D'une fraternité dans l'abattage d'un portique écotaxe en août 2013 [ABP31078] est née une alliance intercatégorielle entre les agriculteurs, leurs transporteurs et les ouvriers d'usines agroalimentaires menacées. Depuis, Le "Collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne" s'est mué en une organisation politique, nouvelle à plusieurs égards.
Une trajectoire politique inattendue
D'une fraternité dans l'abattage d'un portique écotaxe en août 2013
Aussi sur ABP…
Vendredi en début d'après-midi des manifestants ont abattu, près de Guiclan, un portique écotaxe enjambant la route à 4 voies qui relie Brest à Quimper et Nantes.
est née une alliance intercatégorielle entre les agriculteurs, leurs transporteurs et les ouvriers d'usines agroalimentaires menacées afin d'organiser deux rassemblements pacifiques qui furent des succès en novembre 2013
Aussi sur ABP…
L'Agence Bretagne Presse est l'une des meilleures bases d'archives contemporaines sur la Bretagne. De plus elle est accessible en permanence. Elle permet de prouver que l'alliance des Bonnets rouges s'est faite, peu à peu, en cinq ans.
et mirent hors-jeu les syndicats ouvriers qui montrèrent leur faiblesse structurelle
Aussi sur ABP…
Sept organisations syndicales dont les plus importantes étaient la CGT et la CFDT ont appelé à des manifestations, ce 23 novembre, à Lorient, ainsi qu'à Rennes, Saint-Brieuc et Morlaix.. Les
.
Le "
Collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne", qui n'est pas une association déclarée, s'est alors mué en une organisation politique, nouvelle à plusieurs égards.
En appelant à la constitution de comités locaux des Bonnets rouges, il n'est pas certain qu'il ait eu immédiatement conscience de ce qu'il a entrepris, dépassant les problèmes immédiats (écotaxe, entraves administratives, pertes d'emplois) et réussissant à fédérer des dizaines de groupes réunissant des centaines de personnes en quelques semaines.
Qu'est-ce que le peuple des Bonnets rouges ?
Les organisateurs ont été surpris par l'ampleur des rassemblements de Quimper et de Carhaix où sont venus avec un enthousiasme visible des jeunes et des moins jeunes qui n'avaient pas l'habitude de manifester et qui n'auraient pas imaginé qu'ils le feraient un jour. La majorité était ceux que Thierry Merret, syndicaliste agricole, appelle «
les besogneux » : agriculteurs, artisans, chauffeurs, qu'ils soient ou non chefs d'entreprises, ainsi que des ouvriers et des employés modestes. Ils appartiennent à cette classe moyenne et à ces professions intermédiaires du privé (
profession intermédiaire) qui ont le sentiment d'être sacrifiées au profit des couches plus défavorisées, dans lesquelles, ils savent qu'elles risquent d'être reversées.
Le programme unique, c'est la Charte des Bonnets rouges http://bonnetsrougesbzh.eu/charte-des-bonnets-rouges/ et, ce que le Collectif a annoncé : "
des propositions transversales, mais, aussi, des propositions par secteur d'activités à défendre pour libérer les énergies et redonner un élan à l'économie bretonne et ses emplois... Ces propositions, nous voulons prendre le temps de les formaliser et de les faire partager au plus grand nombre et, notamment, à nos organisations dites représentatives" (Thierry Merret, le 30-11-13, à Carhaix). Les deux mot-clés sont le temps et le partage. Les Bonnets rouges estiment sans intérêt de répondre au gouvernement et à son Pacte d'avenir qui sera détaillé en mars 2014, au bout d'un délai insignifiant de 3 mois, calé sur les échéances électorales.
