Que nous apprend la pandémie ?
L’année qui vient de s’achever sera certainement à marquer d’une pierre noire dans l’histoire récente de l’humanité. Pourtant, au cœur de cette épidémie mondiale s’il en est, quelques raisons d’espérer sont apparues en Bretagne.
En effet, alors que la France est la risée de ses voisins après sa gestion ubuesque des masques au début de cette crise, peu rationnelle des tests ensuite (c’est un euphémisme) et catastrophique de la vaccination ces derniers jours, la Bretagne à cinq départements conserve depuis le début de l’épidémie des taux de mortalité exceptionnellement bas en comparaison du reste de l’Hexagone.
Au 30 décembre par exemple, pour 4,755 millions d’habitants (B5) que comprend notre région, il y avait 1350 personnes décédées de la Covid19, en y incluant les personnes transférées ici depuis des régions françaises aux hôpitaux saturés. Cela donne pour la Bretagne un ratio de 37 morts pour 100 000 habitants, là où l’Allemagne est à 39 morts (à la même date du 30 décembre) pour 100 000 habitants, et la France hors la Bretagne à 98 morts pour 100 000 habitants.
Il n’est pas question ici d’analyser le pourquoi de ce chiffre étonnant puisque des épidémiologistes s’en chargeront, mais l’absence de très grandes métropoles, le fait d’avoir des frontières essentiellement maritimes ou encore la discipline dont ont fait preuve la plupart des Bretons ont déjà été cités.
Noblesse d’État et hobereaux locaux
Ce qui attire surtout l’attention ici c’est qu’aucun personnage politique en charge parmi nos édiles bretons, nos députés, nos sénateurs ou encore nos conseiller régionaux, en dehors de Marc Le Fur et de Paul Molac ne s'est inquiété du fait que le confinement décidé unilatéralement depuis Paris a été totalement disproportionné en Bretagne. En effet, du fait de ces chiffres, la Bretagne aurait pu continuer à avoir une activité économique et d’abord commerciale, certainement un peu réduite, mais notre région aurait dû échapper à l’asphyxie organisée de certains commerces et des pratiques culturelles collectives.
Comme souvent, aucun des membres éminents de notre classe politique affiliée aux partis hexagonaux, élus et réélus depuis longtemps sur nos terres bretonnes, n’a pris la défense des intérêts bretons dans cette affaire. C’est absolument navrant et il semble que cette crise a accéléré la prise de conscience de nombre de nos compatriotes bretons sur l’anachronisme de cette organisation « une et indivisible ». Cette république ultra centralisée, pataude, saturée en fonctionnaires, et dont il est de plus en plus évident qu’elle est au service des intérêts de cette « Noblesse d’État » décrite par Bourdieu dans son excellent ouvrage en 1989.
L’abandon de longue date des intérêts bretons par la classe politique locale
En cette nouvelle année, il est tentant de faire un bilan plus large et de lister d’autres domaines où nos politiques bretons ont été à la dérive depuis le sursaut salvateur du CELIB.
Commençons par l’absence de connexion de nos ports bretons au réseau européen de fret ferroviaire en dehors de Nantes-Saint-Nazaire et qui doit leur être imputé, dans un domaine où les retombées sur le plan écologique et économique vont se faire sentir pendant des décennies. Pourtant le Portugal, bien plus éloigné de l’axe lourd européen que ne l’est la Bretagne a ses trois grands ports connectés à ce réseau, même chose pour la plupart des ports espagnols. Qu’ont fait nos élus bretons pendant qu’ailleurs en Europe les ports se connectaient à ce réseau ? Et Monsieur le Drian, maire de Lorient puis président de région, et enfin ministre ? Puisque le port de Lorient n’est toujours pas connecté lui non plus, pas plus que Brest, Roscoff ou Saint-Malo. C’est absolument scandaleux mais c’est dans la droite ligne de la négation des atouts maritimes bretons orchestrée depuis Paris, depuis plusieurs siècles…
Qu’ont fait par ailleurs nos élus pour que la Bretagne puisse jouir au mieux des taxes et impôts qui sont prélevés sur son territoire ? Alors que le budget de l’État est d’abord mis à disposition de l’Île-de-France qui s’en repait pour nourrir ses grands serviteurs et ses institutions locales. Ainsi 84 % du budget de l’État de la culture est dépensé en Île-de-France (chiffre relevé sur le site de l’Assemblée Nationale), pour 1% en Bretagne… Et le Budget culture de la Région Bretagne (42 millions d’euro en 2020) est cinq fois inférieur au simple budget de fonctionnement de l’institution Opéra de Paris. Entend-on nos élus s’en plaindre ?
