En tant que Président du groupe d’études transpartisan de l’Assemblée nationale sur les langues et cultures régionales, j’ai initié une tribune cosignée par les députés membres de ce groupe demandant la pleine reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Alors que les débats sur la réforme constitutionnelle ont débuté, il s’agit de faire comprendre au Gouvernement, mais aussi au Sénat, que la diversité linguistique n’est pas une menace pour la République qui se grandirait à enfin pleinement reconnaître cette richesse interne en levant les verrous constitutionnels importants ne permettant pas leur développement, ni même leur sauvegarde.
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S’il existe un domaine qui fait de plus en plus consensus dans l’opinion, il s’agit bien de celui des langues régionales. Ces langues qui ont eu à subir l’opprobre et le mépris pendant des décennies retrouvent aux yeux des Français leurs lettres de noblesse.
On déplore le sort qui leur a été fait. On leur reconnaît d’être un vecteur de culture, d’enracinement mais également de faciliter l’apprentissage des langues étrangères et l’ouverture sur son prochain: le corse est une fenêtre pour les insulaires au monde méditerranéen et à la latinité ; le breton est un lien privilégié au monde celtique; le basque, le catalan, le flamand et l’alsacien permettent le renforcement des échanges transfrontaliers, de même que les aires occitanes et franco-provençales s’étendent au delà du territoire français; et que dire des langues des outremers, véritables ponts avec leur environnement régional ?
Peut-on alors estimer que tout va bien dans le meilleur des mondes ?
Rien n’en est moins sûr. Les langues régionales de la France hexagonale sont toutes classées en grand danger d’extinction par l’UNESCO. Dans les Outremers, la situation est meilleure, ou moins mauvaise, mais on note une baisse de pratique de ces langues au profit du français ou de l’anglais. Les progrès dans la diffusion de l’enseignement des langues régionales sont lents et parfois inexistants.
Prenons le breton, son enseignement dans un certain nombre d’écoles, sous forme de bilinguisme avec le français, en fait une langue plutôt favorisée. Pourtant, son enseignement ne concerne que quelques pourcents d’une classe d’âge. Au rythme de progression actuel, le breton ne sera proposé à un tiers d’une classe d’âge, seuil minimum pour assurer son existence, qu’en 2118. Autant dire que les efforts actuels sont totalement insuffisants malgré le fait que cet enseignement bilingue ne coûte pas un centime de plus au budget de l’État. Il s’agit juste d’une question de formation des enseignants, rien d’insurmontable pour l’Éducation nationale. C’est d’autant plus incompréhensible que l’enseignement des langues régionales est plébiscité par les parents.
Le problème vient bien du fonctionnement centralisé de l’administration qui garde sa méfiance envers les langues régionales, certes de manière moins affichée publiquement, mais tout aussi préjudiciable dans la pratique.
L’inscription, lors de la révision constitutionnelle de 2008, des langues régionales à l’article 75-1 de la Constitution les reconnaissant comme faisant partie du patrimoine de la France, a été déclarée, par le Conseil constitutionnel, comme ne créant aucun droit nouveau. Comment pouvait-il en être autrement lorsque l’on sait que ses décisions ont constamment été prises à l’encontre d’une ouverture en faveur des langues régionales?
La solution ne serait-elle pas de modifier certains articles de la Constitution? En premier lieu, l’article 2 qui énonce que “la langue de la République est le français”. En effet, le Conseil constitutionnel interprète cet article comme instituant le français comme seule langue de la République, à l’exclusion de toutes les autres, ce qui est contraire à l’égalité des citoyens et l’égale dignité des langues.
De plus, contrairement à l’idéal républicain originel, la reconnaissance d’une langue officielle vient mettre à mal la notion de République en lui accolant un marqueur ethnique, celui de la langue française, au détriment de la diversité de nos territoires et de ses langues.
Ainsi, si la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine ou de religion, elle autorise une discrimination basée sur la langue, constitutionnalisée depuis 1992 et la reconnaissance d’une seule langue officielle, à l’exclusion de toutes les autres.
Pour autant, avant 1992, le français, sans avoir le statut de langue officielle de la République, n’était pas affaibli. La volonté de lutter contre la globalisation anglophone par une modification de la Constitution ressemble à une solution digne du combat de Don Quichotte contre les moulins à vent. Une solution à cette situation, qui n’aura au final fait que fragiliser les langues régionales dans la société française, est de reconnaître dans la Constitution leur droit à un développement dans la sphère publique.
L’enjeu de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, est une autre piste que le Constituant se devrait d’embrasser. C’était d’ailleurs une promesse du candidat Emmanuel Macron faites aux associations de défense des langues et cultures régionales lors de la campagne présidentielle. Il semblerait bien que cette promesse ait été oubliée car elle ne figure pas dans le texte gouvernemental de révision de la Constitution.
Qu’à cela ne tienne, les parlementaires peuvent avoir de l’initiative et un certain nombre d’entre eux, membres du groupe d’études sur les langues et cultures régionales de l’Assemblée nationale, défendrons des amendements en faveur de la pleine reconnaissance de la diversité linguistique interne dans la Constitution. Espérons que le gouvernement ne restera pas sourd aux sonorités multiples des langues régionales de France qui, à terme, risquent de disparaître. Cela serait une perte inestimable pour l’ensemble des Français, mais aussi pour l’humanité.
La tribune est également signée par:
Jean-Félix Acquaviva, député de Corse; Erwan Balanant, député du Finistère; Marine Brenier, députée des Alpes-Maritimes; Moetai Brotherson, député de Polynésie Française; Vincent Bru, député des Pyrénées-Atlantiques; Fabrice Brun, député de l’Ardèche; Michel Castellani, député de Corse; Jacques Cattin, député du Haut-Rhin; Lionel Causse, député des Landes; Paul Christophe, député du Nord; Paul-André Colombani, député de Corse; Olivier Damaisin, député du Lot-et-Garonne; Laurent Furst, député du Bas-Rhin; Antoine Herth, député du Bas-Rhin; François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône; Marc Le Fur, député des Côtes-d’Armor: Didier Le Gac, député du Finistère: Serge Letchimy, député de Martinique; Graziella Melchior, députée du Finistère; Emmanuelle Ménard, députée de l’Hérault; Frédéric Reiss, député du Bas-Rhin; Martial Saddier, député de Haute-Savoie; Maina Sage, députée de Polynésie Française; Raphaël Schellenberger, député du Haut-Rhin; Gabriel Serville, député de Guyane: Eric Straumann, député du Haut-Rhin; Patrick Vignal, député de l’Hérault.
Ce communiqué est paru sur Le blog de paul Molac