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- Chronique -
Vassilis Alexakis : « La clarinette »
Dans son dernier ouvrage en date, Vassilis Alexakis, né à Athènes en 1943, joue sur toute la gamme des sentiments, dans ce brillant humour du second degré qui caractérise si
Par Sylvie Le Moël pour Association Grèce-Bretagne le 26/06/15 21:33

Dans son dernier ouvrage en date, Vassilis Alexakis, né à Athènes en 1943, joue sur toute la gamme des sentiments, dans ce brillant humour du second degré qui caractérise si bien sa plume. A la tendre ironie, succède la dérision, la mélancolie, puis la poignante révolte contre une situation désespérée qui arrachera à la vie son meilleur ami et éditeur Jean-Marc Roberts. Au fil des 351 pages, la musique du c½ur et de l'amitié se fait plus pressante, plus angoissante, plus tragique jusqu'à ce terrible jour de mars 2013 où l'auteur perd cette chère âme. Le rythme du roman est celui de la vie, qui inexorablement s'en va. Alexakis établit un angoissant parallèle entre le cancer qui ronge son éditeur et le mal qui frappe la Grèce avec cette crise économique sans précédent doublée d'une crise politique à l'époque de l'écriture du roman (2013/2014). Pour lui, les deux drames n'en font qu'un. Avec fougue, il grave dans sa mémoire les précieux moments vécus Jean-Marc Roberts, à l'instar de ce graffiti, ce cri du coeur gravé sur les murs d'Athènes : « Je dépéris ». Un cri terrible qui résonne par delà les frontières et les individualités.

Le titre semble en complet décalage avec la teneur du roman. Il apparaît dérisoire, telle une anecdote, un curieux anachronisme qui interpelle le lecteur.

La clarinette- qui en grec se nomme Klarineto comme le précise Alexakis- est un instrument qui intervient dans la musique grecque, notamment dans la musique folklorique de l'Épire. Le titre est le prétexte que prend l'auteur pour évoquer le souvenir, celui, bien sûr, de son ami décédé, mais à travers le choix de cet instrument il élabore quelques réflexions ayant pour thème de l'oubli, la vie et l'écriture.

La clarinette aussi résonne pour tout lecteur breton. La « Treujenn Gaol » constitue aussi un instrument utilisé dans la musique bretonne traditionnelle et plus précisément dans le mode « Kan ha diskan ».

Dans le roman d'Alexakis, cet instrument à vent est aussi symbolique puisque le souffle manque à son éditeur qui se meurt à petit feu du cancer des fumeurs. Mais c'est aussi le souffle qui manque aux Grecs, asphyxiés en quelque sorte par les problèmes économiques.

Pour cet Athénien qui puise ses racines paternelles à Santorin, le souffle de vie provient du Grand Bleu. Il respecte et affectionne tout particulièrement la mer. Il juge que grâce à elle « aucun autre paysage ne ressemble autant à la vie, voilà pourquoi on ne peut pas l'oublier, elle se souvient de la jeunesse du monde ». Pour s'imprégner de cette jeunesse et se rapprocher de l'élément marin, tout à fait vital pour lui, l'auteur effectue quelques escapades en Bretagne, du nord au sud, de St Malo (où son éditeur lui avait présenté une amie) à Lannion, à la Pointe du Raz... A Saint Brieuc, il salue et apprécie la « jolie gare » où il est descendu. A Nantes, il ouvre une page d'histoire, se souvenant de l'exécution de 50 otages par les forces d'occupation allemandes. A Saint-Nazaire il avoue être choqué par un « gigantesque parallélépipède en béton plus haut qu'un immeuble... construit par les Allemands pendant la dernière guerre mondiale. Pour lui, « l'endroit interdit le moindre rêve ». S'il ne visite pas les chantiers navals qui se trouvent à distance de la cité, il s'embarque toutefois pour une promenade littéraire, savourant « Les enfants du Capitaine Grant » de l'auteur breton Jules Verne.

L'écriture joue un rôle essentiel dans la vie d'Alexakis. La sienne se décline soit en grec soit en français : « Écrire est la meilleure façon de faire usage de son imagination » avoue-t-il. Remerciant son éditeur pour la confiance qu'il lui témoigne, il affirme aussi sa fierté d'avoir été publié en breton : « Je t'ai annoncé qu'un de mes précédents livres venait d'être traduit en breton » précise-t-il.

Il relate alors la réaction de Jean-Marc Roberts : « Mais c'est la gloire ! t'es-tu exclamé. Très peu d'auteurs français ont eu cet honneur. Mais toi tu es Grec en même temps. Je suis sûr que tu es le premier Hellène traduit en breton depuis Homère ». Le livre dont Alexakis fait référence est « Goude J.K » ,  « Après J.C » aux éditions Barn ha Skrid, traduit en breton en 2013 par Alan Botrel.

Alexakis ne semble pas plaisanter avec les langues ou l'identité régionale. Il peut même fustiger des compagnies de transport pour avoir négligé de prendre en considération les cultures et langues régionales : « J'ai fini par m'énerver contre la SNCF car elle répugne à utiliser les langues régionales dans les gares : les départs des trains pour l'Allemagne sont annoncés en français et en allemand, ceux pour l'Espagne, en français et en espagnol, mais jamais les convois pour Brest, Toulouse, Strasbourg ou Amiens ne sont signalés en breton, occitan, alsacien ou picard », s'insurge l'auteur.

Sylvie Le Moël

Pour information : après l'attribution du Prix François-Billetdoux, le roman vient de se voir décerner le Prix Casanova 2015.

Vassilis ALEXAKIS : « La clarinette »

Éditions du Seuil

351 pages

21 Euros

ISBN : 978.2.02116769.6

www.seuil.com

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