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- Chronique -
En Bretagne, nous prenons des positions !
Les militants bretons d’après-guerre ont une conception de la libération nationale différente de celle des Catalans. Le concept fondamental chez nous peut se résumer en une formule
Par Jean-Pierre Le Mat pour JPLM le 29/10/17 1:22

Les réactions enthousiastes des militants bretons à propos de la Catalogne ont quelque chose de décalé. En Bretagne, nous prenons des positions. Les Catalans bougent et font l’histoire.

La tradition nationaliste bretonne

Les militants bretons d’après-guerre ont une conception de la libération nationale différente de celle des Catalans. Le concept fondamental chez nous peut se résumer en une formule : Bretagne = colonie. Le modèle est celui de l’Algérie de 1960. L’Irlande de 1916 était le modèle de Breiz Atao. Les deux modèles se ressemblent. Ils partent de la nécessité d’un conflit ouvert, et d'un rapport de forces qui ne peut s'équilibrer qu'avec le soutien d’une puissance étrangère.

Les Irlandais et les Breiz Atao regardaient du côté de l’Allemagne. Ils n’étaient pas les seuls. Les nationalistes indiens, palestiniens, turcs ont eux aussi regardé du côté de l’Allemagne à cette époque. Les radios contrôlées par Berlin entre 1939 et 1944 ont émis en 54 langues différentes, ce qui suppose une tolérance à la diversité que l'on ne s'attendrait pas à trouver dans une dictature. Par comparaison, la deuxième radio la plus diversifiée d'un point de vue linguistique est la radio britannique, qui émettait en 45 langues différentes.

Après la guerre, l’alliance allemande ne valait plus rien. Les nationalistes algériens, comme bien des mouvements anticolonialistes, ont regardé du côté de l’Union soviétique. Les militants bretons ont fait de même. Mais ils n’ont jamais osé négocier sérieusement avec les pays communistes. Ils ont compensé cette absence par une surenchère verbale : contre l’impérialisme américain, contre le capitalisme. Être socialiste n’était pas pour eux un projet politique mais une identité, qu’ils voulaient faire reconnaître autour d’eux.

Le camp des minoritaires

Plus la gauche se préoccupe de son identité de gauche, moins elle est fonctionnelle. Quand on se regarde dans la glace du matin au soir, le partage des richesses n’est pas à l’ordre du jour. On y défend une image de soi, les intérêts de sa catégorie socio-professionnelle, mais pas un projet social. La "gauche indépendantiste bretonne", la mal-nommée, ne défend ni les Bretons, ni les travailleurs. Elle défend les minoritaires, de préférence étrangers à la Bretagne et aux préoccupations populaires. Indépendantistes lointains, migrants, LGBT, vegans, se succèdent sur scène. Les Bretons du monde réel et les travailleurs (les vrais, pas les prolétaires de mythologie) ne sont pas des minoritaires suffisamment pittoresques, ni assez proches du Tiers-monde.

Dans la rue, les sketches "antifascistes" révèlent une régression spatio-temporelle vers l’Épuration de 1945… sans les tondues, féminisme oblige ! Il faut, soit égaler l'héroïsme mythique de grand-papa, soit expier ses mauvais choix. C’est Che Guevara neutralisé par Freud et rééduqué par maître Yoda.

La tradition nationaliste catalane

La Catalogne s’inscrit dans une tradition d'adaptation au mouvement de l'Histoire, de convergence des catégories sociales et de négociation politique. Cette tradition nous est étrangère. La culture nationaliste bretonne est tiers-mondiste, la leur est européenne.

Le premier modèle européen du XXème siècle est l’indépendance de la Norvège en 1905 (voir le site) .

Une autre sécession intéressante est celle de l’Islande en 1944 (voir le site) . Lors de la chute de la puissance soviétique, des leçons peuvent être tirées de l’indépendance de la Lettonie en 1991, suite à un référendum (voir le site) . Un autre cas très européen est le divorce de velours entre la république tchèque et la Slovaquie (voir le site) . La souveraineté du Montenegro est proclamée en 2006, après un référendum populaire.

La crispation de Madrid vise à troubler la stratégie catalane et à favoriser les indépendantistes tiers-mondistes. Dans ce cas, les deux traditions nationalistes pourraient entrer en conflit, et la confusion s’installer au profit des unionistes.

Prendre des positions

L’histoire qui se fait en Catalogne nous fait prendre des positions. Ah, prendre des positions !... Prendre des positions sur la Catalogne, le Kurdistan, le code du travail, les fainéants, le productivisme, les compteurs Linky, le glyphosate, les homosexuels ! Ce n’est pas "Comment peut-on être breton ?" ou "le Manifeste du Parti Communiste" qui est notre vraie référence, mais le Kamasoutra. Pour prendre des positions, nous sommes les champions !

Sortir d’une pensée réductrice

Le SNP écossais serait de "centre gauche". Le catalan Puigdemont serait de "centre droit". Pfuttt… Le centre est une zone grise. Les sectaires et les arriérés y rangent les vrais insoumis, ceux qui préfèrent l'intelligence aux idéologies.

Nos représentants les plus efficaces dans les instances représentatives françaises, comme Paul Molac, ont su évoluer. Paul a rejoint LREM.

La revendication bretonne ne peut s’expliquer ni se résoudre avec des équations sociales étrangères à notre espace-temps. Sans doute serait-il bon d’évoluer vers un nationalisme communautaire de type européen. Et nous inspirer de la trajectoire catalane, plutôt que de "prendre des positions".

Voir aussi :
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