ABP avait dénoncé récemment les élucubrations historiques, voire les désinformations, colportées par le mensuel BRETONS ( voir notre article ). Le groupe OUEST-FRANCE, fidèle à sa tradition de fidélité au pouvoir quel qu'il soit, continue avec une série de récits historiques dans son quotidien qui rallument controverses et polémiques. L'article Comment la Bretagne a perdu son indépendance, il y a 490 ans reprend l'article de BRETONS avec beaucoup plus de détails historiques, véridiques certes, mais qui semblent être là aussi pour donner du poids à l'ensemble, qui comprend des erreurs et des omissions graves. Pour faire passer un gros mensonge, il faut toujours donner des tas de petits détails. Ça donne l'impression que l'auteur connaît son sujet.
Un faux détail, sans doute une erreur de frappe, mais qui peut être interprété comme un lapsus, le récit parle d'« élus bretons » en 1532 : « L’intérêt de quelques grandes familles bretonnes et l’assurance de conserver un bon nombre de privilèges firent basculer l’opinion des élus bretons ». Sauf que les membres des États de Bretagne ne sont pas des élus mais des titulaires. Les évêques qui représentent les évêchés sont titulaires, les barons qui représentent les baronnies aussi et les villes envoient des délégués choisis mais non élus.
Il n'y pas eu de traité de 1532 comme l'affirme le récit dès le début. Aucun historien européen ne l'affirme sauf un dernier carré d'historiens français dont la vision de l'histoire sert les mythes fondateurs que la France aime ajouter à son histoire officielle.
Pour résumer, la perte de la souveraineté du duché peut se résumer dans une tragédie en 8 actes majeurs.
Le duché de Bretagne a été battu militairement sur le terrain en particulier à Saint-Aubin du Cormier en 1488, c'est l'Acte I de la tragédie. Que les troupes engagées soient venues d'une douzaine de pays différents n'a aucune espèce d'importance.
Anne de Bretagne a pratiquement été obligée d'épouser le roi Charles VIII et le duché, occupé par l'armée royale, a été administré par la France, c'est l'Acte II.
Suite à la mort accidentelle de Charles VIII, Anne de Bretagne est retournée en Bretagne comme duchesse souveraine, c'est l'Acte III. Un vrai revirement qui corse l'intrigue. L'espoir renaît !
En 1499, Anne consentit à épouser le nouveau roi de France, Louis XII, à une seule condition, âprement négociée : que le duché redevienne indépendant après leur règne. Ceci est clairement spécifié dans le traité de Nantes qui est aussi un contrat de mariage. Le duché devait revenir au deuxième enfant, fille ou garçon. Ce mariage est l'Acte IV.
François Ier, après la mort de la reine Anne et de Louis XII, s'est arrangé pour que Renée, la deuxième fille du couple et donc l'héritière du duché, soit exilée. Mariée de force à 16 ans à un petit noble italien sans armée mais riche et très loin, elle n'a pas compris ce qui se passait. Le contrat de mariage fut écrit en latin pour être sûr qu'elle n'en comprenne pas la signification. Elle fut dépossédée du duché ( voir notre article ). C'est l'Acte V de cette comédie burlesque qui, pour nous Bretons, est en fait une tragédie grecque.
Le testament d'Anne de Bretagne fut brûlé. Le traité de Nantes ignoré. François Ier prétendra alors que c'est Claude, sa femme, la fille aînée d'Anne, l'héritière du duché de Bretagne.
Claude donne l'usufruit du duché à son mari (acte du 22 avril 1515).
Une union forcée du duché et du royaume est proclamée unilatéralement sous forme d'édit royal le 13 août 1532. La chancellerie bretonne est dissoute, l'administration française s'installe définitivement mais les États de Bretagne sont maintenus.
Le "récit" de Ouest-France reprend ce qu'avait écrit l'historien Joël Cornette dans son Histoire illustrée de la Bretagne et des Bretons. « Il s’agissait bien d’un traité, un traité international, puisqu’il était reconnu implicitement que deux pays, deux peuples, deux couronnes voulaient s’unir ». Sauf que Cornette est revenu sur cette erreur d'interprétation puisque dans son Histoire de la Bretagne pour les Nuls, publiée six ans plus tard en 2022, il ne parle plus de traité du tout, mais d'« union forcée ».
Les pages 291 à 294 de l'Histoire de la Bretagne pour les Nuls, qui fait 700 pages, sont consacrées à cette union forcée finalisée par l'édit d'union du 13 août 1532. Officiellement, l'édit royal aurait suivi une requête orale des États de Bretagne, donc on n'a pas de texte et encore moins de signatures. Il n'y a même pas eu de vote des États réunis à Vannes en cet été fatidique 1532. Pourquoi pas de vote ? Les parlementaires ne veulent pas voter tout simplement parcequ'une telle décision n'est pas de leur domaine.
Même si un vote avait eu lieu, même si un document d'union avait été signé, cette comédie jouée par François Ier avec des acteurs payés (des membres des États ont été payés selon d'Argentré) pour masquer sa mainmise illégale sur le duché, il n'aurait eu aucune validité juridique vu l'occupation militaire et l'ignorance voulue de la part de François 1er du dernier traité valide juridiquement, signé entre les deux exécutifs (un traité est toujours entre les exécutifs), de deux Etats souverains, le traité de Nantes de 1499. Le récit de Ouest-France ne mentionne même pas ce traité.
Fin des opérations d'annexion, le duché souverain est devenu une province, avec certains droits certes, un Parlement qui peut légiférer sur les taxes et les impôts et les levées de troupes, mais une province quand même, c'est-à-dire selon l'étymologie latine du mot, un pays vaincu.
Le rideau est tombé il y 490 ans. Dans 10 ans ça sera le 500e anniversaire de cette union forcée. Dès maintenant il nous faut en faire le bilan.
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