Ecole Diwan : avis de gros temps au pays de Picou et d'Astérix
Examinez bien la loupe posée sur le village d'Astérix et d'Obélix. Pile-poil au milieu. Vous n'êtes pas à Pleumeur-Bodou, célèbre station de communication spatiale, ni à Lannion petite capitale de l'électronique et des télécommunications. Pas plus à Perros-Guirec, station balnéaire connue pour ses hortensias et, surtout, ses rochers (Ploumanac'h). Non. Vous êtes bien à Louannec (Louaneg, en breton).
Eh bien, cette sympathique cité, « la campagne à la mer » , est secouée depuis peu par une sévère polémique dont pourrait être victime l'école Diwan implantée sur place depuis 2006. Pour une affaire de loyer de 500 euros mensuels versés à la commune par l'école et qui pourrait passer à… 1800 euros.
Une polémique déjà largement évoquée sur le site de l'ABP et dont n'aurait pas manqué de s'inspirer Goscinny et Uderzo pour narrer les conflits opposant le petit peuple du Trégor et autres pays de Bretagne, à des adversaires venus -ou non- d'ailleurs, tant il est prompt à la bagarre.
Le choix du sujet pour cette chronique hebdomadaire n'est ni fortuit, ni innocent.
Originaire de cette commune, j'ai eu à m'occuper, entre autres sujets durant des années, pour mon quotidien régional, des écoles Diwan de Bretagne. Pour être franc, en y allant au début (1977), sur la pointe des pieds ; voire, presque à reculons. Pourquoi une nouvelle école laïque mais de statut privé, à l'époque (ce qui n'est plus le cas), enseignant les petits bretons en breton ? Quel intérêt de défendre becs et ongles une langue parlée par les ancêtres et qui semblait n'avoir aucun avenir ? Une école pour une élite ? Etc.
L'avis des linguistes
Et puis, au fil des ans, en allant sur place, de Nantes à Ploudalmézeau, en passant par Rennes, Carhaix, Baud, Lesneven, Lorient, Commana… il fallut se rendre à l'évidence. Ce type d'enseignement présentait -présente- un intérêt incontestable. Pour les enfants, les familles, la Bretagne. Au même titre (certains apporteront à cet avis des nuances) que l'enseignement du bretons aux gosses fréquentant certaines écoles de l'enseignement public ou privé.
Des linguistes de haut niveau nous ont appris, et insistent aujourd'hui, pour nous dire qu'il faut tout tenter de sauver les deux ou trois milles langues dites « minoritaires » de la planète. Pour plusieurs raisons. Elles font partie intégrante de son patrimoine culturel. Des enfants enseignés dans leur langue maternelle accèdent mieux aux autres. Y compris, aujourd'hui, à l'anglais ou au mandarin. Mieux : ils acquièrent avec plus de facilité le maniement… du français. N'insistons pas. De nombreux ouvrages ont été consacrés à ce sujet.
Et puis un jour il a fallu, à la demande des éditions Coop-Breizh, rédiger un ouvrage sur cette école ( « Diwan, vingt ans d'enthousiasme, de doute et d'espoir » , 1998).
La préface de l'ami Ruben Bareiro Saguier, écrivain, juriste, ambassadeur du Paraguay en France qui avait connu les prisons de son pays en dictature durant trente-trois ans, finit par me convaincre, définitivement, des vertus de l'enseignement « par immersion » . Ce qu'il avait obtenu dans son pays libéré, en faisant inscrire dans sa Constitution l'obligation d'enseigner à égalité aux petits indiens leur langue maternelle et la nationale.
Ce qui ne serait plus possible demain à Louannec?
Une commune pas comme les autres
C'est que Louannec n'est pas une commune comme les autres.
D'abord, on l'aura compris, les natifs ont pour leur cité un attachement nettement au-dessus de la moyenne. Proche du chauvinisme. La preuve, cet extrait de l'hymne de l'équipe locale de foot que l'on braillait à plein poumons en allant en découdre avec les autres clubs de la région : « Oh ! Madame, quelle est cette équipe qui passe et qui chante si fort ? Oh ! Monsieur, ces gars sympathiques sont les gars de Louannec-Sport » . C'était signé Edouard Ollivro. Plus. A la demande du curé local, nous y allions aussi de bon cœur avec l'hymne religieux du patelin. Le 19 mai, jour du pardon de Sant Erwan, Saint Yves qui en fut le curé durant une dizaine d'années : « Nann, n'eus ket e Breizh, nann, n'eus ket unan, nann, n'eus ket unan evel Sant Erwan » . Traduction pour ceux qui aimeraient voir rayer de la carte la langue des ploucs : « Il n'y a pas en Bretagne un saint plus grand que Saint Yves » . Même les copains locaux du clan des « rouges » , y allaient sans retenue. Ce qui nous permettait, l'office terminé, de vider un ou deux muscadets chez A…, le bistrot du bas du bourg, représentant du PC local et élu municipal.
A l'occasion, les célèbres « Quatre Barbus » ( « La pince à linge » , « Le 31 du mois d'août »…), en tournée d'été en Bretagne et dont l'un des membres avait des attaches locales, tentaient de nous inculquer quelques notions de chant. Sans grand succès.
Message d'espoir
Edouard Ollivro, vous connaissez ? Son ouvrage principal, « Picou, fils de son père » (en breton : « Picou, mab e dad » ), aux éditions Plon, valut au pays une gloire nationale à notre cité et même plus. Plus de deux cent mille exemplaires parus, grâce aux tirages successifs, en français, en allemand, en turc et ... en breton.
Edouard, né à Truzugal, le village local où Ernest Renan avait sa résidence d'été, nous lisait parfois, pour avis, l'un de ses chapitres publié semaine après semaine dans « L'Echo de Lannion » , avant l'édition complète en librairie, face à l'île Tomé dont un certain Arthus-Bertrand voulut un jour faire l'acquisition.
Et il serait question de mettre un terme à l'existence locale de l'école Diwan, les négociations en cours n'aboutissant pas ? Décision qui pourrait être prise par le conseil municipal en fin de mois.
On n'ose y croire. « N'eo ket Doue possubl. » ( « Impensable » ). Pour le retour au calme, le renom d'une commune dont la devise est « War araok bepred » . En bon français : « En avant toujours » . Beau programme à tonalité progressiste, non ?
Jean-Charles Perazzi