les bêtes. Qu’est-ce que j’en sais, moi, de toutes ces choses ? »
C’est avec cette attitude d’ouverture, avec cette inquiétude fondamentale, que Françoise Maheux a rencontré des paysans. Pas ceux qui vont " bien " . Mais ceux qui sont victimes de mauvaises récoltes, de surendettement, de paperasses incompréhensibles. « La plainte, la honte, le désarroi. Et la question : qu’est-ce qu’on va devenir ? » .
Dans son « journal d’une conseillère » , Françoise raconte « les hommes et les femmes qui se sont fait avoir par la vie » . Il y a 20 ans, seulement, Suzanne devait charroyer l’eau nécessaire à la lessive et au ménage, « parce que le "patron" avait décrété qu’il n’y aurait pas l’eau courante à la maison » . Mais ce n’est pas le pire !
Le pire c’est Bernard qui n’a jamais été le patron dans sa ferme. Maman commandait tout. Le frère aîné a pris le relais. L’épouse de Bernard n’a jamais eu sa place.
Le pire c’est Georges, toujours resté sous la coupe du père et qui, confronté à l’installation de son fils, reproduit le même schéma.
Le pire c’est Patricia, qui ne voulait pas être agricultrice et qui se trouve enchaînée, prisonnière, 27 ans, six ans de mariage, cinq enfants et vingt kilos de plus. Elle voudrait être ailleurs. Souffler. Pas possible. « C’est quand Maman que tu vas avoir un autre bébé ? » .
Le livre est un poème douloureux. Pas à la gloire de l’agriculture. Mais en hommage à ces hommes, ces femmes qui sont des êtres humains « rencontrés dans ces jours de défaite et de blessures ouvertes » , qui s’obstinent à vivre sur des fermes en faillite, à se lever chaque matin pour travailler .. à payer des dettes qui ne seront jamais payées en totalité.
Alors revient la question : vivre, c’est quoi ?
Un livre très émouvant, une étude de terrain, matériau brut d’une réflexion nécessaire.
Françoise Maheux : l’agriculture a changé, qui va leur dire ? - Editions du Centre d’Histoire du Travail - 15 €.
Extrait de la préface de François Legentilhomme, Président de la MSA de Loire-Atlantique :
« Les instants de vies qui ont croisé la sienne et qu’elle décrit avec talent et simplicité tout au long de son livre nous font revivre ce qu’a été son travail, avec ses inquiétudes, ses craintes, cette implication malgré soi dans l’intimité des familles, partageant plus souvent les pleurs que les joies, mais rencontrant toujours beaucoup d’humanité.
Ces situations, ces faits authentiques, ces sentiments de découragement, relatés avec réalisme, montrent la dureté d’une époque et valident de fait le choix que nous avons fait d’aider ces familles dans la difficulté, par des aides financières certes, mais aussi et surtout par la main que nous leur avons tendue avec le concours de nos travailleurs sociaux ».
Centre d’Histoire du Travail Ateliers et Chantiers de Nantes 2bis boulevard Léon Bureau - 44200 NANTES Tél : 02 40 08 22 04 / Fax : 02 51 72 78 41 Courriel : cht.nantes [at] wanadoo.fr
ABP/BP