Les forces politiques se mettent en place pour les élections régionales de 2004. Si on connaît déjà le nom des chefs de certaines listes, il faut reconnaître que le contenu des programmes n'a pas été dévoilé.
L'Agence Bretagne Presse s'intéresse aux enjeux de ces élections pour la Bretagne et vous en dit plus sur des questions comme les institutions, l'identité bretonne, la langue, la réunification, le développement international, l'aménagement du territoire ou le rôle de la diaspora.
Jean-Pierre Le Mat inaugure aujourd'hui cette série de sujets de fond avec une contribution intitulée Pouvoir régional et impôts locaux.
Ronan LE FLECHER
" Pouvoir régional et impôts locaux
Il est commun de reprocher au Conseil régional son manque d’indépendance par rapport au pouvoir central. L’habitude est prise de désigner du doigt des responsables, en particulier notre JR breton. Or la dépendance de l’institution régionale est inscrite dans son budget. Le directeur d’une filiale ne se comporte pas comme le patron d’une entreprise indépendante.
Prenons toutefois l’hypothèse que le Conseil régional peut être mieux qu’une simple courroie de transmission, ou qu’une tribune politique. Imaginons qu’il puisse être l’amorce d’un pouvoir régional. Voyons ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il pourrait être demain.
Le budget
Le budget initial 2003 de la Région est de 670 millions d’euros. Le budget initial 2003 d’un département comme le Finistère est de 590 millions d’euros. En gros, la région Bretagne gère 231 euros par administré, alors que l’État en gère vingt fois plus et un département comme le Finistère trois fois plus par administré.
Toutefois, ces chiffres sont peu parlants. Ce qui intéresse le citoyen, ce n’est pas un budget total, mais les ressources qui sont allouées aux interventions, économiques ou sociales en particulier. Il faut donc soustraire du budget les frais de fonctionnement, le salaire des fonctionnaires, et diverses charges. Comparons ces dépenses d’intervention, qui sont représentatives du pouvoir réel.
Le budget de l’État alloué aux interventions économiques est 15 fois supérieur au même poste dans le budget régional (toujours par administré). Si on additionne le pouvoir d’intervention économique de la région et d’un département comme le Finistère, ils représentent ensemble un poids par habitant équivalent à 16% du poids d’intervention économique de l’État. Le pouvoir économique des instances régionales et départementales est donc faible, mais il n’est pas négligeable.
En ce qui concerne le social, le département possède un vrai pouvoir d’intervention mais non la région. Cette intervention constitue d’ailleurs la plus grosse part des dépenses départementales.
Les impôts locaux
Les recettes fiscales de la région Bretagne sont de 190 millions d’euros (budget initial 2003). Pour un euro payé à la région, le contribuable breton paye environ 62 euros à l’État français, dont 28 euros sous forme de TVA, 13 euros sous forme d’impôt sur le revenu, 6 euros par la taxe sur les produits pétroliers, 10 euros par l’impôt sur les sociétés.
Les impôts locaux alimentent les communes, l’intercommunalité, le département et la région. Les recettes fiscales de la région proviennent de la taxe professionnelle et de la taxe foncière, ainsi que de taxes indirectes (cartes grises et permis de conduire).
La gauche et l’extrême gauche veulent taxer le capital. Je propose de faire coup double. Pour taxer le capital et renforcer en même temps la démocratie de proximité, il faut augmenter les deux impôts locaux qui alimentent le budget régional : La taxe professionnelle qui touche au capital productif, et la taxe foncière qui touche au capital immobilier.
La marge de manoeuvre
Les recettes fiscales ne sont qu’une partie (moins du tiers) du budget régional. La plus grande part du budget provient des dotations de l’État qui transitent par la Région. La dotation régionale d’équipement scolaire (19 millions d’euros au budget initial 2003) est versée par l’État pour les lycées. Les dotations relatives à la formation professionnelle (54 millions d’euros) sont destinées à la formation et à l’apprentissage. Le Conseil régional n’a qu’un rôle de répartition, pertinent certes, mais très encadré.
La marge de manœuvre du Conseil régional n’est pas proportionnelle à ses moyens financiers. Elle est proportionnelle aux moyens qui lui sont propres, à savoir la fiscalité régionale et l’emprunt. En additionnant les emprunts et la fiscalité régionale, la part du budget permettant une réelle politique financière de la région ne représente même pas la moitié du budget total. Autant dire que l’institution régionale ressemble plus à une filiale qu’à une structure ayant les moyens d’une dynamique propre.
