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La Bretagne, un des grands centres de production de saumon fumé en Europe
Qui aurait imaginé, il y a seulement 50 ans, que la Bretagne deviendrait un des grands centres de production de saumon fumé en Europe alors qu'elle n'a aucune tradition culinaire
Par Bernard Le Nail pour ABP le 13/04/09 14:07

Qui aurait imaginé, il y a seulement 50 ans, que la Bretagne deviendrait un des grands centres de production de saumon fumé en Europe alors qu'elle n'a aucune tradition culinaire dans ce domaine et que la matière première de cette activité industrielle est inexistante en Bretagne et doit être importée de très loin, notamment d'Alaska, à plus de 8 000 km de la Bretagne ? Pourtant cette activité, née en Bretagne, il y a déjà près de 40 ans, y fait vivre directement ou indirectement plusieurs milliers de salariés et y paraît solidement établie. Aucun spécialiste de l'aménagement du territoire entendant décider depuis des bureaux à Paris de la "vocation" économique des régions de l'hexagone n'aurait jamais pu prévoir un tel développement qui démontre que le développement économique ne se décrète pas, mais est d'abord dû au dynamisme, à l'intelligence, à l'esprit d'entreprise et au goût du risque des entrepreneurs. Depuis longtemps, un pays d'Europe qui n'est pas plus grand que la Bretagne et qui a moins d'atouts naturels qu'elle, nous en donne l'exemple : les Pays-Bas. Ce pays dont une grande partie du territoire vit sous la menace de la mer, est depuis longtemps déjà un des leaders mondiaux de l'industrie agro-alimentaire.

À la différence des pays du nord de l'Europe, la Bretagne n'a aucune tradition de fumaison de poisson. Certes, les archives révèlent des importations de poisson fumé venant des pays riverains de la mer du Nord et de la mer Baltique à la fin du Moyen Âge, en particulier dans le cadre des échanges avec les ports hanséatiques, mais pour des montants modestes. Sous l'occupation allemande, entre 1940 et 1944, une activité modeste de fumaison a été développée en quelques points du littoral pour l'alimentation des soldats de la Kriegsmarine, mais, apparemment, sans qu'il y ait eu transmission d'un savoir faire à des professionnels bretons. Pendant très longtemps, le saumon fumé a été un produit totalement absent de la table des consommateurs, un produit vendu uniquement dans les épiceries fines ou servi seulement à la carte des restaurants de luxe, un produit d'importation ou de simple production artisanale.

C'est largement à des Bretons et en particulier à un Carhaisien d'origine extrêmement modeste, Pierre Chevance, que l'on doit la "démocratisation" et l'incroyable explosion de la consommation de saumon fumé à partir des années 1970.

Né à Carhaix le 11 mars 1912, Pierre Chevance était le fils d'un pauvre sabotier installé dans le bois du Fréau, puis au bourg de Poullaouen. Sa mère, Marie-Joséphine, tenait une crêperie place de la mairie. Orphelin très tôt, il quitta l'école pour garder les vaches dès l'âge de 14 ans. C'est son instituteur, M. Le Moigne, qui le poussa vers l'hôtellerie en lui disant : 'Tu auras chaud, tu seras nourri et logé', comme se plaisait à le rappeler Pierre Chevance. Cuisinier apprenti à l'hôtel de la Poste à Morlaix, il y apprit son métier. À 17 ans, il partit à Paris et travailla dans plusieurs restaurants.Après son service militaire à Brest, il ouvrit dans cette ville son premier restaurant, rue Monge, mais les bombardements le détruisirent totalement. Il repartit à Paris et y tint le "Chicago", puis le "Faucon". Il devint rapidement propriétaire de plusieurs établissements, dont le plus réputé fut "Les noces de Janette", un restaurant capable d'accueillir des banquets de mariages et de congrès avec plusieurs centaines de convives. C'est la difficulté qu'il éprouvait comme restaurateur à se produire du saumon fumé de qualité - c'était alors un produit de luxe - qui lui donna l'idée d'en devenir producteur. En 1967, Pierre Chevance vendit toutes ses affaires à Paris et revint au pays. Il reprit deux piscicultures, à Conval et à Pont ar Gorret, les mit aux normes et commença le fumage de truites dans un atelier créé à Poullaouen. Ce fut le début de cette belle ascension industrielle. Fondateur de "Saumon PC" en 1970, il allait vulgariser la consommation du saumon fumé en France et faire de la Bretagne la première région française de cette spécialité agro-alimentaire. Il l'avait montée de toutes pièces, la développant sans cesse au cours des années. Saumon PC devint pendant une brève période le n° 1 du saumon fumé en Europe et fut ainsi l'un des fleurons industriels du Centre-Bretagne puisque l'entreprise employa jusqu'à un millier d'employés en pleine saison, avant les fêtes.

