Jusqu\'ici je n\'avais pas d\'objection majeure à laisser quelques dizaines de dignitaires chenus s\'entre-congratuler entre deux parties de scrabble, sanglés dans des uniformes chamarrés tout droit issus du Second Empire. Ils avaient beau se gonfler d\'une prétention risible et pathétique en se nommant \"Immortels\" tels les dieux du Panthéon, on admettait de bonne grâce que le déclin de leur vitalité fût compensé par un surcroît d\'honneurs, certes un peu puéril, mais somme toute, inoffensif... Quant au dictionnaire, prétexte à la réunion de leur vénérable cénacle, il pouvait attendre et passer dix ans sur chaque lettre de l\'alphabet : il s\'en faisait ailleurs d\'excellents et de plus à la page... Mais alors là ! Pour que le français vive : éliminons la concurrence... Cela fera date dans l\'histoire du progrès humain ! Le dérapage est tristement révélateur. Une fois encore on raisonne en position, ou plutôt en posture, de force. Car cet aréopage désuet, préoccupé d\'éloges et de satisfecit, n\'a pas vu le temps passer ni le monde évoluer et continue à pérorer comme du sommet d\'un Empire pourtant bel et bien disparu... Oh, jeunes gens : les temps coloniaux sont derrière nous et les instances européennes et internationales nous pressent de sortir de notre hégémonie linguistique institutionnelle, pour aborder enfin les pratiques démocratiques... Primauté des langues régionales diagnostiquez vous... Où donc voyez vous cela ? Nous en sommes à la protection d\'espèces en voie de disparition, bien loin de la co-officialité sur les territoires concernés. Alors : primauté, vous pensez... Consultez donc un bon dictionnaire car cela tient soit du fantasme, soit de la fièvre obsidionale ! Lutter contre l\'invasion de l\'anglais, vous alarmez-vous... Par quels moyens ? En ruinant ce qui reste des langues en grande partie éradiquées par la République, d\'une quarantaine au moins de départements français ? Belle mentalité et joli combat ! Mes compliments ! Vous pouvez lancer des diatribes enflammées de vos voix chevrotantes et en appeler à une Ligne Maginot qui stopperait net l\'ennemi de l\'intérieur \"français mais non francien\" : comme en 40, vous êtes en retard d\'une guerre. Il est vrai que la langue anglaise se porte comme un charme. Est-ce dû au fait qu\'elle a échappé à un Malherbe ou qu\'elle ne possède pas la moindre Académie ? Ou plus raisonnablement qu\'elle est la langue d\'une superpuissance, les USA, ce que ni la France, ni d\'ailleurs le Royaume Uni, ne sont plus aujourd\'hui ? Historiquement les langues ne vivent qu\'en fonction de l\'énergie des peuples et des institutions qui les portent. Les grandes migrations gauloises imposèrent le celtique dans toute l\'Europe occidentale. Les légions de Rome imposèrent le latin autour de la Méditerranée. L\'invasion saxonne repoussa les Bretons vers l\'ouest britannique et l\'Armorique où leur langue s\'imposa à son tour et les corps expéditionnaires firent le lit du français en Afrique. Dans un état de droit moderne, les choses devraient normalement se passer de façon plus contractuelle... Mais, puisque décidément vous vivez dans un passé que nous aimerions révolu, tant qu\'à vous battre contre des moulins à vent, pestez plutôt contre ceux qui vendirent, pour leurs plaisirs et leurs guerres, un vaste Canada et une immense Louisiane qui s\'exprimeraient aujourd\'hui dans la langue de votre choix...
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