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peinture de Nicolas Toussaint Charlet, 1836, musée des Beaux-Arts de Lyon.
- Chronique -
Un Rennais dans la Campagne de Russie de 1812
la Campagne de Russie de 1812 vue par un Rennais
Par marc Patay Lejean pour ABP le 4/06/19 15:08

Dans cet écrit, je vous livre le témoignage de J Gastinieau, ancien officier dans la Grande Armée, mort à Rennes en 1873.

Comme la frêle hirondelle bondit par dessus l’océan, la voix grêle de l'ancêtre Gastinieau m'est parvenue par delà les siècles. Lorsque j'étais enfant, je me souviens d'avoir visité mon arrière-grand-mère paternelle qui achevait ses jours dans un grand lit de style Louis Philippe, dans un hôtel de Rennes. Son grand-père Joseph Gastinieau avait connu la révolution et, tirant le mauvais numéro, dut partir à la guerre. Ainsi il se retrouva dans la Grande Armée, franchit le Niemen (1) et marcha sur Moscou, participant à l'une des plus funestes aventures de tous les temps.

Son père, de la bourgeoisie locale, vivait dans la région du Pertre  (Ille et Vilaine) et fut successivement, maire, fournisseur aux armées, capitaine des guides. Il possédait en outre une centaine de moutons que de gros chiens protégeaient des loups, nombreux à cette époque. Des combats se livraient sur la grand-route entre les colonnes républicaines et les chouans, Joseph vit souvent des morts et des blessés. Un de ses oncles fut assassiné par les Chouans au château de la Ménaudière, dont il était régisseur. Ce père était payé en assignats, mais par suite de la banqueroute de l'Etat, cette monnaie perdit toute valeur.

Lors d'un course à cheval, Joseph et son père virent une diligence assaillie par une cinquantaine de Chouans qui dévalisèrent les passagers. La troupe intervint et la diligence pillée continua son voyage vers Paris.

Malgré la guerre civile, les loisirs n'étaient pas oubliés, la chasse notamment. Joseph se révéla une fine gâchette et lors d'une journée mémorable, huit loups furent tués dans la forêt voisine.

A cette époque, l'instruction n'était pas obligatoire. Ainsi ni collège ou lycée pour Joseph qui profita cependant des lumières, tour à tour, d'un vieille demoiselle, du curé, d'un receveur qui lui fit piocher le Bezout (2), ce qui lui permit plus tard de devenir officier.

L'empereur avait besoin de chair fraîche après les pertes de Eylau, Iena et Friedland. La conscription fut reculée d'un an et en mars 1908, Joseph tira le n° 18 et à moins de trouver un remplaçant ou de se faire reformer, il devait partir à l'armée. Mais les circonstances furent contraires. Il avait des motifs de se faire réformer mais la bureaucratie, « ce ver rongeur des sociétés modernes » fit capoter l'affaire. Le remplaçant fit faux bond et Joseph prépara son paquetage.

Le voilà sur la route d'Ostende à près de 600km !, qu'il rejoint à pied aux prix de grosses ampoules soignées avec un œuf entier introduit dans sa chaussure ! Comme le lui conseille un ancien. Arrivé à la caserne du lieu, Joseph fait part de son désir d'être réformé, mais le colonel, un ancien des campagnes d’Égypte, lui dit « les petits hommes sont aussi bons que les grands pour tirer un coup de fusil ».

Dévoré par les puces, dégoûté par la « gamelle », Joseph paye lui même ses repas, il s’habitue néanmoins à son état et se fait des amis parmi les vieux briscards. Il lit Paul et Virginie de Bernardin de St Pierre et ce jeune homme sensible de 19 ans « versait des larmes et pour eux et pour moi ».

Greffier dans un conseil de guerre, Joseph gagne quelques argent et peut étoffer sa toilette qui n'était pas encore très réglementaire.

Au beau milieu d'un nuit de mai, à Ostende, l'alerte est donnée que les Anglais débarquent sur la côte. Mais les habits rouges n'apparaissent pas car c'est une fausse alarme donnée par un jeune conscrit apeuré, qui avait pris une épave chassée par la mer pour une chaloupe anglaise ...

Joseph partit camper quelques temps sur les côtes de Zélande pour empêcher un hypothétique débarquement ennemi puis il rejoignit le Mecklembourg. Après cela il dut escorter des troupes depuis Strasbourg en descendant le Rhin, via Mayence puis Wesel, affronter les dangers du fleuve, rochers et cataractes, aussi bien qu'un projet de complot fomenté par des réfractaires.

La grande armée se forme et se prépare à traverser le Niemen ; « où vont-elles ?, dans des contrées inconnues, combien en reviendra-t-il ?, Dieu le sait ». 200 000 chevaux, 2000 pièces d'artillerie, 20 000 voitures composent cette formidable armée de près de 650 000 hommes recrutés dans toute l’Europe.

