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- Communiqué de presse -
Aus mens vesins…espanhòus / A mes voisins… espagnols
Mes chers voisins, Il se trouve que je vis depuis des années à quelques kilomètres de la frontière de l’État espagnol. Quand j’étais enfant, votre pays m’a aidé à m’intéresser à la politique. C’était encore la dictature et mes parents, intelligents et engagés, allaient souvent de l’autre côté des Pyrénées. Ils y emmenaient leurs enfants. […]
Par pour David Grosclaude le 29/01/18 21:34

Mes chers voisins,

Il se trouve que je vis depuis des années à quelques kilomètres de la frontière de l’État espagnol. Quand j’étais enfant, votre pays m’a aidé à m’intéresser à la politique. C’était encore la dictature et mes parents, intelligents et engagés, allaient souvent de l’autre côté des Pyrénées. Ils y emmenaient leurs enfants. Ils racontaient ce qu’était ce Franco dont on espérait la fin de règne. Je compatissais déjà, très jeune. Puis la disparition vint. J’avais grandi. Je commençais à fréquenter vos poètes de langue castillane par la voix de Paco Ibanez mais aussi les autres, ceux d’autres langues, grâce aux voix de Raimon et Lluís Llach.

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Je me suis mis à aimer votre langue sans pour autant adhérer à la vision que certains d’entre vous en ont. Elle est superbe… comme toutes les langues et ne mérite pas d’être celle qui enterre les autres. Je vis en France et donc je sais ce qu’est un discours sur la francophonie triomphante ; donc le discours que certains d’entre vous utilisent sur la place de la langue castillane me dérange parfois. Mais peu importe ! J’ai aussi une colonne pour le négatif dans l’idée que je me fais de vous et pourtant celle du positif est plutôt bien remplie.

Pourtant j’en aurais eu des choses à vous reprocher mais comme je l’ai dit avant, c’est aussi à travers vous que j’ai commencé à aimer la politique. Vous avez enthousiasmé mes vingt ans avec votre démocratie renaissante. J’ai aimé votre façon de vous sortir de quarante ans d’obscurantisme même si une transition n’est jamais parfaite et demande beaucoup d’indulgence.

J’aime vos villes, j’aime votre (ou plutôt vos) façon de vivre, j’ai tremblé pour vous dans la nuit de 23 février 1981 en écoutant la radio jusqu’à l’aube. J’ai eu honte pour vous lors de l’affaire du GAL. Je n’ai cessé de penser et de dire que la violence de l’ETA était aux antipodes de mes convictions, mais je n’ai pas aimé votre façon de faire des lois d’exception. J’ai eu mal pour vous lors des attentats d’Atocha en 2004, honte aussi de voir votre gouvernement se dépatouiller si mal avec cette tragédie, et heureux de voir que vous l’aviez renvoyé dans ses foyers dans les jours qui suivirent.

Comme journaliste, j’ai même longtemps aimé votre façon de faire de l’information, de faire vivre des médias. J’ai aimé le retour de Taradellas, le retour des autonomies, la flamme renaissante de Gernika ; Bref, mon intérêt pour vous est un inventaire étrange, une somme de souvenirs et d’impressions à laquelle je mêle des images du proche Aragon auquel, en tant que béarnais, je ne peux être indifférent.

Je ne cache pas non plus ma proximité avec les Catalans, par la langue si proche de la nôtre, l’occitane : des sœurs jumelles. Je ne méconnais pas les défauts des catalans car ils en ont, comme vous, comme nous les voisins d’en face. Mais ce qui se passe aujourd’hui dépasse mon entendement.

Oui, vous êtes mes voisins et aujourd’hui je ne vous comprends plus. Alors, je sais, on n’aime pas avec des conditions et je sais aussi qu’il faut éviter les généralisations. Vous n’êtes pas tous responsables des erreurs de vos gouvernants, et par les temps qui courent ils en font beaucoup.

Depuis 2006 ce fut une succession d’erreurs avec cette affaire de statut d’autonomie de Catalogne. J’ai vu peu à peu monter l’indépendantisme, par dépit ; par votre faute. J’ai pu constater que cette affaire était, en plus du reste, un rideau de fumée créé pour éviter que l’on ne se focalise trop sur cette immaturité démocratique qu’est la corruption et qui est florissante chez vous…mes voisins.

Depuis quelques semaines je suis un spectateur de ce qui se passe entre Madrid et Barcelone. J’étais à Barcelone le 1er Octobre. Je n’y ai vu que des gens pacifiques dont l’envie de voter me redonnait espoir en la démocratie alors que chez nous, vos voisins, on vote depuis longtemps à reculons et par défaut.

Une seule chose me venait en tête lors de ce dimanche d’octobre en voyant les cars de la police et de la garde civile dans les rues de Barcelone, c’était la phrase « Qué volen aquesta gent que truquen de matinada ? » que chante Maria del Mar Bonet. Je ne pouvais me sortir de la tête les vers de vos poètes comme Alberti qui écrit : « Qué dolor de papeles que ha de barrer el viento, qué tristeza de tinta que ha de borrar el agua ! Las palabras entonces no sirven, son palabras ». (Quelle douleur de papiers doit balayer le vent, quelle tristesse d’encre doit effacer l’eau, les paroles alors ne servent plus , ce sont des paroles). Par bonheur on a évité la suite le fameux « balas, balas …» (balles, balles) qui sert de refrain à ce poème.

