L'une des légendes les plus belles et les plus tenaces de l'Occident, celle d’Arthur, perdure depuis des siècles et n'est pas près de s'éteindre. Pourtant la réalité dépasse la fiction et cet homme qui n'était pas roi, ce Breton, comme Gulliver, prisonnier dans les rets de l'histoire et du mythe, a, selon Morris, réellement existé vers le Ve siècle. Il est trop facile d'étudier ce personnage flamboyant par l'unique biais de la littérature médiévale et des contes, comme le fit, en 2009, la BNF de Paris, dans une exposition sur la légende du roi Arthur (4). On y parlait très peu d'histoire, car à quoi bon parler des Bretons, si cela ne colle pas avec le « récit national », on y exhumait un Artorius Castus du IIe siècle pour solde de tout compte au lieu de nous parler de l'histoire réelle des Bretons des V et VIe siècles et de leurs chefs !
Mais sa figure ennoyée dans les plissures des textes, des annales et des vieilles chroniques, est pourtant bien réelle d'après l'historien anglais John Morris, (1) dont l'ouvrage capital « The Age of Arthur » (2) n'est hélas, pas traduit en français. Voici pourtant un livre d'importance qui mérite, comme « Les origines de la Bretagne » de Léon Fleuriot, de trouver sa place dans notre bibliothèque, au premier rang.
Comme la grande oeuvre de Fleuriot, voilà un ouvrage fascinant, moins laconique sans doute, où la longue liste des rois, des batailles, des conquêtes, des défaites, des rémissions et des turpitudes en ces temps chaotiques, vous plongent dans un état d'hébétude et vous malmène au point que je soupçonne ces savants de jouir positivement de la fécondité des faits et de la multiplicité des sources comme un hommage nécessaire à la grande poésie de tout ceci.
Arthur n'était pas roi mais il gouvernait les rois, comme avant lui Vortigern et Ambrosius. Morris rehausse la figure « du traître » Vortigern qui, dans les premiers temps combattit vaillamment les émigrés germains, dont il fit des Lètes, des auxiliaires et des colons souvent rémunérés, mais prompts à changer d’allégeance... et qui se révoltèrent en effet, semant le désarroi dans l’île. Ambrosius, quant à lui laissa son nom où il tenait garnison, dans toute la vallée de la Tamise, Ambrosden, Amberley, Amesbury...
Arthur fut le commandant en chef des Bretons, le préfixe évoque les Ard-ri, les hauts rois d’Irlande. Lui seul en Europe défit les Germains (Saxons) quand partout ailleurs, dans l'empire finissant, la romanité s'écroulait ; ce fut un Empereur, l'Ameraudur en gallois. Avant lui, le père d'Ambrosius avait porté le pourpre. Arthur réussit à restaurer l'Empire en Grande-Bretagne quand partout ailleurs il se défaisait. Artorius fut un nom romain ; beaucoup de britto-romains illustres portaient des tels noms, Marcus, Aurélien, Agricola, Protector, Catellius, Calpurnius, père de Saint Patrick... Après la mort d’Arthur à Camlann, ce nom devint célèbre et fut donné à quelques héritiers. Peu après sa disparition, on lisait dans le Gododdin d'Aneirin, qu'un des personnages, « nourrissait des corbeaux noirs sur les remparts, mais n’était pas Arthur ».
Dans le poème Geraint fils d'Erbin, du Livre noir de Camarthen, inspiré d'un poème plus ancien, on évoque les figures d’Arthur et de Geraint. D'après John Morris, Llongborth serait le port des Llong ou navires de guerres, soit Porchester/Porthmouth. Il reste d'ailleurs à Porchester un fort romain dans un remarquable état de conservation. Ce Geraint de Domnonée, fils de Cato, mourut vers 480 à la bataille de Llongborth comme le suggère le poème. Un village du Powys porte son nom, Moel y Geraint près de Llangolen. Il semble que des Germains enrôlés par des Belges du Dorset s'opposèrent à Arthur à cette fameuse bataille qui ne remit pas en cause la suprématie des Bretons et de leur chef Cato, dans cette région.
Bien qu'il ne le cite pas, Gildas qui pouvait avoir vingt ans à la mort d'Arthur regrettait amèrement les temps anciens. Il semble que sa famille eut des démêlés avec Arthur et fut contrainte de quitter la frontière nord pour le Powys. Gildas fustige les magnats, les potentats et les militaires qui prenaient le pas sur les juges, des insoucieux se disputant les dépouilles de l'Empire, tandis qu'ils étaient harcelés de tous côtés, par les Germains à l'est, les Scots irlandais à l'ouest, les Pictes et les Angles au nord, affaiblis même par la peste « justinienne » (5) en provenance d’Égypte qui atteignit la Grande Bretagne vers 550. Car les Bretons commerçaient avec la Gaule et la Méditerranée, ils exportaient du plomb en Égypte, voyageaient à Rome et, bien plus que les Saxons, furent touchés par le fléau.
