16 mars 1978, 21 h 39. Il fait nuit, le vent souffle, la mer gronde. Le supertanker Amoco Cadiz s’éventre sur les roches de Portsall, dans la commune de Ploudalmézeau, chargé de 230 000 tonnes de pétrole brut. Le lendemain matin, une odeur âcre et poisseuse, comme le pétrole brut qui s’échappe de la coque, envahit l’air. Elle flotte à des kilomètres à la ronde, laissant envisager le pire : une marée noire comme jamais l’Europe n’en a connu. Récent, le navire battant pavillon libérien est mal entretenu. Alors qu’il double Ouessant, il est victime d’une panne de gouvernail. Il est 9 h 45. Diriger le monstre de 334 mètres de long devient impossible. L’Amoco Cadiz dérive vers la côte, poussé par un vent de force 8 à 10. Le commandant coupe les moteurs et demande de l’aide. Il va perdre de précieuses heures à négocier son sauvetage.
À 13 h 15, le Pacific, un remorqueur allemand, arrive sur zone. Mais rien n’y fait. Il n’est pas assez puissant, ses multiples tentatives d’intervention échouent.
À 20 heures, l’ Amoco Cadiz jette l’ancre, le capitaine tente d’empêcher son irrésistible dérive. Elle ne tiendra pas plus d’une demi-heure. Rien ne peut freiner le bateau, la houle est trop forte. C’est le désastre.
Le navire dérive toujours. À 21 heures, il touche le fond et se perce. Le commandant émet, à 23 h 18, un SOS. Trop tard. Le superpétrolier vient se disloquer sur la roche. La Marine nationale a juste le temps d’hélitreuiller les 34 hommes d’équipage et la femme du commandant.
Le plan Polmar, déclenché en cas de pollution marine accidentelle, est activé à minuit. Il ne pourra rien pour empêcher les tonnes de pétrole brut de se répandre sur les plages, les grèves, les criques… L’odeur est de plus en plus forte. Elle pénètre partout et les pompiers reçoivent des centaines d’appels. Le pétrolier continue de vomir sa cargaison.
300 km de côtes souillés
Le 17 mars 1978, au petit matin, le paysage est dévasté. Les habitants de Portsall sont abasourdis. Des jours durant, le pétrole continue à s’échapper, souillant plus de 300 kilomètres de côte, engluant tout. La colère des Bretons monte au fur et à mesure que le brut s’échappe, noir, visqueux.
C’est la quatrième marée noire en onze ans. Au moins 20 000 oiseaux vont mourir, 6 000 tonnes d’huîtres vont être détruites. Les champs d’algues sont souillés, les poissons meurent.
Pendant trois mois, 40 000 militaires et bénévoles nettoient sans relâche les plages, la mer, les rochers, les oiseaux mazoutés avec, pour armes, de simples pelles et des seaux.
Les conséquences du naufrage sont terribles. Moins de 10 % du pétrole a été récupéré. Le 30 mars, l’Amoco Cadiz est dynamité pour éviter une pollution sur le long terme. Il coule et gît toujours à 30 mètres de fond au large de Portsall. Il faudra six mois pour nettoyer les côtes et plus de sept ans pour que les espèces marines et l’ostréiculture récupèrent totalement.
Un procès « pollueur-payeur »
Ébranlés mais pas coulés, les élus des 98 communes touchées par la marée noire créent un syndicat mixte pour entamer une procédure contre la Standard Oil of Indiana , la société américaine propriétaire de l’Amoco Cadiz.
Les habitants font des dons pour financer le procès aux États-Unis. En 1984, un juge désigne la Standard Oil responsable de la catastrophe. Mais les compensations financières sont jugées insuffisantes.
Le syndicat mixte et l’État français font appel. En 1992, la Standard Oil est condamnée à verser 225 millions de francs (un peu plus de 34 millions d’euros) au syndicat mixte et 1 045 milliards de francs (près de 160 millions d’euros) à l’État. Le principe « pollueur-payeur » voit le jour.
Un point de bascule
Cette catastrophe va bousculer l’opinion. Face à la fronde des élus finistériens et à la colère des écologistes, les pouvoirs publics vont prendre des mesures de prévention. Celles qui auraient sans doute dû être prises en 1967, au moment du naufrage du Torrey Canyon , au large des îles Scilly.
Après la catastrophe de l’Amoco, un nouveau plan Polmar est adopté, de nouveaux radars sont installés et un rail de navigation est créé au large d’Ouessant. Un puissant remorqueur est également affecté en permanence à l’assistance des navires circulant dans le rail. À chaque coup de vent, il mouille dans la baie du Stiff (Ouessant), prêt à intervenir.
Le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux, le Cedre, est créé à Brest. Chaque pollution marine peut désormais être tracée.
Aujourd’hui, l’ancre de l’Amoco Cadiz trône au-dessus de la plage de Portsall. Le souvenir du naufrage y est toujours vif et les risques du transport maritime présents dans bien des têtes.
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