L'emploi non salarié compte pour 10% de l'emploi total en France. Ils sont trois fois moins nombreux que les fonctionnaires, ce qui fait qu'on les entend moins. Mais le dynamisme de cette catégorie de travailleurs est vital pour l'économie d'un pays. C'est parmi eux que l'on trouve les employeurs du secteur productif, là où se crée la richesse nationale.
Outre la richesse, ils créent aussi de l'emploi. En dix ans, la moitié des emplois a été créée dans les entreprises de moins de 20 salariés.
En France, pour montrer que l'on est un bon citoyen de gauche, il convient de proclamer que tous les grands patrons sont des exploiteurs et que tous les petits patrons sont des "poujadistes".
Que signifie cette curieuse insulte ? Le poujadisme s'inscrit dans une histoire assez éloignée, très courte et mal connue. Nous allons voir qu'il n'a plus aucune réalité.
Histoire de l'organisation des travailleurs non salariés
Après la guerre, lors de la création de la sécurité sociale, les commerçants et artisans obtiennent le droit de créer leur propre régime de protection, différent du régime général. En 1948 est créée l'AVA, l'Assurance Vieillesse des Artisans. A l'époque, l'idée des travailleurs indépendants était que le "fonds de commerce" était un patrimoine qui garantissait une fin de vie décente.
Les années 50 marquent la fin de la société traditionnelle, avec sa paysannerie nombreuse, ses fidélités économiques, ses pratiques religieuses et culturelles. La grande distribution bouscule le commerce traditionnel. Les contrôles administratifs font intrusion dans le fonctionnement de l'économie locale. Le "mouvement Poujade" apparaît en 1953, en défense des commerçants et artisans, et aussi de la société traditionnelle. Alors que les paysans bretons s'organisent pour prendre leur place dans le nouveau monde, les commerçants et artisans s'accrochent à une vision réactionnaire de la société. Le poujadisme ne durera que 5 ans.
Le CDCA (Comité de Défense des Artisans et Commerçants) est fondé en 1968 à Quimperlé. Déjà, il n'a plus rien de commun avec le poujadisme. Il s'en prend au fonctionnement des caisses vieillesse et maladie des indépendants (Organic, Cancava), aujourd'hui remplacées par le RSI. Né en Bretagne, le CDCA s'étend à toute la France. Il est concurrencé par un autre mouvement, le CIDUNATI, lancé dans le Lot en 1969 par un tribun charismatique, Gérard Nicoud. Les deux mouvements cohabitent vaille que vaille. Au fil du temps, ils perdent la plupart de leurs adhérents.
Comment s'organisent aujourd'hui les travailleurs non salariés ?
Les clients, c'est-à-dire vous et moi, n'avons plus aucune fidélité envers leurs artisans ou leurs commerçants. On s'adresse sans scrupule aux concurrents. Aussi, depuis plusieurs années, un "fonds de commerce", sauf dans certains secteurs comme les cafés bien situés ou les campings, n'a plus aucune valeur. Les artisans ont de plus en plus de mal à vendre leur clientèle.
Pour les commerces de centre-ville, un autre phénomène est apparu : la franchise. Ce n'est plus la boutique de vêtements Madame Michu, mais la boutique Zara, Cache-cache, Benetton, Naf-naf, Esprit, etc. Pour survivre dans un environnement de clients individualistes, le commerçant doit donner son "fonds de commerce" à une chaîne de magasins, en échange de services de publicité, de formation et d'achats groupés. Son outil de travail ne représente plus pour lui un capital. Il est "comme un ouvrier qui devrait acheter la machine sur laquelle il travaille".
Je n'utilise pas cette comparaison par hasard. Elle a été utilisée il y a quarante-cinq ans par Bernard Lambert pour parler des agriculteurs modernisés dans son ouvrage "Les paysans dans la lutte des classes". Cette situation, où l'outil de travail est une charge et non un patrimoine, touche désormais les commerçants, les artisans, toutes les petites entreprises. Le poujadisme est bien mort. La propriété d'une petite entreprise n'est plus une assurance-vie. Elle est difficile et souvent impossible à transmettre.
En 2013, la revendication des "patrons" de petites entreprises s'est manifestée à travers le mouvement des Bonnets rouges. Elle était mêlée aux revendications des paysans et des ouvriers bretons. C'est une revendication de "besogneux". Elle concerne la juste rémunération du travail, l'équité dans la protection sociale, l'humanisation des contraintes administratives.
C'est aussi le rêve que soit reconnue l'importance des petites entreprises pour l'emploi et la vie locale. Les petites entreprises ont droit à des discours flatteurs à chaque élection, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, mais rarement à une écoute véritable débouchant sur des mesures concrètes.
Les revendications de ces besogneux sont traditionnellement portées par les syndicats interprofessionnels, CGPME (Confédération Générale des Petites et Moyennes entreprises) et UPA (Union Professionnelle artisanale). Ces syndicats ont l'avantage d'être reconnus comme représentatifs par les pouvoirs publics, d'avoir des élus dans les institutions, de participer au "dialogue social". Mais tous ces avantages les ont souvent éloignés des préoccupations de leur base. Ces syndicats interprofessionnels sont irrigués par des syndicats de branches, comme la Fédération du bâtiment, la CAPEB ou l'UMIH, qui est le syndicat des cafetiers et des restaurateurs. Ces "branches" portent des revendications professionnelles souvent très spécialisées.
A côté des syndicats officiels se sont développées une multitude d'associations plus ou moins locales, souvent provisoires, mal coordonnées entre elles : "Sauvons nos entreprises", "les Plumés", "les Tondus", "les Vaches à lait", etc. Leur existence dépend souvent d'une seule personne, qui entraîne ses semblables ou tous ceux qui se reconnaissent dans son combat. L'expérience montre qu'elles ont une durée de vie limitée.
Vers un syndicat de travailleurs bretons créateurs d'emplois
Le poujadisme était une réaction de repli face à la grande distribution et aux contrôles inhumains. Aujourd'hui, les petites entreprises doivent faire face à la globalisation portée par internet et à l'alourdissement déraisonnable des contraintes administratives.
Il importe de bien orienter les revendications vers un avenir possible. La distinction -très française- entre sphère publique et sphère privée incline à ne considérer l'entreprise que comme un patrimoine privé. Or la boulangerie, le garage, la pharmacie ou l'atelier du peintre sont des outils de travail et des services publics de proximité. L'enjeu pour la Bretagne est l'emploi et l'équilibre de nos territoires.
Récemment, Breizh TPE a été créé, non pas pour remplacer le bouillonnement des associations locales, mais pour leur apporter la vision d'ensemble, les outils de coordination ainsi que les compétences juridiques qui leur font souvent défaut. L'ambition à terme est d'en faire un syndicat des très-petites-entreprises (TPE), sur le territoire historique et culturel de la Bretagne. Ce périmètre nuira à sa participation au dialogue social institutionnel, qui se conforme aux divisions administratives. Mais cela le rapprochera du tissu économique et social, ainsi que de la population bretonne.
Commerçants, artisans, travailleurs indépendants, patrons de petites entreprises bretonnes, ne restez pas isolés ! Contact : breizhtpe.infos [at] gmail.com