Au temps d’Arthur, les envahisseurs germains, appelés d'ailleurs par le Breton Vortigern, commandés parfois par des Bretons, comme Ceredic !, étaient confinés à l'est de la Grande-Bretagne, dans le Sussex, le Kent, le Suffolk, le Norfolk, le Lincoln, mais la vallée de la Tamise et Londres étaient épargnés, comme Colchester ou Camulodunum/Camelot. Depuis les basses terres, les Lowlands et les riches Cotswolds, Arthur et ses alliés s'en allaient combattre sur tout les fronts, au nord contre les Pictes, entre les murs d’Hadrien et d’Antonin, dans les monts Cheviot ; même si plus tard, vers 580, son allié Peredur, le Perceval des contes médiévaux, le successeur de Cohel Hen, fut avec les rois d'York, défait par les Berniciens (anglo-saxons) du Northumberland actuel. On vit Arthur guerroyer dans le Lindsey, à Urb Legionis (Chester ou Caerleon) tandis que ses alliés et généraux, Agricola et Theodoric le Germain, expulsaient les Irlandais de Demetie, (ouest Galles) ; ce Théodoric commandait une flotte de guerre précédemment stationnée en Aquitaine avant la victoire de Clovis sur les Wisigoths en 507, il intervint en Armorique pour réinstaller Budic au pouvoir.
Peut-être Arthur avait-il fait ses armes auprès de Riothime/Ambroise Aurélien, peut-être le Iahan Reith des listes de princes de Cornouailles, qui combattit en petite Bretagne et en Gaule.
À rebours d'une idée reçue, les Bretons contrairement à d'autres peuples d’Europe, ceux de Gaules notamment, n'ont pas tout cédé devant les Germains (Angles, Saxons, Jutes, etc.). Avant de devenir les Welsh (les étrangers pour les Anglais !), ils étaient les Combrogi, les compatriotes ou concitoyens britto-romains, défenseurs de l'Empire dès le Ier siècle ; ils étaient présents aux Champs Décumates, possédaient la supériorité des armes grâce à leur cavalerie, comme les Britto-Normands en 1066, mais la cavalerie coûte cher et suppose un arrière pays prospère et c'est une arme de conquête et non d'occupation.
Cymru (Galles) et la Cumbrie actuelle rappellent ces compatriotes bretons des temps anciens. Mais les troupes romaines désertent l’île en 410, tandis qu'Alaric prenait Rome, et leur départ fragilisa les institutions, l'économie et la culture du pays. De plus, les cousins celtes s'acharnent sur Albion tandis que les Germains s'installent pacifiquement, au début, sur la côte est de la Grande-Bretagne, avec l'accord des chefs locaux.
À Badon, Arthur a brisé pour 50 ans l'élan des envahisseurs, il a restauré pour un temps l'ordre ancien, prenant la suite d’Ambrosius, et son combat n'a pas été inutile car ces Bretons et Celtes, décrits volontiers comme des vaincus, ont au contraire été les seuls en Europe à vaincre les « Barbares ». Ils ont contribué, les peuples se fondant, à créer le Royaume-uni, première puissance mondiale au XIXe et la civilisation occidentale.
Aussi bien, nous avons tort de parler de peuple anglais et d’Angleterre, quand il convient mieux de parler de Britto-anglais et de Grande-Bretagne.
John Morris a été critiqué par certains de ses pairs. C'est le sort de ceux qui ne se cantonnent pas au "Récit National". James Campbell, plus mesuré, pensait à juste titre que ce livre pouvait induire en erreur des lecteurs non avertis. Pour ma part, je n'y ai rien lu d'outré, mais la masse des informations, passionnantes au demeurant, oblige à la prudence et à la modestie, et le temps fera son oeuvre de clarification. Un seul exemple, Gildas et Geoffroy de Monmouth, très controversé, citent un certain Vortipor mac Aircol, un fils d'Agricola, « le tyran de Demetia » qui oeuvra dans le Carmarthen (Galles), et bien une stèle du V/VIe siècle porte son nom !
Notes
1. John Morris (1913–1977), historien anglais spécialisé dans l’histoire ancienne, le Bas Empire et la Bretagne romaine, voir (voir le site)
2. The age of Arthur, John Morris, Scribners, livre en anglais
3. Christian Kerboul, Les royaumes brittoniques, Coop Breizh, bonne synthèse très inspirée des écrits de Fleuriot et de Morris
4. Article Abp (voir le site)
5 article Abp (voir le site)