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- Chronique -
Une enfance bretonne dans les années soixante-dix à Nantes
J’entends encore résonner mes pas sur le parquet ciré. Les lattes chantent à mes oreilles de leur craquement familier. Et un doux parfum, mélange de vieux bois, d’encaustique et d’humidité froide vient titiller mes narines. Je suis seul. Je rêve à mes lointaines racines paysannes ancrées entre Loire et Vilaine. Ce Morbihan rural que mes […]
Par pour Koun Breizh le 3/10/24 22:09

Une enfance bretonne dans les années soixante-dix à Nantes

par Koun Breizh | Oct 2, 2024 | Libre parole, Réflexion | 0 commentaires

J’entends encore résonner mes pas sur le parquet ciré. Les lattes chantent à mes oreilles de leur craquement familier. Et un doux parfum, mélange de vieux bois, d’encaustique et d’humidité froide vient titiller mes narines. Je suis seul. Je rêve à mes lointaines racines paysannes ancrées entre Loire et Vilaine. Ce Morbihan rural que mes grands-parents paternels, paysans sans terre, ont dû quitter en 1911 pour vendre leurs maigres carcasses aux Forges de Basse-Indre.

J’ai 15 ans. Et j’aime ces dimanches après-midi à déambuler seul dans les salles du Musée d’art et traditions populaires installé dans le bâtiment du Grand Gouvernement du château des ducs de Bretagne. L’une des résidences de la mythique duchesse Anne, la dernière souveraine du duché. J’y viens dès que je le peux. Je ne sais plus aujourd’hui si l’entrée était gratuite ou non, mais s’il fallait s’acquitter d’un droit d’entrée, il ne devait être que de quelques francs… J’y viens un peu comme en pèlerinage depuis que ma sœur aînée est partie poursuivre ses études de l’autre côté du Rhin. C’est elle qui m’y a emmené la première fois, qui m’a fait découvrir cet univers onirique et nourricier. Je n’avais pas 10 ans et ces grandes vitrines emplies des artefacts de la vie bretonne d’autrefois m’avaient littéralement saisi d’émerveillement. Au-delà des mots de l’histoire familiale rapportée par mon père, des visites annuelles à son vieux parrain dans sa pauvre ferme au sol en terre battue à Caden, et des premiers 33 tours d’Alan Stivell (Olympia), de Tri Yann (Tri Yann an Naoned) et Gilles Servat (La Blanche Hermine) que ma sœur écoutait alors en boucle, cette première visite avait donné corps à ma bretonnité naissante. Naissante car si la question de l’appartenance ne se posait pas dans la famille, tellement elle était une évidence, la confrontation avec ces objets m’a permis de commencer à percevoir ce que cela signifiait. Par héritage naturel, je n’avais pas eu à affronter le stade de la découverte ou de l’ignorance, mais viscéralement je sentais la nécessité de trouver des résonances physiques et matérielles à ce sentiment d’appartenance à ce peuple breton dont je n’avais alors qu’une conscience éthérée. Je ne le savais pas, je n’avais pas encore lu Morvan Lebesque, mais la raison sous-jacente de cet émoi adolescent n’était-elle pas dans cette question : comment peut-on être Breton ?

La révélation de cette collection de costumes traditionnels, présentée à mes yeux d’enfant comme le plus beau des trésors dans l’écrin du château ducal, a provoqué en moi un djabadao de sensations enivrantes, me renvoyant, dans un aller-retour incessant, vers la Fête des châtaignes qui chaque année à l’automne voit alors défiler place Viarmes les meilleurs bagadoù et kevrennoù, le Gwenn ha Du brandi à bout de bras. À la maison, c’est aussi la fête ce dimanche-là où l’on reçoit à déjeuner les grands-parents maternels. Après le rôti de bœuf et le roulé au moka, nous filons sur la place, distante de quelques centaines de mètres de l’appartement familial. Les groupes font le tour de l’esplanade avant de se produire sur scène alors que les lumières vives et les micros racoleurs de la fête foraine annoncent des réjouissances ludiques. Sur cette place nantaise enveloppée d’effluves de marrons grillés, de bourru, de cidre et de jus de pomme, à quelques centaines de mètres de l’ancien relais de chasse du duc François II (détruit sous le municipe du socialiste Alain Chenard), nul ne peut, porté par les envolées de binious et de bombardes, imaginer dans ces années soixante-dix ne pas être Breton !

