Les jacobins hexagonaux, les académiciens français, seraient-ils devenus anglophiles ? Quand on pense à la vivacité avec laquelle ils ne manquent pas de réagir pour s'opposer au développement des enseignements bilingues et à toute reconnaissance des langues régionales, on s'étonne de leur passivité devant l'envahissement des écrans, des magazines et des commerces français par la langue anglaise. Le phénomène n'est pas nouveau, bien sûr, mais il devient stupéfiant. Petit florilège :
MyTF1 News — The Voice — 55 mn inside — Money Drop — My million — Rising Star — Let's dance — Hit music only (NRJ) — Nespresso, what else ?¬ —Be fruit (Oasis) — Typically Charles (Heidsieck) — Live young (Evian) — Black opium (Saint Laurent) — Life is a beautiful sport (Lacoste) — Drive the Change (Renault), avec Captur, Kangoo, Scenic, Laguna, Master, Maxity, Twingo, Tizzy, Duster, Smart fortwo proxy, Smart forfour — le look de l'hiver avec mon make up, un teint nude et un ½il fashion (Elle)…
Il existe aussi des slogans astucieux qui contournent le problème en sonnant anglais tout en restant français. Comme par exemple la Positive Attitude de Carrefour ou la Creative Technologie de Citroën.
L'excuse selon laquelle nombre de ces produits sont effectivement produits à l'étranger ne tient pas, car leurs noms et leurs slogans s'étalent dans nos journaux et nos magasins. Et c'est bien notre argent que visent leurs diffuseurs ! Quelques autres rappels empruntés au site www.ideeslogan.com :
I'm loving it ! (McDonald) — So good (KFC) — Make believe (Sony) — Connecting people (Nokia) — Drink positive (Lipton ice tea) — For you forever (De Beers) — The power of dreams (Honda) — Way of life (Suzuki) — For successful living (Diesel) ¬— Sense and simplicity (Philips) — Forever sport (Adidas) — The perfect experience (JVC) — Be sharp (Sharp) — Life is Good (LG) — Just do it (Nike) — Think different (Apple) — Simply clever (Skoda) — Be inspired (Siemens) — Leading innovation (Toshiba) — New thinking, new possibilities (Hyundai) — Explore beyond limits (Acer) — Sensing the différence (Whirlpool) — Ideas for life (Panasonic) — Open your world (Heineken) — Invent (Hewlett Packard) — The best or nothing (Mercedez Benz) — Impossible is Nothing (Adidas) — Good Food, Good Life (Nestlé) — iD pants Fit&Feel (culottes d'incontinence) — Color therapy (Fiat ou Jean-Louis David)…
Les titres des séries et des films diffusés ne sont plus traduits. En voici quelques-uns (pas tous, loin de là) relevés dans les programmes du 13 au 16 octobre 2014. Qu'on pense, en les lisant, au respect manifesté aux téléspectateurs non anglophones : Inglourious Basterds, Desperate Housewives, Mad Men, Being human, New Girl, Under the Dome, Very Bad Trip, Strike back, The walking Dead, Killing them softly, The Package, Mentalist, Headshot, Rectify…
À quoi il faut encore ajouter les paroles des chansons et les textes des jeux vidéo.
Je ne suis pas personnellement gêné par cette évolution. Je parle anglais, et j'ai toujours été favorable à la multiplicité des cultures. Etant donnés le galop de la mondialisation et la nullité des écoles françaises en matière de langues, je n'ai cessé de proposer à mes enfants des séjours à l'étranger. Mon dernier fils a suivi les cours de Diwan jusqu'en troisième, et ensuite il a passé un an en internat à Plymouth, de l'autre côté de la Manche. Mais j'ai aussi des parents et des voisins moins chanceux, des ascendants ensouchés comme on dit, vieux Français charmants, qui n'ont jamais eu droit dans leur vie à des cours d'anglais : et c'est un crève-c½ur de les voir humiliés dans leur cuisine ou leur salon, devant leur poste de télévision acheté avec leurs sous, qui leur parle désormais un idiome incompréhensible et les traite comme des has been dépassés. Une grand-mère m'a récemment demandé ce que veulent dire ces low cost dont on la bombarde chaque jour. Il y a des limites à la séduction du changement. Être polyglotte n'est pas mépriser les langues, c'est l'inverse.
Cela dit, en restant positive, c'est à dire en buvant un ice tea de Lipton acheté dans un magasin Carrefour, on se demandera si ce déferlement ne pourrait être une meilleure façon d'apprendre l'anglais que les cours ennuyeux des collèges. C'est un peu ce qu'on pouvait lire entre les lignes dans les articles des années 1970 du génial Ivan Illich, prophète d'une radicale déscolarisation, au motif que l'enseignement généralisé, automatiquement uniformisé, n'est qu'un moyen de conserver les inégalités sociales et de perpétuer l'inculture des masses. Mais c'était là une utopie dont il n'a guère lui-même proposé de concrètes réalisations…
Il semblerait qu'il existe une Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité armée de la loi Toubon du 4 août 1994, donc chargée d'imposer le français dans la vie publique. Mais peut-être ses membres préfèrent-ils surveiller les mairies bretonnes ou basques que les écrans de la télévision et les rayons des supermarchés… On ne s'oppose pas à plus fort que soi ? Ça doit être ça.