Dans le même discours, Thierry Merret annonce que des cahiers de doléances seront proposés à la signature des Bretons eux-mêmes. C'est l'association vannetaise,
Breizh Impacte, une sorte de laboratoire d'idées dédié à la Bretagne, qui est chargée de les recueillir sur son site et de centraliser les fiches écrites. Il s'agit de doléances individuelles et non pas collectives. http://bonnetsrougesbzh.eu/breizh-impacte-appelle-reporter-la-signature-du-pacte-davenir-gouvernemental-et-participer-au-cahier-de-doleances-ouvert-depuis-le-30-novembre/
Le montage de la machine politique des Bonnets rouges
Dès le 9 décembre 2013, une liste de comités locaux a été publiée, certains déjà pourvus d'une page ou d'un groupe) Facebook http://bonnetsrougesbzh.eu/comites-locaux/. En réalité, la plupart des comités ont été réunis, plus tard, soit par des personnes liées au Collectif, soit spontanément, avec une validation postérieure. 48 comités ont été créés en 1 mois, y compris dans la Diaspora bretonne : Viet-Nam, Hong-Kong, Singapour, Paris-Île-de-France. Dans les comités locaux, se rassemblent beaucoup de personnes qui n'ont jamais participé à une organisation politique et n'imaginent pas d'entrer dans un parti. Lors des réunions, il y a un mot qui n'est jamais prononcé, tant il paraît hors du réel : élection.
L'organisation est plus structurée qu'il n'y paraît. Le Collectif, qui se réunit chaque semaine, à Carhaix-Plouguer, a comme membres,
André Lavanant,
Jean-Pierre Le Mat, Valérie Bescond, Olivier Le Bras, Ronan Le Flécher, Bruno Rosec, Jacques-Yves Le Touze, Éric Nodé, Éric Berder, Yves Michel, et d'autres. Christian Troadec n'est pas un leader tout-puissant, mais, plutôt un porte-voix, passant bien à la télévision et sachant inventer des formules efficaces, grâce à sa triple expérience de journaliste, de chef d'entreprise et d'élu local et départemental.
Trois déclarations, parfois, à la limite de la provocation ; - ultimatum au gouvernement (5-11-13), éventuelle candidature régionaliste à la présidentielle de 2017 (15-12-13), opposition à Notre-Dame-des-Landes, (22-12-13) - ; quoique contestées par certains de ses partisans, lui ont donné une célébrité médiatique quasi-mondiale, une forme d'exploit pour un «
petit » élu. Interrogé par
Le Figaro (16-12-13) sur une
« alliance avec d'autres partis », il déclare :
« Notre volonté est plutôt de rester dans le cadre de notre mouvement et de le structurer pour se donner les moyens d'avoir un candidat (à la présidentielle, NdA)." On va d'ailleurs beaucoup parler de programme dans les prochains mois. Le 8 mars, nous organisons ainsi, avec les Bonnets rouges, les États-Généraux de la Bretagne, à Morlaix, qui seront ouverts à tous les Bretons. Nous y bâtirons un projet alternatif pour la région et nous y évoquerons, bien sûr, 2017. "
Sa candidature éventuelle ne fait pas du tout consensus chez les Bonnets rouges, mais, ils approuvent pleinement ses formules comme « Le peuple breton retrouve sa dignité » et
« il faut refuser les diktats de Paris ».
Les Bonnets rouges, un mouvement inventé pas à pas
Jean-Pierre Le Mat, membre du Collectif, indique que «
les méthodes sont inventées à chaque étape ».
La création de dizaines de comités locaux permet, dès le 5 janvier 2014, de lancer des centaines de gens dans l'opération «
Chacun son pont »
Aussi sur ABP…
Dimanche 5 janvier 2014, les Bonnets rouges de Bretagne ont démenti les pronostics : ils ont survécu pendant la période des congés et s'apprêtent à passer l'hiver. L'opération du 5 janvier, "Chacun son pont" est un succès : des dizaines de ponts visités dans les 5 départements bretons.
. En moins d'un mois a été rassemblée une base militante prête à agir, dans le cadre qui lui est donné. Certains comptes, pages et groupes Facebook et autres comptes Twitter ont des centaines d'amis/suiveurs.
Dans les comités locaux, il y a deux référents (dont 1 pour les réseaux sociaux) et un secrétaire administratif. Le terme de référent semble signifier qu'il doit être une passerelle empruntable dans les deux sens
Aussi sur ABP…
Pour Noël, faites un cadeau à l'association Kentelioù an Noz… Et déduisez-le de vos impôts.
