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- Interview -
La Mutation agro-alimentaire bretonne : Rencontre avec Alain Glon
La « success strory » du groupe Glon et de ses trois frères : Alain, André et Noël, est une vraie saga bretonne contemporaine. Sur fond des Trente Glorieuses et ensuite du contexte problématique de la France des vingt dernières années, elle illustre les mutations d'une économie agricole
Solange Collery Par Solange Collery Communication le 11/02/08 15:23

La « success strory » du groupe Glon et de ses trois frères : Alain, André et Noël, est une vraie saga bretonne contemporaine. Sur fond des Trente Glorieuses et ensuite du contexte problématique de la France des vingt dernières années, elle illustre les mutations d'une économie agricole traditionnelle devenue un des secteurs agro-alimentaires parmi les plus performants d'Europe. Au début des années 60, les frères Glon, nouvelle génération d'une famille de minotiers, reprennent le moulin. Attachés à leurs repères culturels, délibérément pragmatiques et avides de modernité, ils ne savent pas encore qu'ils vont créer un empire, « leader de la nutrition animale ». En 2007, date à laquelle, la majorité de ses parts sera cédée à Sofiprotéol, le Groupe Glon dégage un CA de 1, 235 milliards d'euros et emploie dans ses diverses filiales 3800 personnes.

Rencontre avec Alain Glon PROPOS RECUEILLIS PAR SOLANGE COLLERY

Monsieur Alain Glon, pouvez-vous nous donner quelques éléments sur vos origines et votre départ professionnel ?

Je suis né en 1941 dans le moulin de Belle-Isle, près de Loudéac. Nous vivions en quasi autarcie. Mon père avait trois ou quatre employés, des chevaux et des charrettes. Il n'y avait pas encore d'électricité à la campagne. Mon père avait eu l'idée de mélanger le son du moulin avec les céréales que les paysans nous confiaient pour la mouture. Dans les périodes de basses eaux, nous alimentions la locomobile avec du son. Nourris et blanchis, sans salaire jusqu'au service militaire, nous avons travaillé au moulin, avec mes frères, sans nous poser de question. Il y avait du travail. Nous le faisions. Nous ne savions pas ce qui se passait dans le monde. Mais nous reprenions l'affaire familiale dans un contexte très stimulant. Les écoles d'agriculture transféraient du savoir et de nouvelles pratiques. La concurrence entre école privée et école publique créait de l'émulation. Il n'y avait pas d'interdits. L'avenir était ouvert. Notre tradition culturelle faisait effet de levier. La population rurale était nombreuse, courageuse, avec une probité et un esprit d'initiative partagés. Nous ne prenions jamais les choses par le haut et nous cherchions techniquement à faire un peu mieux chaque jour – bien faire ce que l'on devait, faire le bonheur des autres, et l'argent viendrait de surcroît.

Nous étions des responsables habitués à déployer une forte activité pour charger nos sacs de farine et bien conscients de l'atout que constituait la possession d'un moulin et de sa force motrice. Nous avons progressivement réalisé que nous pouvions aller toujours plus loin, en cherchant les bonnes solutions et en étant perpétuellement en éveil. Il s'agissait d'observer et d'innover.

Comment se sont déroulées les premières étapes de votre parcours économique ?

Si les camions apparus dans les années 50 permettaient d'étendre les activités, les années 60 et 70 furent celles du changement d'échelle. Nous avons quitté la rivière et le département des Côtes d'Armor pour nous installer près de la voie ferrée qui nous apportait nos approvisionnements de la Beauce. Nous changions de voiture et nous passions à la dimension industrielle de production d'aliments pour animaux. C'étaient les Trente Glorieuses. On osait ! Sont arrivés, les vitamines, les tourteaux, les matières grasses. Partout des entrepreneurs développaient leurs activités, dans l'abattage, dans la transformation de volailles ou de porcs, les œufs, le fromage. La Bretagne était la championne du monde des exportations de poulet. Les années 70 furent fantastiques. Le progrès s'inscrivait dans nos méthodes de travail, dans notre mode de vie. Les richesses s'accroissaient. La croissance fut régulièrement de 20% par an jusqu'aux années 80. Plus besoin de porter les sacs, les livraisons se faisaient en vrac, nous avions inventé le dispositif qui le permettait. Nous construisions des silos en bois couvert en tôle ondulée. Quelle époque !

La maturité du Groupe a coïncidé avec les remises en questions ?

Si vous voulez. Dans les années 80-90, la France se replie dans un cocon administratif avec un Crédit Lyonnais propriétaire de 25% des actifs industriels de la France. Le modèle économique auquel nous adhérions était remis en question. Le palier dans la croissance a mis à mal les entreprises qui ne conservaient leur équilibre financier que par la croissance. Des rapports de force déséquilibrés entre les différentes chaînes de production, éleveurs, producteurs d'aliments ont suscité des faillites en dominos... Les difficultés des entreprises faisaient craquer les corporatismes pour faire entrer le secteur économique dans une logique de filières. Nous aurions aussi dû faire craquer dans le même temps les représentations des corporatismes. Elles subsistent encore.

Dans ce contexte, le Groupe a poursuivi son développement avec une stratégie propre. Nous nous sommes définis comme un système expert dans « l'alimentation animale ». Il s'agissait de développer des activités complémentaires et solidaires. Nous avons investi dans le maillage des négociants qui distribuaient des aliments en campagne et collectaient des céréales utilisées par les usines d'aliments. Ce fut le début du fonctionnement en réseau d'entreprises. Nous avons à cette époque décidé de nous retirer des activités d'aliments d'allaitement car nous les considérions comme trop spéculatives. Les progrès de la science et la dérive des règlements conduisaient à retirer le beurre du lait pour en faire des montagnes... Nous n'imaginions pas qu'un jour nous aurions pu manquer de « planète ».

