Disparition d'une grande figure de la culture bretonne Ivona Martin (Brest, 1907 - Brest, 2005)
Née le 29 septembre 1907 à Saint-Marc, commune de la périphérie brestoise où l’on parlait alors encore largement breton, Ivona Martin se prit d’amour pour cette langue à l’adolescence, apprit à la maîtriser parfaitement à l’écrit au contact de Roparz Hemon qui venait de créer la revue littéraire Gwalarn à Brest. Avec une poignée d’autres jeunes Bretonnes, elle eut l’occasion de bonne heure de l’aider dans des tâches matérielles telles que l’envoi de numéros de la revue et de livres et elle côtoya ainsi de près quelques-uns des plus grands écrivains de langue bretonne des années 1930. Ivona Martin ne devait plus jamais cesser d’œuvrer pour la langue et la culture bretonnes tout au long de sa vie.
Ayant obtenu son brevet à 17 ans, elle partit alors durant un an comme institutrice à l’île de Sein où elle put vivre dans un environnement totalement de langue bretonne, puis, à 18 ans, elle revint à Brest ayant pu entrer à la Société Générale. Son intelligence, son ardeur au travail et son sens du contact lui valurent de gravir peu à peu les échelons au sein de cette banque jusqu’au niveau de chef de service, responsable du secteur portefeuille. Elle prit sa retraite quarante ans plus tard, à l’âge de 60 ans, mais continua à être alors plus active que jamais au service de la langue bretonne.
Après la guerre, elle avait déjà été pendant vingt ans, la gérante de la revue mensuelle en langue bretonne Ar Bed Keltiek (Le monde celtique), dont le rédacteur en chef était Roparz Hemon. Ce dernier habitait alors à Dublin où il centralisait les informations et d'où il envoyait ensuite le contenu rédactionnel à Brest. Cette revue réalisée avec de modestes moyens - elle était dactylographiée et polygraphiée par les soins d’Ivona Martin - reste un modèle de rigueur et de clarté en matière d’information et une source d’inspiration pour le journalisme en langue bretonne jusqu’à aujourd’hui. Elle fut aussi une des correctrices de Skol Ober, l’organisme d’enseignement du breton par correspondance créé en 1932 par une autre Bretonne, Marc’harid Gourlaouen (1902-1987). On doit aussi à Ivona Martin d'avoir su très tôt entrevoir le talent d'une humble paysanne du Trégor, avec laquelle elle s'était liée d'amitié dans une même passion pour la langue bretonne : Anjela Duval (1905-1981). C’est elle qui l'encouragea à écrire en breton, qui l'aida à maîtriser la langue écrite, qui la présenta à Ronan Huon (1922-2004), directeur de la revue littéraire Al Liamm et de la maison d’édition du même nom, et qui l'incita à poursuivre une œuvre poétique de très grande ampleur entièrement en langue bretonne. Ivona Martin écrivit elle-même de nombreux textes dans des revues de langue bretonne sous le nom de plume de Barba Ivineg, dont Arvor, puis Al Liamm.
Bretonne humble et discrète, mais animée par une foi fervente, Ivona Martin ne cessa de consacrer une grande partie de son temps aux autres et notamment aux laissés pour compte de notre société. Elle fut ainsi pendant de très nombreuses années une "écoutante" de SOS Amitié et elle soutint aussi l'action de mouvements comme Amnesty International et l'Association des Chrétiens Contre la Torture (ACAT). Sa porte fut toujours ouverte à tous ceux qui étaient dans la détresse. Son regard clair et son sourire rayonnant de bonté durent remonter le moral à bien des gens rencontrés sur la route de sa vie.
En 1995, à Guérande, Ivona Martin avait été distinguée pour son engagement au service de la langue et de la culture bretonnes par la remise du Collier de l'Hermine, cette distinction qui remonte au duc de Bretagne Jean IV et qui a été remise à l’honneur depuis une vingtaine d’années pour honorer les femmes et les hommes qui ont bien servi la Bretagne.
Ivona Martin est décédée le lundi 7 février, à Brest et ses funérailles ont été célébrées le jeudi 10 février en l'église Saint-Joseph du Pilier Rouge, à Brest (mais, contrairement à sa demande expresse d’avoir des funérailles en langue bretonne, celles-ci se sont déroulées quasi exclusivement en français à part quelques cantiques traditionnels, ce que l’on ne peut que déplorer vivement).
Bernard Le Nail
Philippe Argouarch