- Rapport -
Pour Reporters sans Frontières la France en passe de rejoindre les ennemis d’Internet
Reporter sans frontières a rendu un rapport sur les pays ennemis d'Internet et ceux qui tendent à le devenir. La France est durement pointée parmi ces derniers, non sans raisons.
Par Louis Bouveron pour ABP le 14/03/12 19:28

Reporter sans frontières a rendu un rapport sur les pays ennemis d'Internet et ceux qui tendent à le devenir. La France est durement pointée parmi ces derniers, non sans raisons.


Carte des pays ennemis d'Internet dans le monde

Le rapport met en cause des pays qualifiés d'ennemis d'Internet. Principalement en Asie (Corée du Nord, Chine, Vietnam, Birmanie), dans le monde arabe (Bahrein, Arabie Saoudite, Syrie, Iran), parmi les autocraties d'Asie Centrale (Ouzbékistan, Turkménistan), auxquels s'ajoute sans surprise Cuba et la Bélarussie où le blocus du web craque de partout, notamment à cause de la proximité de la Russie. Et d'autres pays qui s'apprêtent à rejoindre la bande des ennemis jurés de la Toile, notamment la France, ou encore la Russie, l'Inde, la Turquie (qui pourtant veut rejoindre l'Europe et donc se trouvera bien amenée à se mettre en conformité avec le droit européen), Sri Lanka ou encore les Emirats. Et même la Tunisie révolutionnée où les islamistes sont arrivés au pouvoir.


Premier grief : la politique de l'actuel gouvernement de Paris par rapport aux médias. Deux journalistes de Rue89 et un journaliste de France Inter ont été mis en examen le 30 août 2011 sur plainte du groupe Bolloré, à la suite de leurs informations concernant les activités de ce groupe au Cameroun. Le ministre de l'Intérieur Claude Guéant a, quant à lui, retiré sa plainte contre Médiapart4 qui accusait les services de renseignements français d'espionner ses journalistes. Le rapport pointe aussi l'extrême frilosité du gouvernement face aux nouveaux médias, notamment les sites d'information pure player (en ligne, sans édition papier), moins contrôlables, surtout s'ils s'abstiennent de demander des subventions, ce que Mediapart n'a pas fait (voir le site) Pourtant, le droit positif évolue, et le droit de la presse s'applique maintenant aux blogueurs www.rue89.com/2011/10/08/la-cour-de-cassation-etend-le-droit-dela-presse-aux-blogs-225347 suite à l'affaire Fansolo d'Orléans (voir le site)


Deuxième grief : HADOPI, qui même pour les Nations Unies, va a contrario de la liberté d'expression. Frank La Rue, rapporteur spécial pour la liberté d'expression des Nations unies, a affirmé que “couper l'accès Internet des utilisateurs, quelle que soit la justification fournie - et ceci inclut les lois relatives à la violation de la propriété intellectuelle - est une mesure disproportionnée. Cette disposition contrevient à l'article 19, paragraphe 3, du Pacte international sur les droits civils et politiques”. Le rapporteur de l'ONU dénonce nommément dans son rapport “la riposte graduée en France”. L'interprétation exclusivement répressive du droit d'auteur en France est en ligne de mire de Reporteurs sans Frontière, qui persiste à demander l'abrogation de la loi HADOPI. Et la récente signature des accords ACTA, à l'insu du peuple, n'arrange rien à la liberté d'expression en France…


Troisième grief : le développement du filtrage, pourtant contraire à la liberté d'information pour la Cour de Justice de l'Union Européenne, mais propulsé en France sous des couvertures telles que la protection des publics sensibles (mineurs) ou encore des consommateurs (contre les fraudes, les publicités mensongères). Le projet de décret d'application de l'article 18 de la loi de 2004 pour la confiance dans l'économie numérique prévoit la mise en place d'un large filtrage administratif du net (voir le site) en trois étapes. L'ordre de filtrage ou de retrait pourra être donné par plusieurs ministères, mais aussi une énigmatique Autorité nationale de défense des systèmes d'information, promue en Big Brother français, et ce sans recours ni procédure judiciaire, ce qui ne manque pas de contrevenir aux fondements du droit administratif français, notamment des principes généraux du droit exprimés dans l'arrêt ARAMU (Conseil d'Etat 26/10/1945 (voir le site) ) . La procédure se trouverait donc rangée du côté des mesures de sécurité, alors même qu'elle contrevient à des libertés fondamentales … comment est-ce possible en France, pays démocratique et des droits de l'Homme ?


