Il y a presque 50 ans, le journaliste Morvan Lebesque écrivait " Comment peut-on être Breton ? ", il s'agissait d'oser l'être. Et puis en 2014, Jean-Michel Le Boulanger sortait tout simplement "Être Breton", mais aujourd'hui c'est devenu un bonheur de l'être ! Gilles Martin-Chauffier, un autre journaliste, nous explique pourquoi dans un pamphlet de 75 pages "Du bonheur d'être Breton" publié chez Équateurs. Ce livre sans longueur se dévore rapidement et d'autant plus facilement que l'on connaît le style alerte, à la fois imagé et percutant, aux phrases courtes de journaliste, sans floriture aucune, du rédacteur en chef de Paris-Match.
Martin-Chauffier a son approche à lui qu'il avait déjà esquissée dans son Roman de la Bretagne paru en 2005. Il ne parle pas de Bretagne ou si peu. Il n'argumente pas. Ne se pose pas en quémandeur, encore moins en militant. La Bretagne n'est pas l'objet du livre mais la conclusion logique de son exposé sur l'évolution du monde et tout particulièrement de la France. Pour Martin-Chauffier la Bretagne est le sens de l'histoire. Si la France, qui fut le centre culturel de l'Europe pendant plusieurs siècles, a pu fasciner les Bretons au point de leur faire oublier qu'ils étaient une nation antique, avec des droits, des langues, un passé, une culture, elle fascine aujourd'hui beaucoup moins. Elle est en déclin. Le mirage s'estompe : "Paris n'est plus qu'un lieu de pèlerinage, une série de plaques gravées sur les façades où, des siècles plus tôt, des génies attirèrent l'attention du monde". Pour Martin-Chauffier, la France va accoucher dans son déclin d'une Bretagne ressuscitée parmi d'autres nations comme la Corse ou le Pays-Basque.
Sa description sans concession du déclin de la France est à la fois brillante et terrible. Terrible pour les souverainistes de droite et les jacobins de gauche. Terrible pour les grands prêtres de la République comme Michelet qui ont inventé une histoire de France, qui ont falsifié ou oblitéré des pans entiers de l'histoire de nations phagocytées et qui nous chantent encore et encore "les valeurs de la république". Martin-Chauffier remet les choses en place. L'ancien régime, puis la République ne furent que des projets politiques qui ont vécu, qui ont fait leur temps. Comme tout projet politique, ils ont une fin. Ces projets appartiennent au passé et sont supplantés aujourd'hui par un autre projet, tout aussi politique mais bien plus moderne et adapté à la mondialisation et à la géopolitique des grands blocs : le projet européen.
Pour Martin-Chauffier, Bruxelles finira par gagner et imposer des régions à la place des états-nations, même si, et il évite de nous le rappeler, l'Europe est pour le moment le gouvernement des états-nations, par les états-nations, pour les états-nations. Un président européen élu au suffrage universel, qui choisirait un gouvernement issu d'une majorité parlementaire finirait par arriver ? C'est là que se situe la foi de Martin-Chauffier. Si ce pamphlet est une épître aux fidèles, il est aussi adressé aux partisans de l'ancienne religion qu'il veut convaincre. Ayez la foi mes frères car des choses inimaginables vont arriver, nous dit-il. D'un côté, ce qui se passe en Corse et ce qui se passe en Catalogne lui donnent raison. Il l'avait prédit il y a douze ans dans son Roman de la Bretagne. D'un autre côté, l'impasse institutionnelle, dont le Brexit n'est qu'une des conséquences les plus voyantes, ne pourrait que déboucher sur une Europe bien plus démocratique. On veut le croire.
Bien sûr, très peu partageront son point de vue sur la frivolité irresponsable d'Anne de Bretagne. Certes la duchesse, deux fois reine de France, aimait les bijoux mais les faits sont là : dès la mort de Charles VIII, elle a restauré la chancellerie du duché. Ensuite, son contrat de mariage avec Louis XII, le dernier traité dûment ratifié entre le duché et le royaume est clair comme de l'eau de roche : le duché reviendra au deuxième enfant du couple, fille ou garçon. Renée aurait donc dû être duchesse d'un duché redevenu indépendant. Il y a eu un coup d'État : le testament d'Anne de Bretagne fut brûlé, en tout cas a disparu peu de temps après sa mort en 1514. Renée fut mariée très jeune, disons écartée et déshéritée, en 1527 elle n'avait que 17 ans, à un duc italien. On ne l'a revue que 40 ans plus tard, revenue d'ailleurs pour réclamer son duché qui lui revenait de droit. Le duché fut attribué illégalement à Claude, la fille aînée d'Anne de Bretagne, et finalement François Ier, devenu l'époux de Claude, lui fit signer un document comme quoi elle lui donnait l'usufruit du duché. Un tour de passe-passe magistral qui aboutit à l'édit d'Union de 1532, certes demandé par certains membres des États mais jamais ratifié.
Mais passons sur le passé. Le livre est un livre sur le futur et Martin-Chauffier est un visionnaire. Merci à lui pour cette envolée lucide et poignante écrite avec verve et passion.