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- Dépêche -
Une Lorientaise témoigne : Sida, nous sommes tous concernés
Dans le Morbihan, depuis le début de l’année, 31 personnes ont découvert leur séropositivé, contre 22 durant l’année 2005. Une augmentation inquiétante, qui prouve que la maladie n’est pas au bout du monde, mais à notre porte, dans nos vies. A Lorient, une femme accepte de témoigner sur la
Par pour ABP le 2/12/06 0:16

Dans le Morbihan, depuis le début de l'année, 31 personnes ont découvert leur séropositivé, contre 22 durant l'année 2005. Une augmentation inquiétante, qui prouve que la maladie n'est pas au bout du monde, mais à notre porte, dans nos vies. A Lorient, une femme accepte de témoigner sur la maladie qui a changé sa vie.

Il est 19 heures. Accoudée au comptoir d'un petit bistrot de quartier, Martine discute, plaisante, rit avec ses amis. Rien ne distingue ce petit bout de femme aux cheveux légèrement grisonnants des autres clients. Pourtant, Martine vit depuis de nombreuses années en se demandant chaque jour combien de temps il lui reste sur cette terre. La cause ? Martine est séropositive. En cette journée mondiale contre le SIDA, elle trace un portrait sans concession sur sa vie, sa maladie.

Casser les idées reçues

A ceux qui pensent que la maladie ne les concerne pas, elle répond simplement en se décrivant : et#171; je suis une femme, hétérosexuelle. Je vivais en couple. et#187; Pour cette bretonne, qui avait un emploi, une famille, une vie, la découverte de sa contamination a été un choc. Pourtant, elle ne parle jamais de vengeance. Quand elle effleure la question de celui qui l'a contaminée, calmement, elle explique pourquoi elle n'a jamais porté plainte. Elle raconte la difficulté pour une personne incarcérée de pouvoir suivre un traitement en tri-thérapie. Et puis, elle le dit sans haine : et#171; qu'est-ce que ça aurait changé pour moi ? et#187;

Mais par-dessus tout, elle veut maintenant que les idées reçues disparaissent. Elle en a marre d'entendre à longueur de temps les même bêtises, d'entendre que l'on guérit du Sida. Fermement, elle résume sa pensée : et#171; En France, le Sida tue toujours et#187;, et aux jeunes générations elle ajoute et#171; continuez à vous protéger, c'est la seule solution. et#187; Et pour cela, elle a une solution : et#171; le préservatif doit être gratuit, c'est actuellement le seul moyen efficace d'éviter le risque. et#187; Elle met aussi en avant le préservatif féminin, parce qu'elle veut et#171; que la femme puisse se protéger, même quand l'homme ne se protège pas. et#187;

Le SIDA concerne tout le monde

Pour Martine, ça va faire 12 ans que la vie est rythmée par la maladie. Quand le Sida est arrivé, pour l'opinion publique c'était une maladie de drogués et d'homosexuels. Ce qui a choqué Martine a l'époque, c'est la différence que l'on faisait déjà entre les malades : et#171; il y avait les bons malades, ceux qui avaient été contaminés lors d'une transfusion, et les mauvais malades, pour qui s'était bien fait, qui étaient ou des consommateurs de drogues, ou des homosexuels. et#187;

Aujourd'hui, Martine regarde avec un oil dubitatif les réflexions sur le sujet : et#171; les mentalités ont du mal à changer et#187;, précise-t-elle, avant de rappeler que et#171; cette année, 57% des nouvelles contaminations touchent des femmes hétérosexuelles. et#187; Martine voudrait que les gens comprennent : les drogués ont changé leurs pratiques, et font attention à ce qu'ils font. Depuis, la contamination stagne dans ce milieu, et parfois régresse même. Dans le milieu homosexuel aussi, la maladie a laissé des traces : depuis, la prévention est dans tous les établissements, et les préservatifs sont gratuits.

Pourtant, les hétérosexuels pensent toujours être à l'abri de la maladie. Une situation qui énerve Martine.

et#171; Trop d'info nuit à l'info et#187;

Mais Martine pointe aussi du doigt toutes les incohérences de notre société dans sa relation avec le Sida : elle ne comprend pas pourquoi, quand une jeune fille se précipite dans une pharmacie pour et#171; demander une pilule du lendemain et#187;, on ne l'aiguille pas aussi vers un centre de dépistage. et#171; Si elle risque de tomber enceinte, elle a autant de risque d'attraper le virus. et#187; Un discours à destination des jeunes qui n'ont pas toujours conscience de la gravité de la maladie : et#171; pour ceux qui ont la trentaine aujourd'hui et qui ont vécu les années Sida, il n'y pas de soucis, mais les jeunes pensent encore que l'on guérit du Sida, ils sont mal informés. et#187;

Le discours du pape ? Pour Martine c'est une bonne chose que l'église prenne conscience du drame qui se joue. et#171; Le fait que le pape en parle pourra faire évoluer les mentalités. et#187; La journée mondiale contre le Sida ? et#171; Bien sur c'est une bonne chose, mais le Sida c'est 365 jours par an. et#187; Martine voudrait maintenant qu'il y ait une information plus claire.

Le combat d'une femme

Pour bien faire comprendre, Martine raconte son histoire. C'est l'histoire d'une femme ordinaire dont la vie a basculé. Pour elle, la première étape c'est l'acceptation de la maladie : et#171; quand on apprend qu'on a le Sida, on passe par plusieurs phases, avant de pouvoir tenter d'accepter ce qui nous arrive. et#187; Pour cela, pas de suivi psychologique ; le malade est laissé face à lui-même, et doit faire seul un chemin douloureux.

La maladie, c'est aussi le début du traitement. Pour Martine, ça a été jusqu'à 30 cachets par jour. Des médicaments qu'il ne faut jamais oublier, pour ne pas risquer de voir la maladie s'aggraver. Le traitement est très lourd : et#171; physiquement ça te dégrade. et#187; Perte de poids, de masse graisseuse, transformation du physique, le malade doit apprendre à vivre dans un autre corps, abîmé par la puissance des molécules qui doivent le protéger.

Et puis, il faut vivre, malgré tout. Tenter de garder un espoir. Celui de voir un jour apparaître un nouveau traitement. Mais la vie est difficile. Le regard des gens change. et#171; Il y a des jours où tu n'as pas la force de travailler. Soit tu te tais sur ta maladie, et tu finis par ne plus pouvoir aller bosser, soit tu expliques, et tu perds ton job. et#187; Quand on lui demande de résumer sa vie, Martine parle et#171; pauvreté et marginalisation et#187; ; elle explique le début de la solitude, l'éloignement des proches qui ne veulent pas comprendre, et#171; les gens qui ont peur de te serrer la main et#187;, et les aides de l'état qui ne permettent pas de vivre : et#171; pour supporter le traitement, tu dois bien manger, mais les aides te permettes à peine de payer ton loyer. et#187;

A Lorient, en 2006, il y a un petit bout de femme au sourire charmant qui n'arrive pas à oublier la mort. Mais aujourd'hui, elle témoigne, pour que d'autres n'entre pas, par une bêtise, dans l'enfer d'une maladie qui tue, à petit feu, détruisant, petit à petit, tout ce qui fait que la vie est belle.

Texte : JP Tranvouez Photo : S Jolivel

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