Et si l'on faisait de la Bretagne un grand jardin partagé ?
La crise mondiale, la droite l'évoquait, sans trop s'étendre sur ses causes réelles, objectives ; la gauche la confirme. Le chômage est là qui gagne tout le pays comme une gangrène. La précarité, la pauvreté, la misère : on croyait ces termes d'une autre époque. Chez nous. Ils sont d'une cruelle actualité. Alors on fait le pari de la croissance, du développement. Quelle croissance ? Quel développement ?
Nos hommes politiques estiment qu'ils ont la solution pour demain qui permettra de vivre à nouveau les trente glorieuses et son économie florissante, de la fin de la seconde guerre mondiale aux années soixante-quinze. Rêve ou réalité ?
Rêvons un peu à notre tour. Au ras des pâquerettes, c'est bien le cas de le dire. En descendant dans nos jardins bretons. Ils ont une longue histoire. Riche, pleine d'enseignements qui peuvent ouvrir des pistes pour mieux surmonter les difficultés qui s'annoncent dans un horizon proche.
La leçon de Marie
Dans la dernière livraison de « La Gazette des jardins » , magazine hexagonal édité dans le sud de la France, le portrait de Marie Massé. Deux pages complètes illustrées de photos en couleur. Le magnifique jardin de Marie se situe en Bretagne (la consoeur Cécile Viry ne précise pas où, à la demande de la jardinière). Marie aura bientôt 89 ans. Un visage de rides sous des cheveux blancs et des yeux malicieux, soulignés d'un sourire de jeune fille.
Elle délivre un message qu'aurait apprécié Anjela Duval : « Rester toujours en contact avec la terre, c'est ma vie. C'est ça la vraie vie ! » Et plus loin, elle précise : « Avec cinq enfants à la maison et un seul salaire, il fallait bien se débrouiller. On avait des poules, des lapins et même une vache. La même vie que celle de mes parents, dans le temps. Depuis toute petite, j'ai toujours été près de la terre. » Elle explique ensuite comment son potager, uniquement amendé par du compost et des engrais verts, lui permet de mener une vie simple, saine, heureuse.
L'exemple de Marie est loin d'être unique en Bretagne. En témoigne le retour impressionnant à la terre d'actifs ou de retraités. De ruraux et d'habitants de nos cités. Par passion, atavisme ou… nécessité. Les visites de jardins, individuelles ou de groupes de néophytes, se multiplient. Comme les causeries de sociétés, d'associations, sur le sujet. De plus en plus de localités proposent des jardins « communaux » , « partagés » , « communautaires » , « de quartiers » , constituant autant de lieux d'échanges, de convivialité. Les émissions et les chroniques fleurissent qui leur sont consacrées, sur les antennes, dans les médias. Les rayons des librairies débordent d'ouvrages qui leur sont consacrés. Les purins d'ortie, de consoude, d'algues connaissent une vogue étonnante. Les marchés de proximité, à la ferme, le troc (travaux contre produits du sol), voient le jour un peu partout. Etc.
Topinambours et rutabagas
Phénomène de mode, plus ou moins passager ? Pas sûr. La motivation, comme dit plus haut, a une autre explication : la nécessité.
Les anciens s'en souviennent. La guerre. L'occupation. L'extrême difficulté de s'alimenter. Par chance, le climat breton, son sol autorisent, une grande partie de l'année, toutes les cultures potagères et fruitières. Pour d'innombrables familles le jardin nourri de fumier, d'algues, de compost, avec sa production de patates, de haricots, de poireaux, mais aussi… de rutabagas et de topinambours, fut une belle planche -le terme est de circonstance- de salut.
Certes nous ne vivons pas la même (rude) période de notre histoire ; rien ne prouve que demain elle ne lui ressemblera pas.
On est bien d'accord, le salut ne viendra pas du potager et de ses productions. Il pourra seulement constituer en partie le remède à la crise qui s'annonce peut-être plus sévère que prévu. Et la Bretagne redeviendra alors un grand jardin terriblement utile. Et partagé.
Merci, Marie, de nous le rappeler.
Jean-Charles Perazzi