Qu’ont fait nos élus bretons pour éviter à l’agriculture bretonne d’être sous la coupe d’un lobby agro-alimentaire peu soucieux d’environnement, quand depuis Paris on a décidé il y a longtemps que la Bretagne serait le « grenier à viande » de la France. Qu’ont-ils fait, nos élus régionaux contre les algues vertes depuis quarante ans ? Pour le bien-être animal dont l’OMS annonce qu’il doit être pris en compte pour éviter de nouvelles pandémies ? Quant aux aides de la PAC, dont la France profite grandement, et dont on sait qu’elles profitent en premier lieu aux paysans beaucerons, aux céréaliers, quel homme politique breton a tenté quelque chose pour éviter là aussi un racket de l’Île-de-France ? Pour quel résultat ?
Une langue se meurt en silence
Nous pourrions ainsi survoler tous les domaines pour nous rendre compte à quel point notre classe politique locale est complice de cette mise à genoux de la Bretagne souhaitée par le pouvoir central. Mais il faudrait plus d'un éditorial…
Évoquons cependant la langue bretonne, qui se meurt, et que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale centralisée, contribue à faire mourir un peu plus vite par ses décisions absurdes concernant les langues dîtes « minoritaires ». Ici quelques députés bretons se lèvent enfin, souvent les mêmes, mais pour quel résultat sur le long terme ? Obtenir un court sursis..., quand ailleurs en Europe des efforts réels ont été réalisés pour sauver des langues comme le gallois ou le catalan.
Les Corses et les Alsaciens montrent l’exemple
Quant à la réunification, vieux serpent de mer, on a vu des François de Rugy et consorts arpenter les estrades des manifestations pro réunification à Nantes pendant des années, et là encore faire de beaux discours. Mais ensuite ? Un petit passage sous les ors de la République, si prodigue avec ses serviteurs zélés, et tout est oublié alors que la question est pourtant vitale pour la Bretagne.
Rappelons ici que pour ce qui est des évolutions institutionnelles au sein de l’Hexagone que les Alsaciens viennent d’obtenir la constitution de la Collectivité Européenne d’Alsace avec la suppression des deux anciens départements, et la volonté affichée du personnel politique locale que cette Collectivité obtienne un statut particulier. Quant à la Corse, elle a consolidé son statut particulier depuis le 1er janvier 2018, où elle est devenue une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, en lieu et place de la CTC et des départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse.
En Bretagne pendant ce temps, Grosvalet, président du CD 44, en serviteur zélé des intérêts parisiens qu’il est, a refusé un referendum sur la réunification que la pétition obtenue par Bretagne Réunie aurait dû permettre. Pour ce qui est de l’assemblée générale de Bretagne, l’idée a été mollement défendue par Jean-Jacques Urvoas avant qu’il ne soit mis en examen.
La classe politique bretonne, toujours prête à se coucher devant le pouvoir central contre une petite récompense n’est définitivement pas à la hauteur.
Élections sans objet
Les élections régionales se profilent, mais leur date sera laissée au bon vouloir du monarque républicain en poste au Palais de l’Élysée, obsédé qu’il est par sa réélection, comme 90 % de la classe politique bretonne, dans un pays où l’absence de limitation des mandats dans le temps a secrété cette classe politique totalement déconnectée des véritables aspirations du peuple.
Ainsi ces élections régionales seront le moment de grands discours sur la Bretagne, mais ensuite rien ne passera, comme d’habitude et la Bretagne, avec la France, s’enfoncera dans une crise économique en même temps que dans les classements européens mesurant la qualité de l’enseignement. La Bretagne dégringolera en même temps que la France dans les comparatifs de l'OCDE sur l'état des prisons ou encore le niveau de sécurité dont ne jouissent plus nos concitoyens. La Bretagne continuera ainsi d’avoir les enseignants les moins bien payés d’Europe, comme la France, et le personnel soignant et les policiers parmi les moins bien équipés d’Europe.
Par ailleurs, dans une région où les prélèvements sont les plus importants en Europe, comme en France. Mais quel personnage politique breton a osé poser cette question pourtant fondamentale : où va notre argent ??? Aucun.
Des solutions hors du champ politique habituel
Si la politique traditionnelle ne peut définitivement rien pour la Bretagne, que faire ? Il faut constater que pour l’instant, et depuis le CELIB, les seules avancées obtenues pour la Bretagne l’ont été par des associations citoyennes ou des mouvements populaires non référencés sur l’échiquier politique traditionnel. Citons ici Diwan, les Bonnets Rouges, Produit en Bretagne, Bretagne Réunie, À la Bretonne, Eau et Rivières de Bretagne parmi tant d’autres. Rappelons aussi que certaines corporations jouent le jeu de la Bretagne à cinq départements et la défense de notre identité comme l’Ordre des Notaires ou encore que des juges et des avocats se sont battus pour que la cour d’appel de Rennes continue d'être légitime sur toute la Bretagne historique.
Il y a donc encore de l’espoir, mais l’avenir de la Bretagne appartient définitivement aux Bretonnes et aux Bretons eux-mêmes, pas à cette classe politique qui a accepté de courber l’échine face au pouvoir central, nous faisant continuellement avaler des couleuvres contre des rentes à vie.
En 2021, prenons notre destin en main !
Vincent Fraval, secrétaire général de Breizh Europa