L'exemple de Pierre Chevance allait faire des émules. Peu à peu le filon du saumon fumé attira d'autres industriels bretons qui cherchaient à se diversifier. Les unités industrielles se multiplièrent et la concurence devint très vive, tirant les prix vers le bas. De plus, le saumon fumé perdit au fil des années son image de produit haut de gamme. Le fils de Pierre Chevance, Robert Chevance (né en 1936), n'avait pas les qualités de son père. De plus les temps avaient changé, Saumon PC, avait perdu son monopole et était entré dans une période de difficultés financières. A l'isssue d'une longue érosion et de conflits, la société déposé son bilan en 1996 et, au début de 1998, la société fut reprise par le groupe industriel norvégien Pan Fish. Pierre Chevance vécut avec amertume cette période de difficultés économiques et la vente de son entreprise qui représentait toute sa vie, toute sa réussite. Il mourut à Concarneau en septembre 1999.

L'usine de Poullaouen, spécialisée dans la transformation du saumon d'origine sauvage, pêché en Alaska, salé au sel sec, fumé au bois de hêtre et avec 4% de matières grasses appartient aujourd'hui à la société Marine Harvest Kritsen, filiale de puis 2007 du groupe norvégien Marine Harvest, leader mondial de l'élevage de saumon.

La société N°2 français du saumon fumé a réalisé un chiffre d'affaires de 120 millions d'euros, compte 400 salariés et sa production annuelle de saumon fumé atteint les 7 825 tonnes et les produits de la mer, 1 150 tonnes.

Pierre Chevance fut un des hommes qui inspirèrent à Per Jakez Hélias le personnage de "Vent de Soleil", héros du roman du même nom. Ce personnage d'un Breton parti de rien et devenu un homme riche et puissant grâce à son travail et à son courage, fut aussi inspiré du destin d'un autre entrepreneur breton, lui aussi parti de rien : François Caillarec, qui prit également part à l'aventure du saumon fumé breton.

François Caillarec naquit le 12 décembre 1904 à Lanvénégen dans une famille de très modestes paysans dont il était le sixième enfant. Il entra à l'école située dans le bourg à 4 km de son village, en septembre 1913, ne connaissant alors pratiquement pas un mot de français. Il dut la quitter à l'âge de 12 ans pour aider ses parents à la ferme, son frère Yves yant été tué sur le front le 16 octobre 1916 et son autre frère Jean-Louis ayant été grièvement blessé lors de la retraite de Belgique. Constatant qu'il était trop chétif pour les durs travaux de la ferme, ses parents l'envoyèrent à l'école missionnaire des Pères de La Salette, mais il n'avait manifestement pas de vocation religieuse et il revint à la ferme. Adolescent malingre, il ne mesurait à 15 ans que 1,42 m et ne pesait que 38 kg. Un de ses camarades d'école, Louis Evenou étant parti travailler en région parisienne, chez un maraîcher de Maisons-Alfort, François Caillarec décida de suivre son exemple, mais, étant trop frêle pour travailler dans le maraîchage, il trouva une place de petit commis chez un épicier et fut chargé de faire des livraisons avec une brouette ou une charette dans Maisons-Alfort, puis, comme il était sérieux et appliqué, il put commencer à prendre lui-même des commandes. Il travailla en suite chez d'autres patrons, dont un marchand de confiserie.

