Après avoir rendu un vibrant hommage au Docteur Jean-Paul Moisan, le généticien nantais décédé accidentellement le 17 août dernier, l'Institut de Locarn a entamé vendredi sa 5e Université d'été. Citant le très sérieux hebdomadaire Der Spiegel "La France a raté sa globalisation", Joseph Le Bihan a encore une fois tiré la sonnette d'alarme à propos de deux menaces qui pèsent sur la Bretagne : le naufrage avec le paquebot France caractérisé par une désindustrialisation croissante et la désintégration possible de la région Bretagne selon une fracture entre une Haute Bretagne qui devient de plus en plus une extension de la région parisienne et une Basse Bretagne océanique qui se raccrocherait au mieux à l'Europe du Nord et qui, au pire, serait marginalisée.
Le président de l'Institut, Alain Glon, notant l'échec des échanges avec l'ancien président Sarkozy après plusieurs invitations à l'Élysée de représentants de la revendication bretonne, propose de "larguer les amarres", de prendre des distances. La France perdrait 1% de compétitivité par an. Les chefs d'entreprises bretons n'ont même pas besoin de se mettre en grève car "ils le sont déjà par manque de commandes et les pertes de marchés" a déclaré Alain Glon à ABP. Pour lui, l'agro-business breton n'a pas de futur avec la France : "Nous voulons être une Hollande, pas une Beauce".
Claude Champaud, ancien membre du CELIB, a bien différencié le financialisme "un autre veau d'or", le dirigisme ou colbertisme, qu'il fait remonter au Thomisme, et le capitalisme entrepreneurial, source de prospérité. Pour Champaud, il ne faut ni suivre la voie du Royaume-Uni, qui a liquidé son industrie et embrassé le financialisme, ni suivre la voie française restée dans l'esprit dirigiste et qui "subventionne sa protection sociale en empruntant l'argent de ses petits-enfants" (la France emprunte 700 millions d'euros par jour pour fonctionner, avait révélé Alain Glon lors d'une précédente session de l'Institut). Garder l'entreprise au centre de l'ordre sociétal mais "en réindroduisant l'Humanisme dans l'économique", c'est ce que propose Claude Champaud.
C'est le sujet abordé par Jean-Luc Baslé, vice-président de l'institut de Locarn. La banque centrale européenne (BCE) veut sauver l'euro. Elle achète de la dette (200 millards déjà) mais faire marcher la planche à billets a ses limites ou alors c'est l'inflation --ce qui terrifie les Allemands. L'euro ne peut être sauvé sans un fédéralisme européen et la France jacobine s'y oppose, tout d'abord parce que le concept de fédéralisme est complètement étranger à sa culture et ensuite parce que l'État-nation veut garder à tout prix ses privilèges régaliens. La France est aux prises avec une contradiction majeure qui risque de lui être fatale et qui se résume dans cette phrase de Chirac : "il faut faire l'Europe sans défaire la France". En gros, les jacobins veulent avoir le beurre et l'argent du beurre et tout le monde, sauf eux, sait que c'est impossible. Pour Jean-Luc Baslé, c'est un autre trilemme de Rodrik car on ne peut avoir l'Europe, l'État-nation et la démocratie, tout à la fois. Sans fédéralisme, une politique monétaire commune est impossible.
A noter la remarque pertinente du professeur d'économie Jean-Claude Malaguti présent à cette Université d'été. Une politique monétaire commune doit être définie par la BCE, mais "il faut une BCE indépendante et fédéralisée comme aux USA. La BCE et les BCE de chaque pays doivent être indépendantes des institutions politiques. Les politiques fiscales sont sous le controle des institutions politiques mais pas les politiques monétaires." Plusieurs états américains ont une succursale de la banque centrale appelée federale reserve avec des spécificités comme des taux d'intérêts propres. "Etant donné la grande surface de la zone euro, il devrait y avoir une BCE centrale à Bruxelles, appuyée par des BCE par pays ; par exemple, la BCE de la France, la BCE de l'Allemagne, la BCE de l'Italie", précise Jean-Claude Malaguti.
Pour Alain Glon et Henri Lagarde, il faudrait que les PME bretonnes aient la même fiscalité que les entreprises allemandes pour pouvoir être sur un pied d'égalité. Jean-Luc Basle propose d'aller plus loin, et de suivre l'exemple danois. Il faudrait transférer toutes les charges sociales sur la TVA. La faire passer à 25 % et alléger le coût du travail et donc de nos produits. Bien sûr, seul l'État français peut opérer une telle réforme... sauf si l'Europe se dote d'un pouvoir politique suffisamment fort pour unifier les fiscalités des entreprises sur tout le territoire européen.
La Bretagne doit continuer de développer ses PME. C'est sa force. 90% des entreprises bretonnes ont moins de 20 salariés mais il faudra instaurer un small business act breton pour encourager la croissance de nos PME et éviter qu'elles disparaissent ou soient bouffées par des grands groupes francais basés à Paris ou par des multinationales.
Jean Ollivro, qui prépare un ouvrage sur le foncier en Bretagne, a rappelé que les atouts de la Bretagne étaient non seulement sa cohésion sociale (la région où il y a 3 fois plus de bénévoles qu'en France, le moins de vols et le plus de propriétaires) mais aussi son territoire ancré dans des villes moyennes à taille humaine et non loin de cette façade maritime qui, dans le passé, fut toujours source de prospérité. "La Bretagne a toujours été prospère lorsqu'elle était maritime", a réaffirmé avec pertinence le géographe.
Philippe Argouarch