Ex-arbitre international avec 151 matchs de Ligue 1 entre 1996 et 2006 à son actif, Bruno Derrien est un spectateur privilégié des coulisses de la vie des clubs de football. Impossible de couper le sifflet de ce Brestois d'origine retiré des terrains. Aujourd'hui consultant télé, il a couché souvenirs et confidences dans « À bas l'arbitre » , un livre qui cartonne. Il y raconte que la vie de l'homme en noir n'est pas toujours rose : pressions, menaces, intimidation…
ABP - Comment avez-vous attrapé le virus de l'arbitrage ?
Bruno Derrien - Un peu par hasard, dans la cité Kerbernard de Brest où je vivais. J'ai constitué une équipe de foot avec mes voisins de palier et suis devenu, sans le vouloir, organisateur de tournoi. Je n'avais jamais joué au foot, mais j'arbitrais. Christian Guéganton, un arbitre – un vrai – qui officiait le week-end dans les recoins de la pente de Bretagne m'a repéré et mis le pied à l'étrier. À 15 ans, me voilà jeune arbitre du district du Finistère Nord et dix ans plus tard promu au niveau national.
Vous semblez avoir du caractère. Seriez-vous une forte tête ?
Je suis breton. Je ne suis pas un pantin.
Au point d'attaquer en justice lorsque vous êtes mis sur la touche après Bordeaux-Lyon, un match raté en septembre 2005 ?
Je ne me laisse pas faire. Le Conseil d'État a rejeté ma requête en mai 2007 un an après la fin de ma carrière en Ligue 1. Comme les joueurs, comme les entraîneurs, tous les arbitres traînent des casseroles. J'en ai deux en 17 ans d'arbitrage chez les pros. Je ne possède pas toute une batterie de cuisine (rires).
Vous racontez, dans votre livre, les menaces de mort reçues.
Oui, par téléphone après la rencontre Lens-Marseille. Un matin, je me suis rendu dans mon QG du Rouergue, dans le XVIIe arrondissement de Paris. J'ai alors senti une animosité à mon égard et n'y ai pas remis les pieds de sitôt.
Layec, Déru, Bré, Dagorne, … Vous formiez une bonne bande d'arbitres bretons.
Jeunes, nous étions vraiment très soudés. Le foot, l'arbitrage, la compétition ont tué nos relations. Parmi les arbitres, mes grands amis étaient Éric Déru et Gildas Quiniou, homonyme de Joël dont le père était brestois et la mère concarnoise. J'ai passé des vacances chez Bertrand Layec à Vannes. Lorsque j'ai été dégagé en 2006 à la suite de l'affaire des classements, je n'ai pas reçu de marque de soutien de leur part, si ce n'est un mèl de Stéphane Bré.
La vie d'un arbitre de haut niveau est pleine de sollicitations.
Comme on est un personnage important dans le match, on nous bichonne. Les petites attentions sont nombreuses : petite piscine dont sont équipés tous les grands vestiaires de foot, chablis offert pour le premier match à Auxerre ou petite coupe de champagne d'après match comme le veut la tradition au Havre. Sauf cette soirée où j'ai expulsé un joueur local pour un tacle. Entre le coup de sifflet final et ma rentrée au vestiaire, les dirigeants ont fait enlever le champagne.
À côté de gentlemen comme Laurent Blanc ou Bruno Martini, d'autres entraîneurs méritent un carton rouge.
À l'image de Didier Deschamps qui est un sanguin. Lors d'un match Monaco-Bastia que j'arbitrais, il a lancé : « Ce soir, l'arbitre est un grand malade. » Je l'ai alors invité à regagner la tribune. Savez-vous qu'il est concarnois par sa femme ?
Que dire de Guy Roux ?
C'est l'entraîneur le plus rusé que j'aie connu. Guy Roux est un type brillant et malin. Jamais dans l'outrance ou l'insulte, il ne laisse rien au hasard. Il est entré eux fois sur le terrain sans avoir été expulsé du banc de touche. Coup d'envoi de PSG-Auxerre dans les fumigènes. Personne ne voit rien. But de Paris. Guy Roux entre sur le terrain. Le but est refusé. Il revient tranquillement sur son banc. Du grand art !
Quel dirigeant de club vous a laissé le plus mauvais souvenir ?
C'est Monsieur Aulas dont certaines méthodes sont inacceptables. Il met la pression sur les arbitres avec des huissiers, comme je l'ai vécu à Caen. J'ai froid dans le dos lorsque que je sais qu'il fiche les arbitres. Selon la gravité des faits, les dirigeants peuvent être interdits de vestiaire ou de terrain pour un temps. Ils sont rappelés au devoir de leur charge, selon la formule consacrée. Ce n'est pas vraiment dissuasif. Donc, Tapie n'est pas le dirigeant qui m'a donné le plus de boutons.
Au lendemain du match Marseille-Lens, vous tombez sur Bernard Tapie à Quiberon. Un souvenir mémorable.
Lors de la séance des tirs au but des seizièmes de finale de la coupe de la ligue, je vais commettre une erreur grossière. Ce 10 janvier 1999, je ne valide pas le but du Marseillais Eric Roy qui a frappé la barre transversale avant de rebondir de l'autre côté de la ligne. Le lendemain, je rejoins mes collègues en Presqu'île de Quiberon. À mon arrivée à l'hôtel, je croise Bernard Tapie qui est venu retrouver la forme. « Ce n'est pas thalasso qu'on devrait te payer, mais une cure d'ophtalmo » , me dit-il.
Est-ce facile de faire abstraction des commentaires des journalistes ?
Lorsque vous vous êtes planté sur un gros match, vous avez la hantise des titres de la presse et des montages faits à la télé autour du match. Vous ne le vivez pas forcément bien lorsque tous les quarts d'heure, France Info passe en boucle votre erreur. Les journalistes ont même appelé chez mon père à Brest. Papa était mon premier supporter et il vivait très mal les polémiques.
Avez-vous des regrets ?
Depuis tout gamin, j'avais un rêve : arbitrer la finale de la coupe de France. Avec mon père, nous avions pris l'habitude d'y assister ensemble. Il est décédé le jour de la finale de la coupe de France entre le Paris Saint-Germain et Chateauroux. Le 2 juin 2005, un an après son enterrement, jour pour jour, j'arbitrais la finale de la coupe de France. C'est pour moi une injustice terrible, profonde qu'il n'ait pas été là. Lorsque j'ai sifflé la fin du match Auxerre-Sedan, j'ai embrassé le ciel.
Propos recueillis par Ronan Le Flécher
À bas l'arbitre : pressions, menaces, intimidation – Bruno Derrien & Raphaël Raymond – éditions du Rocher – 216 pages – 18 €