Quimper Le 21 janvier 2006
En réponse à votre critique sur la livre Le dossier FLB, plongée chez les clandestins bretons, Editions Coop Breizh, 2006
Monsieur,
Lecteur régulier de la revue Arthur, j'ai pris note, avec intérêt, de la critique que vous avez bien voulu accorder à mon ouvrage Le dossier FLB, dans votre dernier numéro et vous en remercie. Je tenais cependant à vous faire part d'une certaine gêne de ma part face au procédé consistant à extraire, hors de son contexte, une phrase d'une des personnes que nous avons interviewées – en l'occurrence Charlie Grall - pour le qualifier de « sarkozyste » et le présenter comme un partisan de régimes policiers.
J'ai d'autant plus été troublé que j'ai lu avec attention l'éditorial du même numéro où vous fustigez la « curieuse déontologie de la part d'une presse qui aime tant donner des leçons » et les journalistes dont « le niveau d'étude, et donc de morale, est dérisoire et ridicule » .
Journaliste de profession depuis une dizaine d'années, je connais trop les contraintes et les difficultés de ce métier pour me permettre, justement, de donner des leçons, même si parfois certaines choses me dérangent moi aussi comme vous allez pouvoir le constater. A l'instar de la majorité de mes collègues, j'essaye de faire mon métier avec honnêteté et enthousiasme, en tentant de mettre en perspective les différents points de vue, sans forcément juger mais en ne m'interdisant pas non plus certaines indignations. Or, il est un principe auquel, nous journalistes, sommes particulièrement attachés, c'est celui de la protection de nos sources, théoriquement protégée par la loi. Et ce, malgré notre « curieuse déontologie » , notre « arrogance » et notre niveau de morale que vous jugez « dérisoire et ridicule » .
A ce propos, je tenais donc à informer vos lecteurs d'une curieuse découverte lors de la rédaction de mon livre sur le mouvement clandestin breton ; Elle concerne votre rédacteur-en-chef, Ronan Manuel, par ailleurs membre du syndicat CFTC. En effet, dans le dossier d'instruction concernant les attentats de l'Armée révolutionnaire bretonne entre 1993 et 2000, on peut y lire que, le 22 avril 2000, quelques jours après l'attentat meurtrier de Quévert, Ronan Manuel téléphone au « fil rouge » du Service régional de la police judiciaire de Rennes. Un appel de dénonciation censé être anonyme… Voici l'extrait du procès-verbal concernant cet appel présenté au procès : "Appel 3 -- 22/04 -- 13H12, INDEX 215 : Ronan Manuel de Radio Armorique RENNES pense comme tout le monde dans le mouvement breton que les auteurs sont forcément dans la mouvance d'Emgan. Il évoque un autre groupe dont il a réalisé, en droit de réponse, une interview non diffusée. Il s'agit du groupe musical SARAH qui aurait un côté "un peu secte", et dont les membres annoncent qu'ils ne sont pas contre les bombes".
Vos lecteurs pourront juger par eux-mêmes du niveau de déontologie et de morale d'un tel geste. En cas de problème avec la police et de refus de ma part de livrer mes sources, je sais juste que je ne ferais sans doute pas appel à la CFTC pour me défendre.
Personnellement, j'ai toujours quelque réticence à juger ou à donner des leçons, appréciant les vertus de l'introspection autocritique et craignant trop de tomber dans le péremptoire. Que les journaux dénoncent ce qu'ils jugent être les injustices et les problèmes du temps me paraît tout à fait normal, et même nécessaire en démocratie. En revanche, que des journalistes se fassent volontairement des auxiliaires des forces de l'ordre, qu'ils aillent jusqu'à dénoncer des personnes qu'ils ont interviewées me bouleverse. De tels procédés ne servent pas la liberté de la presse mais me semblent bien préparer, eux, de beaux jours aux régimes policiers.
Avec mes meilleurs sentiments journalistiques Erwan Chartier