Depuis des semaines je regarde avec effarement votre télévision publique où j’ai entendu vos dirigeants, et bon nombre de commentateurs, accuser les médias publics catalans d’être malhonnêtes…Je les écoute et les regarde eux aussi et, franchement ils sont presque exemplaires surtout comparés à vos médias madrilènes devenus des caisses de résonance d’une propagande très gênante.

Maintenant, là où nous en sommes, c’est encore plus inquiétant. La chasse est ouverte. Tout sauf Puigdemont ! Il a pourtant gagné les élections voulues par votre gouvernement. C’est un fait, une réalité indéniable. Qui peut dire le contraire ? Les indépendantistes n’ont pas la majorité absolue ? Non, mais les partis anti-indépendantistes non plus ; ils sont même absolument minoritaires. C’est une réalité démocratique que vos dirigeants passent leur temps à nier en vous assénant des phrases telles que « tenemos que recuperar el sentido común » ou encore « hemos hecho lo que teníamos que hacer ! ». Je ne m’étends pas sur la platitude politique de telles phrases.

 

Je ne sais pas si Carles Puigdemont arrivera dans un coffre de voiture (el maletero) évoqué par un de vos ministres, mais le fait de voir comment vos dirigeants de droite et de gauche cherchent pathétiquement à empêcher les députés catalans de voter comme les électeurs le leur ont demandé, me remplit d’inquiétude.

Je comprends que vous ne partagiez pas les idées indépendantistes, et c’est votre droit. Mais de là à tordre le droit dans tous les sens pour arriver à y faire passer les mots « estado de derecho » (état de droit) je crois que c’est une mission impossible qui ne fera que provoquer l’autodestruction du droit.

Je n’ai pas de leçons à vous donner, juste une impression, juste le point de vue de celui qui regarde de l’autre côté de la rue comment se comportent ses voisins. Vous en auriez certainement autant à mon service avec nos dirigeants qui n’ont rien à dire sur votre situation et qui soutiennent sans une vraie réflexion vos dirigeants. Je ne suis pas fier des non-dits de mon côté de la rue. J’attends vos remarques…écrivez nous !

Nous ne vivons pas du même côté de la rue mais nous sommes dans le même village, l’Europe. Qu’èm vesins ! Comme on dit en occitan. Somos vecinos ! Nous sommes voisins.

Les blessures, les coups de canif, et les coups de matraque à la démocratie me regardent, comme tout ce qui se passe dans notre village. Que des gens soient en prison pour des opinions : cela me regarde aussi. C’est bien cela qui se passe même si vos dirigeants nient cette évidence.

Mais il y a quelque chose qui m’a fasciné : pas un seul acte violent durant des mois malgré les manifestations énormes organisées à Barcelone. A part le 1er octobre, il n’y a pas eu de violence. Et là, je ne peux que me dire combien cela est précieux et surtout révélateur de la détermination de millions de gens qui, comme le disait un poète occitan ont « decidit d’aver rason » (décidé d’avoir raison).

Je citerai pour terminer celui qui écrivait en catalan comme en castillan, José Agustín Goytisolo, et qui dans un poème ultracélèbre donne la recette que sans aucun doute des millions de catalans doivent appliquer depuis des mois et des années à savoir :

« Otros esperan que resistas  (d’autres espèrent que tu résistes

que les ayude tu alegría                   que ta joie les aide

tu canción entre sus canciones.   et ta chanson parmi les leurs)

Nunca te entregues ni te apartes  (jamais ne te rends ni ne t’écarte

junto al camino, nunca digas            au bord du chemin ne dis jamais

no puedo más y aquí me quedo. ».  je n’en peux plus, je reste là ).

 

Voilà bien le problème du jour : vos dirigeants veulent à tous prix entendre : « no puedo más ! » (je n’en peux plus) de la part de leurs adversaires. Croyez-vous qu’ils le diront et que tout rentrera dans l’ordre du « sentido común » ?

Non, les gouvernants espagnols et leurs soutiens n’on pas fait ce qu’ils devaient faire. « No han hecho lo que tenían que hacer ».

Ahora ! Hay que dialogar ! Oui, maintenant il faut dialoguer. Si j’osais, je vous dirais que c’est ce que commande le bon sens, (el sentido común) mais je prefère vous dire que c’est la règle simple et unique en démocratie. Je sais que celle-ci est chère à des millions d’entre vous.

David Grosclaude,

un vesin, un veí, un voisin, un vecino

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Écrivain occitan, journaliste indépendant.
[ Voir tous les articles de David Grosclaude]
Vos 1 commentaires
Nappey Guy Le Mardi 30 janvier 2018 18:03
Merci d'avoir écrit ce que j'aurais aimé pouvoir écrire mais c'est resté à courir dans ma tète.
(0) 
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