Quand le jacobinisme freine l'essor des régions…
Il y a sans doute parmi vous des personnes qui ne connaissent pas (encore !) la Bretagne, cette péninsule à l'Ouest de l'Europe qui fait face à la Cornouailles britannique. La Bretagne actuelle n'est en réalité que la petite Bretagne en référence à l'ancienne île de Bretagne appelée aujourd'hui « Grande Bretagne » d'où les premiers Bretons ont migré. Ne soyez donc pas étonnés de retrouver des toponymes communs de part et d'autres de la Manche. Les langues sont très proches en témoignent les langues bretonne et cornique, deux des dernières langues celtiques issues de la branche brittonique. Mais point de celtomanie puisque la civilisation celte a marqué toute l'Europe et notamment l'Europe centrale (Hallstatt).
De quand date la conscience bretonne ? On peut estimer qu'il y eut plusieurs sursauts nationalistes dans l'Histoire de Bretagne. Il serait un peu anachronique de parler de « nation » à l'époque des rois de Bretagne, un peu moins à celle de la duchesse Anne de Bretagne (qui, à son époque, réalisa un tour de Bretagne) et de l'État breton. La Bretagne perd son indépendance en 1532, mais le tournant principal viendra avec la Révolution Française. J'y reviendrai…
Il serait plus juste de dire que le nationalisme breton naquit véritablement à la fin du XVIIIe siècle, s'intégrant ainsi pleinement dans le mouvement romantique européen (Eveil des nationalités dans l'Europe du XIXe siècle). Le vicomte Hersart de La Villemarqué et son Barzaz Breiz fédère les Bretons autour de ce recueil de chants populaires. Ces « romantiques » étaient également appelés « libéraux » au sens politique du terme. Le mouvement politique et culturel breton s'intensifie au sortir de la première guerre mondiale puis dans les années 1970 avec le Cheval d'orgueil de Per Jakez Helias, avec Xavier Grall ou Glenmor, Alan Stivell…
Depuis, il est clair que la conception de la République Française imaginée de Paris est de moins en moins appréciée. Car à l'inverse des nations sans État qui la constituent, la France a bâti son identité autour de son État et souvent par la force. La centralisation a commencé avec la royauté et s'est trouvée renforcée après la Révolution Française quand la Révolution, menacée par les monarchies européennes a conduit les leaders politiques à choisir l'unité autour de l'État. Les Bretons gagnent alors des droits individuels, mais perdent leurs droits collectifs. La Bretagne n'est plus considérée comme une entité parce que le nouveau contrat social ne donne de droits qu'aux individus. La Bretagne, de même que les autres régions/nations de France est dépouillée de son identité.
Aujourd'hui, en France, le débat entre les girondins (partisans d'une organisation décentralisée de la République) et les jacobins (partisan de la centralisation) renaît. La notion de « jacobinisme » est donc très française et est utilisée pour décrire la centralisation excessive du territoire. Un seul exemple : le budget de la Culture est destiné à 60 % à la région parisienne alors que la région représente « seulement » 20 % de la population et 2 % du territoire. A l'inverse, les défenseurs de la reconnaissance de droits collectifs pour les minorités sont qualifiés de « communautaristes » . Ma question est donc la suivante : comment doit-on qualifier un tel privilège d'une seule région ?
La centralisation française a toujours été de pair avec une politique continentale ce qui, d'un point de vue géopolitique, a affaibli la Bretagne, incapable de profiter de l'atout majeur que constituait la mer alors qu'aux XVe et XVIe siècle, elle possédait la première flotte de cabotage d'Europe. C'est encore la logique centre-périphérie qui prévaut pour l'octroi de certaines aides européennes : la Bretagne a bénéficié pendant un temps de fonds servant à « désenclaver » la région (elle qui fut un carrefour pendant si longtemps).
Du point de vue de la langue, cette centralisation s'est accompagnée d'un dogmatisme féroce : l'abbé Grégoire, en 1794, publie son « Rapport sur la Nécessité et les Moyens d'anéantir les Patois et d'universaliser l'Usage de la Langue française » dans lequel il affirme que seule « l'usage unique et invariable de la langue de la liberté » (comprenez le français) ne devrait être valable en France.
Il faut attendre 1951 pour que la loi « Deixonne » donne timidement l'autorisation d'enseigner les langues régionales en France. Depuis cette date, et malgré de multiples combats, rien ! Cette idée de langue unique persiste malheureusement en France et explique pourquoi l'Académie Française et les sénateurs ont refusé l'intégration des langues régionales dans la Constitution en mai dernier. Pour ne pas être trop incisif envers ces institutions d'un autre temps, je constate que face aux incompréhensions de la population française et de nombreux parlementaires (tous bords confondus), le Sénat est revenu sur son refus et a accepté l'inscription des langues régionales non pas à l'article 1 de la Constitution, ni même à l'article 2 qui traite de la nation, mais à l'article 75. On savait que cette inscription n'apportait pas de droits nouveaux, elle n'apporte pas non plus le symbole d'une France respectueuse de ses identités. Il convient de noter qu'il ne saurait être question d'une co-officialisation des langues !
Alors qu'il est clairement entendu que l'unité française n'est pas menacée par le développement des langues régionales, l'État s'entête si bien que la situation linguistique du breton est assez dramatique. Si rien n'est fait, il est probable que la langue disparaisse à l'horizon de la moitié de ce siècle. En 2004, la Région Bretagne où l'UDB siège a voté à l'unanimité une politique linguistique ambitieuse qui visait à atteindre 20.000 élèves scolarisés en filière bilingue d'ici 2010. Il est très peu probable que nous atteignions ce chiffre et ce, par le manque de volonté de l'État.