François Caillarec fit son service militaire à Saint-Brieuc et devint ensuite représentant en matériel d'alimentation en Bretagne et en Normandie, durant plusieurs années. Fait prisonnier en 1940, il fut envoyé dans un camp en Allemagne, mais tombé sérieusement malade, il fut autorisé à rentrer en Bretagne en 1942. Il poursuivit son activité de représentation en bicyclette, dans la région de Quimper. En 1945, il s'installa comme commerçant. C'est seulement en 1952, à l'âge de 48 ans qu'il fut acheter une maison et un local, en faisant un emprunt. Il eut alors un premier collaborateur, Corentin Daniel, qui devait travailler avec lui pendant dix ans. C'est à la fin de 1955 qu'il créa la CAPIC (Construction d'Appareils Pour l'Industrie et la Cuisson) à Quimper. Les cinq premières années furent extrêmement difficiles, mais, peu à peu, il parvient à se faire une place sur le marché et, à 60 ans, il décida avec son fils de construire une nouvelle usine. Le 24 mars 1967, la CAPIC comptait déjà plus de 100 employés. La Capic est l'une des rares entreprises familiales françaises spécialistes du matériel de cuisson, essentiellement professionnel. Elle fabrique des fourneaux, des cuisines professionnelles, des blocs de cuisson, des friteuses, des marmites, des sauteuses, des fours, des comptoirs pour self service, des tables inox et des et matériels pour l'industrie agroalimentaire. Depuis 1955, cette société familiale équipe des restaurants commerciaux ou collectifs, des charcutiers traiteurs et les industries agroalimentaires. Toujours basée à Quimper, cette entreprise de 140 personnes affiche haut et clair sa dimension familiale et son ancrage breton. Ses deux principales gammes se nomment “Celtic” et “Armen”. Elle exporte 25 % de sa production.

C'est dans le cadre de la CAPIC que François Caillarec mit au point une cabine à fumer baptisée Smok-A-Matic. Il partit alors aux États-Unis pour une convention de l'American Meat Institute qui se tenait à Chicago et qui était doublée d'une exposition de matériels destinés aux industries de la viande; il réussit à y prendre quelques commandes. Il se rendit aussi dans le même but à Vich, près de Barcelone, puis à Moscou en 1971... Il avait déjà 67 ans.

C'est en 1972, alors qu'il avait déjà 68 ans qu'il créa une nouvelle entreprise : "Armoric" pour la production de saumon fumé, peu de temps donc après que Pierre Chevance se soit lancé dans ce 'créneau' nouveau. Installée à Rosporden, la société Armoric devait être revendue en 1979 au groupe Miko, puis transférée, quatre ans plus tard, dans de nouveaux locaux à Quimper. En 1994, la société Armoric était rachetée par trois actionnaires, puis, en 1999, elle reprenait la société Profumer, basée à Lorient et spécialisée dans diverses espèces de poissons fumés et du carpaccio. En 2001, la société Armoric rachetait au groupe vendéen Pasquier la société Narvik installée à Landivisiau, qui avait été créée en 1988 par René Gad. En 2005, Gilles Charpentier est devenu l'actionnaire majoritaire de l'ensemble qui a pris le nom de Mer Alliance, regroupant les activités des anciennes sociétés Armoric, Narvik et Profumer.

Frère de René Gad, Yvon Gad avait créé à Landivisiau la Scab (Société commerciale alimentaire bretonne) pour le saumon fumé, devenue Kritsen en 1998 et vendue en 2001 au norvégien Aalsundfish; Kritsen y emploie 250 personnes. Elle serait aujourd'hui la quatrième entreprise française de saumon fumé...

Si l'on met à part la société landaise Labeyrie, créée en 1946 à Saint-Geours de Maremne et également bien connue dans le domaine du foie gras, la Bretagne apparaît bien aujourd'hui, de loin, comme la première région de production de saumon fumé de l'hexagone, une activité à laquelle rien de la prédestinait vraiment.

Cet article a fait l'objet de 4028 lectures.
Bernard Le Nail est un écrivain fondateur de la maison d'édition LES PORTES DU LARGE. Contributeur ABP
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Vos 1 commentaires
Danielle chevance Le Dimanche 8 mai 2022 12:50
Quelques inexactitudes et des oublis ... mais intéressant...!!!!
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