La recentralisation fiscale
L’autonomie fiscale des régions a régressé depuis 1998 avec la suppression des droits de mutation. La part régionale de la taxe d’habitation a été supprimée en 2000. En 2003, la taxe professionnelle a été remaniée, et la part des salaires et rémunérations a été supprimée. Dans les taxes foncières, la part régionale sur les propriétés agricoles a été supprimée.
Ces pertes fiscales ont été remplacées par des compensations provenant de l’État. Le résultat en est évidemment une réduction de la marge de manœuvre. L’autonomie budgétaire des collectivités territoriales peut à tout moment être amputée et même abolie par une réforme fiscale sur laquelle elles n’ont pas leur mot à dire.
Donner de la consistance à la Région
L’inconsistance du pouvoir régional pousse à l’abstention lors du prochain scrutin. Or, c’est lors des élections régionales que la revendication politique bretonne peut s’exprimer avec le plus de clarté. Que pouvons nous proposer Il est possible de distinguer trois axes de réflexion.
1 – L’augmentation des prérogatives et du budget. La définition des pouvoirs à attribuer aux collectivités territoriales, avec le budget correspondant, est du domaine des politiques. Avant les élections, nous pourrons faire une étude comparative sur les programmes des différentes listes ainsi que des partis bretons qui ne peuvent se présenter.
2 – Le remplacement des dotations de l’État par des impôts locaux. Ce transfert donnerait deux fois plus de consistance à l’échelon régional tout en étant sans influence sur le montant total prélevé dans la poche du contribuable. Aujourd’hui, la taxe professionnelle comporte des pourcentages pour la commune, l’intercommunalité, le département, la région. Demain, nous pouvons imaginer qu’un impôt comme celui sur les sociétés pourrait comporter un pourcentage pour les collectivités territoriales. Ce pourcentage, encadré mais voté par elles, pourrait se substituer aux dotations de l’État. Je ne prends pas le cas de l’impôt sur les sociétés au hasard. Des pays comme le Delaware aux États Unis ou l’Irlande en Europe ont démontré que, pour l’attractivité d’un territoire, l’action publique à travers l’impôt sur les bénéfices des sociétés est beaucoup plus efficace et finalement moins coûteuse que toutes les mesures de subventions. Ces pays sont comparables à la Bretagne pour leur économie d’origine agricole sans forte tradition industrielle. Les faibles poids de l’État du Delaware dans le cadre des États Unis et de l’Irlande dans le cadre de l’Europe sont comparables au faible poids de la Bretagne dans le cadre français.
Compte tenu de la médiocrité du budget régional, un tel transfert gagnerait à être accompagné d’un transfert analogue aux autres collectivités territoriales, communes, intercommunalités, départements.
Comment lutter contre le fléau des délocalisations dans un contexte mondialisé Les experts en stratégie industrielle conseillent, face à une concurrence à bas prix, de diversifier les services et de segmenter l’offre, pour apporter des solutions différenciées à différents besoins. Dans les pays développés, la lutte contre les effets pervers de la mondialisation passe sans doute par une stratégie analogue de segmentation, fondée sur une forte autonomie fiscale et politique des régions.
3 – La garantie des impôts locaux. Le fait que les recettes fiscales puissent être modifiées ou supprimées sans autre contrepartie qu’une dotation annuelle empêche toute vision à long terme des collectivités territoriales, et fragilise leur politique. La ville de Morlaix, qui a vu passer une part de la taxe professionnelle à la communauté de communes, en a fait l’amère expérience.
Cette situation de dépendance rappelle les débats fiscaux qui ont précédé la révolte du papier timbré (et des Bonnets Rouges) en 1675. L’époque connaissait une récession économique et une baisse des prix. Les États de Bretagne négocièrent avec Colbert le rachat des taxes par le paiement de la Bretagne à l’État français d’un capital de 2 600 000 livres. Cette solution satisfaisait les besoins d’argent immédiat de Louis XIV et permettait à l’assemblée bretonne de gérer la crise sur le long terme. Colbert n’en tint aucun compte et rajouta deux nouvelles taxes, sur le tabac et la vaisselle d’étain. La révolte qui embrasa alors la Bretagne fit des milliers de morts.
Comme en 1675, nous autres Bretons tentons de bonne foi d’amener la négociation sur le terrain de l’intérêt mutuel, alors que l’État central raisonne en terme d’autorité. C’est dommage, mais il faut en tirer les conséquences. Sans aller jusqu’à revendiquer une intangibilité des impôts locaux, ceux-ci devraient être garantis par une autorité extérieure à l’État.
Dans son article 17, la Déclaration des droits de l’homme garantit à l’individu ses droits de propriété comme un droit à maîtriser son avenir. « La propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». La fiscalité territoriale devrait bénéficier d’une garantie du même type si nous voulons que la région soit en mesure de remplir son rôle."
Jean Pierre LE MAT