Le Conseil Régional de Bretagne a sollicité la compétence « politique linguistique » à plusieurs reprises au titre du droit à l'expérimentation de même que la possibilité de de création de poste afin de disposer d'un levier d'action. Refus. Malgré une politique volontariste de la Région et une forte demande sociale, l'apprentissage du breton stagne, voire diminue en ce qui concerne les lycées.
De plus, dans le contexte actuel marqué par la politique libérale du gouvernement qui consiste à supprimer des milliers de postes dans l'enseignement, la suppression des matières dites secondaires (Arts Plastiques, langues…) est accélérée. Comment sauver la langue quand le niveau demandé est d'une faiblesse telle qu'il est quasiment impossible de tenir une conversation ? La réalité, c'est que le breton ne survit en Bretagne que grâce au travail remarquable des associations et notamment de Diwan, l'école bretonne par immersion.
La France est, rappelons-le, l'un des rares États de l'Union à ne pas avoir ratifié la Charte Européenne des langues minoritaires alors que c'est une condition sine qua non pour les nouveaux adhérents de l'Union ! Ironie de l'Histoire, la mention « La langue de la République est le français » avait été ajoutée pour protéger le français… de l'anglais ! Aujourd'hui, le Conseil Constitutionnel la retourne contre les langues régionales.
A tort ou à raison, l'État-Nation est perçu par les dirigeants politiques comme un rempart contre les méfaits de la mondialisation. Ce nationalisme d'État est couplé d'une crispation identitaire depuis la signature du traité de Maastricht. L'uniformisation culturelle autour de son identité contraste singulièrement avec l'idéal européen (unis dans la diversité), idéal en perte de vitesse évidente. La Mondialisation a bouleversé le rapport au monde : d'un monde qui croît, on passe à un monde fini, fragile, au village planétaire (d'où l'importance également du combat écologique). Chaque culture doit pouvoir s'exprimer et l'essor d'internet peut y contribuer.
Mais la conception du monde et des Droits de l'Homme française est restée la même : franco-centrée. La France, au sein de l'Union Européenne a toujours joué un rôle ambiguë : père fondateur, mais principal frein au développement des programmes majeurs. Pourquoi avoir refusé la Communauté Européenne de la Défense en 1954 ? Pour vous l'expliquer, laissez-moi vous citer quelques phrases d'anciens chefs d'État français :
De Gaulle : Cette action vise à atteindre des buts qui, parce qu'ils sont français, répondent à l'intérêt des hommes (...)
Pompidou, premier ministre : La France doit jouer le rôle de l'Europe (et non "un rôle en Europe".)
Mitterrand : Cet indéfinissable génie qui permet à la France de concevoir et d'exprimer les besoins profonds de l'esprit humain.
Jacques Chirac, dans la tradition gaulliste, a lui aussi exprimé cette vision dans ses discours et il est très probable que M. Sarkozy fasse de même…
Vous l'aurez compris, pour l'UDB, il ne s'agit pas d'opposer les identités, mais de les additionner ! Les régions constituent l'échelon essentiel pour mettre en contact le local et le global. Malheureusement, ici encore, la France impose son veto institutionnel en refusant l'autonomie pour ses régions. Alors que la quasi-totalité des États européens sont décentralisés ou dont les régions sont autonomes, la France persiste à croire que le pouvoir doit s'exercer de Paris, d'une voix unique. Cette vision a pour conséquence la déstructuration des territoires bretons, mais également corses, basques, occitans, flamands, alsaciens, catalans… Est-il concevable que les régions administratives ne gèrent que 3% de l'argent public ?
Le centralisme renforce les effets négatifs du libéralisme. L'actualité en Bretagne nous a donné raison à de nombreuses reprises nous qui développons le concept de « vivre et travailler au pays » . En quelques mois, l'État s'est attaqué aux services publics et notamment les tribunaux et les hôpitaux ce qui a mobilisé des milliers de personnes dans les rues au premier rang desquels le maire de Carhaix, une petite commune de Bretagne, Christian Troadec, également membre du groupe UDB-Gauche Alternative au Conseil Régional de Bretagne. Une fois n'est pas coutume, le pouvoir central a cédé face à l'ampleur de la mobilisation comme à l'époque de Plogoff où une centrale nucléaire devait s'installer en Bretagne.
La France, du fait de ses lourdeurs administratives, sclérose le développement régional malgré les politiques. La volonté de Michel Rocard de « décoloniser la Province » se terminera lorsque les régions seront autonomes. Cette conception d'une République efficace ne va bien évidemment pas sans solidarité envers les régions les plus défavorisées. L'Europe des États-Nation défendue par la France est périmée.
Vous l'aurez compris, messieurs, mesdames, la France reste campée sur des positions archaïques au regard des autres démocraties européennes. C'est donc par nous-mêmes que nous essayons de faire entendre notre voix en répondant présent à ce genre d'invitations. Au nom de mon parti, au nom de la Bretagne et des peuples de France et d'ailleurs (j'en profite pour remercier également l'Alliance Libre Européenne qui donne aux peuples sans État la possibilité de s'exprimer), je vous remercie donc chaleureusement pour votre accueil et votre écoute.
Pour l'Union Démocratique Bretonne, Gaël Briand, Budapest, le 18 août 2008