Grâce aux actions menées par l'ensemble de ses adhérents pour promouvoir la langue bretonne sur territoire
. Les sources de financement ne sont pas encore déterminées et l'excédent dégagé par les buvettes et les stands de Carhaix va servir aux États-Généraux de Bretagne, à Morlaix.
Le 11 janvier 2014, 120 délégués des groupes locaux ont rempli une salle du Palais des congrès de Pontivy pour dialoguer avec le Collectif et recevoir leur feuille de route qui comporte les consignes suivantes : les actions doivent être en ligne avec la Charte, les rassemblements publics doivent être soumis à l'avis du Collectif et toute prise de position en faveur d'un parti ou d'un syndicat sera désavouée
Aussi sur ABP…
Le Collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne (VDTB) avait demandé aux référents et aux délégués des quelque 40 comités locaux des Bonnets rouges de se réunir samedi 11 janvier, à Pontivy, pour des échanges. 120 personnes de toute la Bretagne étaient venues, certains avec bonnets et drapeaux.
.
Il n'est pas demandé d'avoir les mêmes convictions sur tout, ce qui a été résumé par Éric Nodé, coordonnateur pour la Cornouaille Ouest : «
Tous Bretons, tous différents ». On a même vu, appliquée à la Bretagne, la devise de l'Europe : «
Unis dans la diversité ». Les Bonnets rouges, surtout les agriculteurs, restent attachés à l'Union européenne, ce qui les différencie
ipso facto des imitations d'extrême-droite et contrairement, à ce que dit la presse, hors de l'écotaxe, la contestation des impôts n'est pas le thème principal, car, il s'agit de trouver des solutions pour la Bretagne et non pas de désigner des coupables.
Les Bonnets rouges, de la base vers le haut
Michel Guénaire, un avocat, partisan de plus d'État et de moins de décentralisation, appelle de ses vœoeux un projet politique pour la France et affirme : «
Quand la classe politique n'est plus capable de définir ce projet, il faut repartir de la société civile. Elle, seule, a la connaissances des besoins, l'expérience du terrain, l'intuition des solutions ». (
Le Monde, 11 janvier 2014). Célébrer la société civile est plus facile à ceux qui sont dans l'opposition qu'à ceux qui gouvernent.
Cette proposition est, en fait, celle des Bonnets rouges, mais elle est appliquée à la Bretagne qui leur semble avoir une meilleure échelle pour la réaliser. Peut-on imaginer sérieusement que la République française, vaste comme un empire, puisse être le théâtre d'une
« (longue) marche » pour
« réussir un nouveau départ du pays », que notre juriste parisien annonce devoir être mis en branle avant 2017 ?
On cherche les précédents et les activités, jusqu'ici peu abouties, des
Indignés (vidéo «
Les Indignés du Bout du Monde ») et des
Parti pirates http://bretagne.partipirate.org ne sont pas vraiment comparables, mais elles montrent que les sociétés civiles revendiquent une place et voudraient des organisations
bottom up et non plus
top down (pyramidales). Une organisation
traoñv-krec'h pour éviter l'anglais, alors que le français n'a pas d'expression courte, même si on propose parfois
auto-construction. Le terme de «
gouvernance populaire » a été avancé par Jean-Pierre Le Mat.
Les Bonnets rouges ne sont pas seulement atypiques, ils font peur
Le projet des Bonnets rouges est atypique et soulève un énorme sujet : la Bretagne est-elle un objet politique autonome par rapport au théâtre politique parisien et est-il capable d'intéresser une majorité de Bretons ? Il remet en cause, simplement en l'ignorant, l'idée de la primauté de l'élection qui remonte à 1790. Très peu d'élus ont soutenu le mouvement et le Collectif, comme les comités locaux, n'accueille les membres qu'à titre individuel. L'inefficacité de la classe politique est critiquée comme ayant partie liée avec un Paris incompétent et trop lointain.
A côté de responsables syndicaux, une petite partie des militants sont issus de la mouvance politique bretonne, mais, plutôt celle qui pousse des objectifs de culture bretonne et n'a jamais voulu adhérer à un parti breton ou en a quitté un. Le pôle ouvrier semble toujours actif et prêt à prendre toute sa place et la question d'un syndicalisme ouvrier breton reste ouverte.