L'armée arrive à Wilna (3) où les Russes brûlent les magasins, abandonnent des quantités d'armes et se retirent. Le 17 août, l'armée française se présente devant Smolensk, à 500km de Wilna. La bataille s'engage et bientôt le régiment de Joseph perd 1200 hommes, tous les officiers et son général. Mais 60 canons français abattent les murailles de la ville et au matin la troupe y pénètre tandis que fuient à nouveau les Russes qui passent le Dniepr, l’ancienne Borysthene d’Hérodote. Rapidement une seconde bataille acharnée s'engage à Valoutina (4) mais comme à chaque fois, les Russes se retirent en bon ordre et marchent vers la vaste plaine de la Moskova fortifiée de sept redoutes à flèches où, bientôt, 80 000 hommes (6) de part et d'autre vont s'affronter par le feu et par le fer, dans la célèbre «Bataille des Géants ». Chacun croit l'emporter mais Koutouzof se retire d'un champ de bataille hallucinant parsemé de morts, la route de Moscou est ouverte.

Mais cette ville convoitée est en flammes. Les grands magasins de blés et de spiritueux sont incendiés, une épaisse fumée couvre la ville. L 'appât de l'or fait de nombreuses victimes.

L'armée attend, au milieu des ruines, une paix illusoire. Après trente jours, la voilà, fin octobre 1812, qui reprend la route du retour, tandis que l'hiver approche, un calvaire dont beaucoup ne reviendront pas.

L'armée prend la route de Kalouga puis en est empêchée ; elle doit reprendre celle de Smolensk ravagée à l'aller.

Joseph et 10 000 soldats sont choisis pour ralentir l’ennemi et se sacrifier si nécessaire. Cela se passait près de Iakovo (6), un village d'une trentaine de maisons de chaume avec une église en bois de sapin. Mais les lignes sont renversées et Joseph blessé à la cuisse par un Bachkir (7). La troupe ennemie se composait de Cosaques, de Kalmouks, de Bachkirs, de Tartares et de Sibériens, commandés par le comte Arloff.

Prisonnier de guerre, escorté par des Uhlans, Joseph chemine dans quatre pieds de neige et par -30 degrés de froid, parfois celui qui s’assoupit jamais ne se réveille. Un soir lui et ses camarades campent dans la neige, le lendemain trente des leurs sont morts de froid, les autres hurlent de douleur, les extrémités des membres gelées. Koutouzof les rassemble et leur adresse une petite allocution. Il compatit à leur souffrance, déclare bien connaître et aimer la France et « ce beau vieillard » leur parle d'un rêve qu'il avait fait avant la guerre dans lequel un vieillard s'opposait à un jeune présomptueux … il leur promet deux tonneaux d'eau de vie qui furent promptement dérobés par des subalternes russes. Joseph remarque les nombreux minarets et dômes de la ville, en zinc vernis de différentes couleurs surmontés de croix parées de dessins au fil de fer, tous cela comme une « forêt en haute futaie » qui lui rappelle les « contes de grand-maman ».

Beaucoup de blessés voyageaient sur des traîneaux mais ils étaient bientôt saisis par le froid et ne tardaient pas à mourir. L’égoïsme était tel que personne ne portait secours à ceux qui tombaient sur la voie. La misérable colonne arrive à Kalouga où des vêtements sont distribués ainsi qu'un solde de 50c par officier. Les prisonniers et leurs 70 traîneaux parviennent ensuite à Toula sous les coups de la population ameutée. Elle est logée au bagne avec les droits commun qui leur donne du « bratte », frères ou du « camaratké ».

Une fois Joseph s’écarta de la colonne et ne put la retrouver dans la tempête de neige. Il faillit mourir mais finit par rejoindre un village où elle s’était arrêté. Il dut supplier pour rentrer dans une chaumière et sans ses camarades qui s'y trouvaient déjà, il serait mort à la porte devant le refus obstiné du propriétaire qui le traitait de canaille. Il y faisait 30 degrés au dessus de zéro contre l'inverse à l’extérieur !

Joseph resta près de deux ans prisonnier, puis rentra en France par Kalish (Pologne) puis Strasbourg, durant la première restauration (avant les Cent Jours). Il participa à la bataille Waterloo puis continua sa carrière dans l’armée, fut promu major du 23 ème léger et termina sa carrière au 46 ème de ligne. Il prit sa retraite en 1846 à Rennes, où il mourut à 85 ans.

Notes

1. fleuve à l'est de la Pologne

2. cours de mathématique d’Étienne Bézout

3. Vilnius, en Lituanie aujourd'hui

4. une équipe de chercheurs franco-russe y fait des recherches actuellement (voir lepoint.fr)

5. 130 000 hommes en fait

6. Iakovo, je n'ai pas localisé l'endroit

7. ethnie de Russie

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