Et ces tenues qui virevoltent au gré du rond du Croisic, de la gavotte de Plougastel et autre dérobée de Guingamp, je les retrouve là dans ces vitrines. J’ai tout le loisir de les observer, les admirer. De laisser traîner mon regard sur les arabesques tortueuses et colorées des broderies du Pays Glazik, béer devant la finesse des broderies des coiffes du Pays de Fouesnant et la démesure de celles du Pays Bigouden dressées comme si elles voulaient défier le ciel ou des chapeaux aux bords extra larges du Pays guérandais. Boucles de ceinturon en cuivre ou en laiton, boutons savamment ciselés, chapeaux ronds à long et large ruban de satin, botoù-koat, pen bazh, faïences, broches, cuillères en bois ouvragées, lits-clos, aquarelles, pastels… le musée est un condensé d’ethnographie armoricaine. Ou du moins parait-il ainsi à mes yeux. Une invitation à entrer dans les secrets de l’altérité bretonne que d’aucuns, encore aujourd’hui ont de la peine à appréhender quand ils ne la nient pas tout simplement. Je ne sais encore rien de l’absence de rigueur muséographique, mise en avant en 1997 pour expliquer, en partie, la fermeture du Musée d’art et traditions populaires bretons de Nantes. Je ne connais pas plus les relations entretenues par Stany Gauthier, conservateur du château de 1922 à 1969 auquel on doit cette collection, avec des pétainistes durant la Seconde Guerre mondiale. Mais pour les détracteurs de l’identité bretonne, la tentation est toujours vive d’assimiler le Breton dans son ensemble à un dangereux fasciste, en lui lançant à la figure le passé plus que trouble de quelques individus qui se sont fourvoyés dans la collaboration. Quitte à nier la part importante de la Bretagne dans la Résistance et le tribut qu’elle a payé à la libération de la France.

Qu’importe ! J’ai 15 ans. Je ne sais encore rien de tout cela et suis encore moins expert en la matière. Ces costumes traditionnels bretons, qu’ils soient du XIXe siècle ou qu’ils aient été fabriqués en 1950, me parlent. Peu me chaut que cette collection ait pu être constituée à des fins politiques pour vanter les mérites d’une Bretagne fantasmée, comme l’assurent d’aucuns. Mais que connaît-on réellement des intentions de Stany Gauthier quand il constitue cette collection entre 1925 et 1950 ? Certes, en 1977 ce musée, sacralisé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, semble figé dans le temps. Et peut-être est-ce cela qui me plaît également ? Une certitude, il réveille en moi le vieux chant de nos pères. C’est la touche qui libère le marteau pour faire vibrer la corde, comme dans un piano. Un concerto d’émotions et surtout une envie folle d’en apprendre plus sur cette Bretagne dont le pouvoir central nous a séparés d’un trait de plume en 1941. Même si la Révolution avait substitué bien avant les nouveaux départements aux anciennes provinces, la bretonnité du pays Nantais était inscrite dans les esprits. Ces costumes, je les retrouve le soir, dans ma chambre, allongé sur mon lit. Ils se meuvent à la lecture des « Légendes de la mort » d’Anatole Le Braz, du « Barzaz Breizh » d’Hersart de la Villemarqué, du « Guide de la Bretagne mystérieuse » de Gwenc’hlan Le Scouëzec que j’aurai la chance de rencontrer bien plus tard à Braspart, du « Cheval d’orgueil » de Pierre-Jakez Hélias et de son contradicteur « Le cheval couché » de Xavier Grall… Sans oublier les heures passées à imprimer au plus profond de ma rétine les dessins des tenues traditionnelles, croquées au fil des pardons par Mathurin Méheut ou René-Yves Creston. Avec la transmission paternelle, les 33 tours des seventies bretonnes, ces livres, ces images et ce musée ont constitué ma base spirituelle, émotionnelle et tellurique. Celle où sont ancrées profondément les racines qui permettent de grandir dans la connaissance de soi. J’ai su avec le temps, l’âge avançant, prendre mes distances avec cette Bretagne un brin romantique et un certain pan-celtisme fantasmagorique pour m’intéresser à la vision politique de la question bretonne. Mais le souvenir du musée breton de Nantes reste intact. Non pas comme la nostalgie de mon adolescence mais pour ce qu’il a apporté dans la constitution de l’homme que je suis devenu.