Dans les années 90, nous avons créé une nouvelle entreprise chaque année dans les activités d'aval. L'ambition était de séduire les grandes entreprises de la distribution et les groupes alimentaires mondiaux par la politique de qualité, de régularité et de performance. Nous y sommes parvenus.

Les années 80 sont aussi celles d'une contestation écologique de l'agriculture bretonne ?

C'était l'époque de l'énergie pas chère où l'on croyait que les solutions techniques viendraient à bout de toute difficulté. Les élus votaient des subventions pour les dernières mises au point qui devenaient cautions quasi-officielles pour surseoir à l'application de la réglementation. Pour notre part, par déontologie, par éthique, et aussi parce que notre entreprise n'était pas en situation d'obtenir indulgence pour ses clients éleveurs, nous avons toujours prôné le respect des réglementations et préconisé aux éleveurs une plus forte technicité pour la performance. Dans les années 90 - le mot de nitrate devenu synonyme de poison - les réglementations ont été mieux respectées, et progressivement les errements se sont estompés. J'ajouterais que le nitrate, c'est de l'azote et qu'il en faut pour la vie des plantes. Les nitrates ne provoquent des dégâts qu'en cas d'apports excessifs. Le plus d'apport aux plantes par du lisier de porcs doit avoir pour contrepartie le moins d'apports sous forme d'engrais azoté. Ce ne fut pas toujours le cas. Aujourd'hui, le prix du grain pousse tous les paysans du monde à utiliser plus d'engrais azotés pour augmenter les rendements... Les prix de l'engrais flambent, c'est la pénurie d'acide phosphorique, les usines s'arrêtent faute d'approvisionnement. Dans les pays du nord de la communauté européenne, les réglementations s'adaptent à cette situation nouvelle, les limites d'épandage des lisiers de porcs sont aménagées... En Bretagne, le mot « nitrate » est ancré dans la conscience citoyenne comme celui de « pollution ». Le manque de raison des années 80 va coûter cher dans les années 2008 et plus...

Peut-on dire qu'aux abords des années 2000, le groupe était dans la mondialisation par alliance ?

Oui, effectivement. Nous avons mis en place un groupe homogène à dimension significative, internationalisé par un système d'alliance avec des groupes internationaux.

À cette époque, aidée par Sofiproteol, nous avons repris Sanders, entreprise d'état, gérée selon la pensée de l'ENA. La vache folle était passée par là et la médiatisation aussi. Il nous a fallu des années de travail à 80 heures par semaine pour redresser la barque. Dans les mêmes années, nous avons repris deux entreprises de volailles, car la mort de l'une d'elles, a Guiscriff eut été un signal fort du déclin de l'agro-alimentaire en Bretagne. Le redressement spectaculaire de ces entreprises a surpris.

En 2007, le Groupe Glon a cédé la majorité du capital à Sofiprotéol

Oui, nous avons vendu, car le contexte de la fiscalité française et l'ISF, ne nous laissait pas les moyens de poursuivre. Nous restons avec 35% du capital et je continue à assumer la Présidence.

Aujourd'hui, vous présidez également l'Institut de Locarn, qui se définit comme un « think tank » breton. Si vous synthétisiez votre vision d'homme et de manager que diriez-vous ?

Nous développons à Locarn des outils de réflexion tant économiques que culturels, car nous sommes préoccupés par l'évolution globale et nous cherchons des solutions. La planète va manquer. Nous rentrons à nouveau dans un monde de pénurie alimentaire. Je suis inquiet pour la compétitivité d'une France devenue impossible à réformer, réfractaire aux progrès et aux libertés.

Il s'agit de réfléchir globalement et d'agir. Une meilleure compréhension du monde nous permet de mieux comprendre et d'oser. Je citerai l'exemple de l'action récente menée par le groupe Glon en août 2007, face à la flambée spéculative des céréales passée de 100 euros lors de la campagne 2006, à 200 euros pour la campagne 2007, avec des pointes à 240 euros. Cette poussée est liée aux besoins de la Chine et à la production croissante d'éthanol à base de céréales. Le Groupe Glon a acheté du maïs brésilien dans le but de cesser de subir dans la passivité la hausse spéculative des céréales et de protéger les éleveurs français. (La part des céréales entrant dans la composition des aliments d'animaux d'élevage est de l'ordre de 50%). Le Groupe Glon demande que la hausse des coûts de production des viandes, des œufs, du lait, etc. liée à la spéculation sur le prix des matières premières céréalières, soit répercutée sur les secteurs économiques de l'aval. Faute de quoi, les acteurs économiques de l'amont vont continuer de réduire le nombre d'animaux en élevage et engendrer des situations d'approvisionnement alimentaire à risques.

Ce contexte est préoccupant. Il faudra trouver un moyen de s'en sortir et réinstaurer des espaces de liberté économiques et éducatives. Dans un monde impitoyable, l'économie doit demeurer au service de l'Homme. Les entreprises doivent selon nous, travailler en réseau et rester à taille humaine. Ainsi nous ne dépassons pas des entités de 180 personnes, dans le Groupe. Il s'agit de mettre chacun en situation d'être le meilleur possible

Et vous personnellement, vos recettes ?

Finalement, j'ai beaucoup douté, mais j'ai également mis en place une démarche qui s'est révélée efficace ; prendre de petites décisions chaque jour, pour ne pas en avoir de très grandes à prendre un jour et considérer qu'il doit toujours être mis en place au moins deux réponses à un problème. Bref être aux antipodes de la pensée unique.

Publié dans Inter celtique, le magazine du festival interceltique de Lorient - Hiver 2007-2008

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