Parmi les nombreuses variétés de fromages que les Bretons se sont mis à fabriquer pour valoriser le "fleuve de lait" qui n'a cessé de se gonfler depuis une cinquantaine d'années en Bretagne, il y a eu évidemment le cheddar, un fromage qui serait né au XIIe siècle en Angleterre, dans le Somerset, où se trouve le village de Cheddar.
Certains historiens pensent que ce fromage serait en fait beaucoup plus ancien et aurait été amené dans l'île de Bretagne par les légions romaines, qui auraient appris à l'apprécier en Gaule; c'est ce que laisse entendre un texte de Pline. Le cheddar serait en fait apparenté à l'actuel cantal, fromage déjà fabriqué par les Arvernes dans leurs montagnes au début de notre ère. Mais aucun Anglais n'admettra jamais bien sûr que ce fromage soit d'origine celtique...
Les consommateurs de l'hexagone qui ont déjà le choix, paraît-il, entre 365 fromages autochtones – un pour chaque jour de l'année – et qui se sont mis à apprécier aussi certains fromages étrangers, néerlandais, allemands et italiens surtout, ne se sont pas précipités sur ce fromage d'outre-Manche, il faut bien le dire.
Pourtant la production et la consommation de fromages de type cheddar sont très répandue dans tous les pays qui ont appartenu, à un moment ou à un autre, à l'Empire de sa gracieuse majesté : États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, etc., et le cheddar serait aujourd'hui le fromage le plus produit et le plus consommé dans le monde entier. On en fabrique au Brésil et même maintenant en Chine. C'est le fromage que l'on trouve en particulier dans les hamburgers de Macdonald et des autres enseignes de restauration rapide qui se sont multipliées extrêmement vite depuis quelques années sur toute la surface du globe.
Connaissant la méfiance des ménagères anglaises à l'égard des produits venant du continent, une laiterie-fromagerie de Fougères, la Blanche Hemine (Nazart), s'était lancée, il y a plus de 20 ans dans la production de cheddar, mais elle avait baptisé son fromage du nom de "Channel Islands Cheddar", laissant ainsi penser que les meules de fromage venaient bien de l'autre rive de la Manche, mais d'un territoire dépendant de la Couronne, sans préciser lequel; ce n'était ni Jersey, ni Guernesey, ni Sark. Cette production de cheddar breton restait modeste. Elle s'est arrêtée définitivement avec la fermeture de la laiterie Nazart-La Blanche Hermine en 2007.
Mais voici maintenant que des industriels du continent s'apprêtent à déclencher leur grosse artillerie et à attaquer le marché anglais avec du cheddar produit en Cornouaille armoricaine.
Le groupe Entremont Alliance a engagé un investissement de 6 300 000 euros pour permettre à son usine de Quimper de produire bientôt 22 000 tonnes de cheddar par an, tout en continuant sa production d'emmental à raison de 10 000 tonnes par an. Cette usine absorbera bientôt 800 000 à 1000 000 litres de lait par jour ! L'invasion du marché anglais se prépare...