Enfin, dernier des plus importants reproches : des sociétés françaises – et bretonnes – sont aujourd'hui à la pointe de la répression internet dans le monde. La société qui filtre tout le net français pour assurer le respect de la loi Hadopi s'appelle Trident Media Guard et est basée à Saint-Herblain, en Loire-Atlantique (Bretagne). En août dernier, le Wall Street Journal visitait un centre d'interception des télécommunications à Tripoli et confirmait qu'Amesys, société française du groupe BULL, dont France Telecom est actionnaire, avait bien fourni à la Libye son système Eagle de surveillance massive de l'Internet, notamment l'interception des emails9 sur les messageries Hotmail, Gmail et Yahoo!, ainsi que la surveillance des messageries instantanées MSN et AIM ; le groupe français Bull a annoncé ces derniers jours qu'il va céder les activités de sa filiale Amesys – basée à Aix en Provence, mais dont une implantation se trouve à Rennes – liées au logiciel Eagle (voir le site)


Les évolutions mises en cause sont particulièrement inquiétantes pour la liberté et l'ouverture du net. Alors qu'en Iran va être mis en place un internet « halal » (lire à ce sujet le dernier Courrier International), va-t-on un jour arriver en France, par trop de laisser-aller tant des juristes que des consommateurs, à un système fermé et filtré ou rien ne dépassera de la doxa, où l'information sera elle-même mise en coupe réglée au profit des baronnies médiatiques déjà en place ? Partout, l'accès au net est restreint car les Etats qui ne sont pas démocratiques ou affectent de l'être craignent pour leur stabilité face au cri de liberté de tout ou partie de leur peuple. Partout pourtant ces stratégies sont vouées à l'échec. La Russie elle-même hésite entre deux voies, et choisira probablement la liberté : elle a plus à gagner en s'affirmant pour la liberté contre les droits d'auteurs, en accueillant les successeurs de MegaUpload et les Anonymous, en réinventant la démocratie sur la Toile. De plus, il est de fatalité historique que l'on a beau bloquer, les Russes passeront toujours à travers les mailles : la civilisation du second degré et la force du samizdat acquises pendant l'Union Soviétique auront raison de plus d'une dictature.


En revanche, ce rapport effleure une question qui mérite d'être posée clairement : la France est-elle une démocratie ? Un pays qui subventionne à fond ses médias, qui fait sa politique selon les amitiés du régime, qui fait des dictateurs et notoires ploutocrates le soutien premier de sa politique étrangère, qui piétine les droits de l'Homme qu'il vénère lui-même comme fondement, qui empêche par tous les moyens l'expression de ses minorités nationales, où un candidat qui représente 1/5e de l'électorat a un mal fou pour pouvoir se présenter aux présidentielles… les règles de présélection étant dignes du Second Empire, où le débat politique est cantonné à la tyrannie des petites phrases et de la dictature de divers principes de précaution, un pays dont les lois sont liberticides et enfreignent les principes juridiques même… est-il une démocratie ?


S'il ne l'était pas, beaucoup de pays érigés en modèles de la démocratie ne le seraient peut-être plus non plus. Mais qu'est-ce qui importe, le modèle ou la réalité ? L'image d'Epinal ou la pratique, la vie vécue dans un pays qui se croit démocratique et s'illusionne, en réussissant le tour de force de faire accroire à son peuple qu'il n'y a de plus grand défenseur de la démocratie que lui ? Nous, Bretons, avons le droit à l'alternative. Dès maintenant.

Document PDF Rapport : pays ennemis d\'Internet 2011. Source :RSF
Voir aussi sur le même sujet : internet, liberté, démocratie, RSF
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Étudiant en droit-histoire expatrié en Orléans, passionné par l'histoire et le patrimoine de la Bretagne. S'intéresse aussi à l'économie bretonne et à l'actualité de Loire-Atlantique.
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