Un effet négatif sur les partis du mouvement breton et des écologistes est aussi possible, voire une sourde rivalité. L'Union démocratique bretonne (UDB) soutient officiellement le mouvement, mais réécrit son slogan en «
Vivre, travailler et décider en Bretagne ». Placer «
décider » en dernier est singulier pour un parti officiellement autonomiste.
Même absents des élections, les Bonnets rouges font peur et feront de plus en plus peur. Les élus s'inquiètent, surtout ceux de gauche qui voient surgir un front indistinct de gens imperméables au clientélisme et au vote de classe et qui met en avant son
« amour de la Bretagne ». Réaction d'un adjoint socialiste à la culture de Plourin-les-Morlaix http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1119714-la-bretagne-est-devenue-le-symbole-d-un-malaise-institutionnel-et-c-est-pas-fini.html . La relocalisation des décisions en Bretagne (Charte) peut être angoissante pour une (petite) majorité de Bretons et, plus encore, de Français et si le nouvel acteur arrive à peser, même de l'extérieur, sur les machines électorales, il sera décrété ennemi public N°1.
Sa durée de vie dépendra de l'écho réel qu'il a et aura dans différentes couches de la société, les plus réfractaires étant celles qui sont liées à l'État pour leur revenu (800 000 personnes et leurs familles selon l'UDB dans
Le Peuple breton, décembre 2013). Il faudra beaucoup d'imagination et de dynamisme pour faire vivre cette APNI (action politique non identifiée).
A la question posée dans le titre, il semble raisonnable de répondre que les Bonnets rouges ne sont pas compatibles avec le système politique français. Leur histoire ne fait que commencer.
Articles précédents sous le même titre :
1
Aussi sur ABP…
Christian Troadec, l'incontesté président de la République des Bonnets rouges, est-il capable de transformer l'essai après avoir réussi à attirer une foule comme on en voit peu en Bretagne dans sa ville de Carhaix-Plouguer ?
Il a dit réfléchir à une candidature régionaliste à la présidentielle de 2017.
2
Aussi sur ABP…
Les Bonnets rouges sont en train de bâtir « une machine politique, et non pas un parti », à partir d'une alliance intercatégorielle (agri-ali-transport), qui a rallié d'autres couches de la population bretonne, principalement des travailleurs indépendants (commerçants, professions libérales), mais, aussi des ouvriers, des employés et des techniciens.
Site officiel des Bonnets rouges : http://bonnetsrougesbzh.eu
Page Facebook officielle des Bonnets rouges : BonnetsRougesOfficiel
Compte Twitter officiel des Bonnets rouges : @bonnetrougeBZH
Christian Rogel
Commentaires (10)
If you cannot beat it , join it .
Une note optimiste : Leur histoire ne fait que commencer .
Bravo pour l'Etat en complete deliquescence et cela s'accentue.
Cette annee est cruciale ....... pour changer la Courbe / evolution Bretonne.
Si vous n'avez pas lu cet entretien, il est d'actualité: http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/06/13/ni-austerite-ni-keynesianisme_3429242_3234.html
A propos du slogan de l'UDB "vivre, travailler et décider en Bretagne" c'est un raccourci du slogan de 1978 "Pour vivre et travailler en Bretagne, il faut décider en Bretagne", slogan repris dans le titre d'un tract UDB de novembre dernier. Ca n'est donc pas la réécriture du slogan du collectif, et encore moins de la récupération.
Kenavo
Les dates suffisent à montrer que l'UDB s'est inspirée du slogan du Collectif VDTB : celui-ci l'a dévoilé à la veille de la manifestation de Quimper (2-11) et il a été repris, modifié de la manière indiquée, sur la une du numéro de décembre du "Peuple breton", qui boucle au milieu de novembre.
Hypothèse : l'UDB a trouvé qu'il correspondait tout à fait à son positionnement (ce que vous confirmez en mentionnant 1978), mais, ne pouvait le reproduire tel quel, d'où le petit compromis, presqu'habile.
Il n'empêche que le moment n'était pas fortuit.
Le plus intéressant est que la revendication de la décision ait été avancée d'un cran après plus de 30 ans.
Cela sera-il compris par les Bretons? Trop tôt pour le dire.