L'aigle de la neuvième légion est un film réalisé par Kevin McDonald d'après une adaptation du livre de Rosemary Sutcliff The eagle of the ninth legion, une auteure anglaise. Un roman donc, mais qui se moque de la vérité historique et colporte tous les clichés habituels sur les Celtes et sur les druides d'avant la conquête romaine.
Les acteurs qui jouent les Pictes, dits aussi Calédoniens (la Calédonie est l'ancien nom de l'Écosse), parlent le gaélique, ce qui est un anachronisme puisque les Gaéls ne sont arrivés d'Irlande en Écosse, qu'après 450 alors que l'action du film se passe en 140 après JC. On sait aujourd'hui que les Pictes parlaient une langue brittonique ancêtre du gallois et du breton. Seulement 6.000 personnes parlant le gaélique en Écosse, Kevin McDonald a même dû aller compléter son casting à Belfast.
Le message du film serait que l'honneur et la fidélité (des relents nazis indiscutables) sont au-dessus de l'attachement d'un individu à une nation, à ses traditions, à sa famille, à sa culture et la mémoire de ses ancêtres. Honneur et fidélité ? à son ami ou à son peuple ? tel est le dilemme d'Esaca. Le Briton Esca trahira les siens pour servir le centurion Marcus Aquila qui lui a sauvé la vie.
L'histoire se déroule au nord de l'Île de Bretagne où l'armée romaine fait face aux Celtes insoumis qu'ils appellent "Pictes" car ils se tatouaient ou se peignaient de bleu (dans le film ils sont surtout couverts de boue). Un mur construit sous l'empereur Hadrien séparait les deux zones. Le centurion, Marcus Aquila, affecté dans une des garnisons du mur, de son propre choix, est là pour enquêter sur le sort de son père, commandant de la IXe Légion romaine qui aurait été anéantie au delà du mur d'Hadrien 20 ans auparavant.
La disparition de la IXe Légion dite Hispania en Calédonie est juste une légende, on sait simplement qu'elle cesse d'apparaître dans les textes romains vers cette époque. Quoi qu'il en soit, l'histoire du film tourne autour de Marcus Aquila (l'acteur Channing Tatum) qui se lance dans la reconquête de l'honneur de sa famille et de Rome en allant à la recherche de l'emblème de la Légion perdue : son aigle d'or. Il est aidé dans cette aventure par Esca, de la nation des Brigantes, qui, lui, va déshonorer et trahir son père, sa famille et ses origines celtes. Son père est lui aussi mort en héros, mais justement contre la IXe Légion !
Les Romains sont des héros, les Pictes des sauvages et les Britons des salauds mais bons bourrins, tel est le message du film, même si de temps à autre les acteurs se posent quelques questions métaphysiques sur l'impérialisme et la colonisation.
Le film est bourré d'anachronismes, d'anticeltisme grossier et d'invraisemblances. D'un côté des Romains courageux et téméraires, de l'autre des Celtes libres dépeints en vrais sauvages. Au milieu, des Britons – que la version française nomme "Bretons" – personnifiés par l'esclave Esca qui deviendra le fidèle serviteur du centurion. On l'aura compris, il n'y a que deux options pour les Celtes de la Britannia : être un sauvage ou être un esclave de Rome (en terme moderne un collabo).
Pas étonnant que les druides y soient représentés, non pas comme de sympathiques Merlin à la barbe blanche genre père Noël, mais comme des chamanes hystériques, hirsutes et assoiffés de sang. Un enfant de 10 ans, dont on se demande bien comment il a pu arriver avec les guerriers poursuivant les Romains lors d'une course à pied effrénée – la seule qualité que le film reconnaît aux Celtes : ils courent vite ! – est même égorgé en sacrifice devant les Romains médusés. Le film finit dans une bataille ridicule où une douzaine de vieux vétérans légionnaires , survivants de la IXe, met une trempe à une centaine de guerriers celtes. Pas moins que ça.
Qu'aucune femme n'apparaisse dans ce film machiste ne surprend pas vu les valeurs prônées et l'ambiance kameraden... Quelle occasion manquée quand on sait le rôle essentiel que jouaient les femmes celtes dans la paix comme dans la guerre. La reine Cartimandua des Brigantes et Boudica reine des Icenis menèrent même les armées celtes contre l'invasion romaine.
Avec de telles histoires à la gloire de l'impérialisme on ne sera pas étonné que l'auteure anglaise Rosemary Sutcliff ait reçu en 1992 le prestigieux titre de Commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique. Entre l'empire romain et l'empire britannique, il n'y a que 20 siècles et le pas est vite franchi, du moins pour ce qui reste de cet empire sous le nom de Royaume-Uni. La sortie de cette co-production anglo-américaine au moment où l'Écosse parle d'indépendance ne peut être le fruit du hasard et ceci, même si le metteur en scène est lui-même écossais.
Philippe Argouarch