Le 4 avril 2024
Madame la Ministre,
Comme vous le savez, l’affaire de la destruction de menhirs, chemin de Montauban à Carnac, pour permettre la construction d’un magasin Mr Bricolage, a soulevé l’indignation en Bretagne et bien au-delà.
Sur la plainte des associations Koun Breizh et Sites & Monuments, une enquête pénale a été ouverte et est actuellement menée par la brigade de recherches de Lorient.
Ces mêmes associations ont également demandé au juge administratif d’annuler le refus du maire de Carnac de retirer le permis de construire du projet, manifestement entaché de fraude.
Dans le cadre de l’instruction d’une précédente demande d’autorisation d’urbanisme en 2015 concernant les mêmes protagonistes et la même parcelle, l’INRAP avait effectué en 2015 un diagnostic sans appel sur la présence de vestiges archéologiques sur le terrain du projet : deux files sécantes de stèles en granite, se déployant chacune sur une cinquantaine de mètres de long. L’une était sans doute à sa place d’origine depuis 7000 ans. Considérant que « le diagnostic a mis en évidence la présence de monolithes dressés dans des limites parcellaires qui pourraient tout à fait correspondre aux vestiges d’un ouvrage mégalithique de type alignement », le préfet de région a pris un arrêté de prescription de fouilles le 31 juillet 2015.
Cet arrêté précise qu’il sera notifié au maire de Carnac et au pétitionnaire, la SAS AU MARCHE DES DRUIDES, représentée par M. Doriel. Le courrier de notification à la SAS AU MARCHE DES DRUIDES est d’ailleurs annexé à l’arrêté . Aucune suite n’a été donnée à cet arrêté de prescription de fouilles.
Cela est d’autant plus inexplicable que ce site, dénommé « du chemin de Montauban », a été inscrit à la carte archéologique nationale au cours de l’année 2015 sous l’intitulé de « groupe de menhir ».
Malgré l’arrêté de prescription de fouilles du site et son inscription sur la carte archéologique, la zone de présomption de prescription archéologique n’a pas été modifiée pour l’inclure (ce qui aurait entrainé la transmission systématique des permis le concernant à la DRAC).
En outre, dès 2017, il figure parmi 46 autres dans le dossier adressé au ministère de la Culture pour la candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO visant à conserver la cohérence architecturale et environnementale des monuments mégalithiques de Carnac. L’inclusion du site du chemin de Montauban dans le dossier de candidature a été confirmée à l’occasion d’une deuxième audition devant le Comité français du Patrimoine Mondial, le 8 juin 2021, alors que la labellisation UNESCO devait aboutir à la fin de l’année 2023.
Cela n’a pas empêché le maire de Carnac de délivrer, le 26 août 2022, malgré la notification de l’arrêté de prescription de fouilles, un permis de construire à la SCI DES MENHIRS, représentée par M. Doriel, et à la SAS BRICODOLMEN pour édifier un Mr Bricolage sur le site de Montauban.
Celui-ci a en conséquence été détruit dans le cadre des travaux, des témoignages inestimables de notre histoire étant réduits à l’état de gravats.
Dans le cadre de la procédure administrative, le propriétaire du terrain affirme ne jamais avoir reçu le courrier de prescription de fouilles de 2015 et ignorer totalement la présence de vestiges archéologiques sur son terrain. Il affirme que la DRAC aurait elle-même admis que les arrêtés de prescription de fouilles ne sont pas envoyés par courrier recommandé à leurs destinataires.
Par ailleurs, comment expliquer que l’Architecte des bâtiments de France, fonctionnaire rattaché à la DRAC, ait apposé son visa sur le permis ? Comment expliquer, également, l’absence de réaction de la préfecture du Morbihan - également destinataire de l’arrêté de prescription de fouilles - lors du contrôle de la légalité du permis ?
Nous sommes stupéfaits par l’amoncellement des dysfonctionnements dans cette affaire révélant l’absence de circulation de l’information au sein des administrations, comme l’insuffisante protection administrative des vestiges archéologiques ainsi qu’un désintérêt pour notre patrimoine archéologique en Bretagne.
En dépit de l’écho médiatique de cette affaire et des demandes des associations Koun Breizh et Sites & Monuments, votre prédécesseure n’a pas eu la moindre réaction.
Comment le ministère de la Culture peut-il se désintéresser à ce point d’un dysfonctionnement majeur ayant contribué, peut-être, à la destruction de vestiges du berceau de la civilisation mégalithique occidentale ?
A deux cents mètres de là ont en effet été répertoriés les plus anciens vestiges mégalithiques de la façade maritime occidentale - 5400 ans avant Jésus Christ -, en tous points similaires à ceux qui viennent d’être détruits.
Il est pour le moins étonnant de voir les différentes instances en charge de la protection du patrimoine se renvoyer la faute.
Les signataires du présent courrier vous demandent d’ouvrir une enquête administrative pour pointer l’origine de ces dysfonctionnements et questionner, si nécessaire, le corpus législatif et règlementaire de la protection du patrimoine archéologique.
En espérant avoir su retenir toute votre attention, veuillez agréer, Madame la ministre, l’expression de notre haute considération. Les documents évoqués dans ce courrier peuvent être consultés en suivant ce lien : Dysfonctionnements à la pelle à Carnac - Sites & Monuments
Yvon Ollivier, Président de Koun Breizh, olliviery at wanadoo.fr
Julien Lacaze, Président de Sites et Monuments, julien.lacaze at sitesetmonuments.org
Eugene Riguidel, Président du collectif Soulèvement des pierres, riguideleugen at gmail.
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