Aujourd’hui, la collection Gauthier a été retirée, après inventaire et récolement. D’aucuns disent qu’elle dort dans les réserves du Musée des civilisations européennes et méditerranéennes à Marseille ! J’ai vérifié l’information et la direction du Mucem assure qu’il n’en est rien. Où est-elle alors ? Quimper ? Rennes ? Est-elle conservée dans les réserves nantaises ? Le nouveau Musée d’histoire de Nantes, toujours dans le château des ducs de Bretagne, n’en présente plus que quelques pièces exposées dans une petite vitrine : deux plastrons, deux coiffes et des objets du quotidien, non pas pour rappeler l’histoire de cet ancien musée folklorique mais pour illustrer, disent les conservateurs, la construction mémorielle de Nantes au XXe siècle, à une époque où la question territoriale et identitaire était prédominante. Finalement, la responsable du service de la conservation du musée du château me rassure : non, la collection n’a pas été dispersée. Les 5 000 pièces de Bretagne, et à moindre mesure de Vendée, qui la composent, issues de dons, d’achats et de collectes essentiellement effectuées dans les années 1920 et 1930, sont précieusement conservées dans les réserves. Certaines pièces textiles, notamment les coiffes, ont souffert de leur exposition passée dans des conditions loin d’être optimales, brûlées par le soleil. Toutefois, elles restent des objets d’études tant pour les chercheurs que les restaurateurs. Cette aimable personne m’assure également qui si la collection Gauthier n’est pas effectivement valorisée à ce jour, elle devrait l’être un peu plus dans les années à venir. Reste qu’il faut encore franchir quelques écueils, sachant que Stany Gauthier n’avait pas le souci de la véracité ni de la traçabilité quand il montait ses mannequins, pour certains d’entre eux, dans des assemblages hasardeux s’affranchissant de l’époque et du lieu d’origine. Une démarche à l’antithèse des critères et de la rigueur muséographiques d’aujourd’hui où l’histoire de l’objet est tout aussi importante que sa symbolique. Je ne m’en souvenais plus, mais la responsable de la conservation me précise que le musée d’art populaire régional, qui était à l’origine une sous-section du Musée d’art décoratif avant que les deux musées ne soient dissociés en 1939, a occupé jusqu’à treize salles du château. Parmi les dernières, ouverte en 1961, la salle Noëlie-Couillaud. Cette aquarelliste a fourni de nombreux dessins au musée mais ses accointances racialistes et fascisantes permettent à d’aucuns aujourd’hui de jeter le voile du doute sur les intentions de Stany Gauthier !

Quoi qu’il en soit de ses motivations réelles et de ses arrangements avec l’authenticité – vrai sujet d’étude – l’intérêt ethnologique de sa collection est indéniable. Elle rappelle l’ancrage de Nantes dans l’histoire de la Bretagne, réduite depuis la réouverture du château en 2007 à la portion congrue.

Personnellement, je n’ai jamais oublié ce musée du passé ni la joie qu’il m’a procurée. J’en garde sans doute un souvenir aux images déformées par le prisme complexe de la mémoire que l’on sait fragile, mais son empreinte est bien là. Ce musée m’a ouvert les voix de la connaissance de l’altérité bretonne que je ressentais en moi sans pouvoir la définir. Et il m’a également donné l’envie de découvrir ce qu’il en est ailleurs… Il m’a surtout forgé un imaginaire dont personne ne pourra me priver.

Dominique Bloyet

journaliste

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