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Yann Ber Piriou et Erwan Evenou sont à droite.   photo coll. Yann Ber Piriou.
Yann Ber Piriou et Erwan Evenou sont à droite. photo coll. Yann Ber Piriou.
- Chronique -
Erwan Evenou (1940-2020): Pied noir, Algérien, Breton par choix
La génération « algérienne » du mouvement breton politique et culturel, entrée en action dans les années 1950, agent d’un formidable sursaut breton, est durement éprouvée (1) . Chaque vie qui s’achève nous raconte une partie de cette histoire commune à travers une trajectoire personnelle et repose la question de Morvan Lebesque : « Comment peut-on être breton ? ».
Par Jean-Jacques Monnier pour Jean-Jacques Monnier le 27/04/20 12:31

Erwan est né à Alger de parents pieds noirs de longue date. Il a seulement un grand-père breton qu’il n’a pas connu. Né en 1940, il vit tout près des massacres de Sétif qui fragmentent une société jusque là inégalitaire mais multi-culturelle où le « Pied noir » parle un peu les langues de l’indigène (arabe et kabyle), le français ou l’espagnol et réciproquement, loin d’une France qu’il n’imagine qu’avec peine. Les fractures se multiplient avec les violences de la guerre et de la répression.

Organisateur et tribun précoce, militant toujours

A la faveur d’un voyage en Bretagne, Yvon transfère son identité vers la Bretagne, commence à apprendre le breton, écrit dans la page des « jeunes bretons » de la revue Al Liamm, fonde en 1956 une association de jeunes apprentis bretonnants dispersés (KAVY) qui vont correspondre pendant l’année et se retrouver l’été en stage autour d’un aîné, Ronan Huon : Guénolé Le Menn, Yann Ber Piriou, Donatien Laurent, Alan Cochevelou, Gwennael et Mona Mazé et d’autres (photo).

En 1957, bac en poche, Erwan débarque à Paris, en classe préparatoire, fuyant le conflit qui s’amplifie, sort commun à la plupart des Pieds noirs. Il atterrit comme instituteur dans le Morbihan intérieur, choisi comme terre d’implantation. Il retourne en Algérie comme appelé et instituteur en 1965. De retour 2 ans après, il comprend mal le «mai 1968 » étudiant qu’il trouve « bourgeois » après avoir vécu tout près de Bab el Oued.

Devant le recul de la langue, abandonnée par les parents d’élèves, Erwan est au premier rang pour la fondation de Galv –Comité d’action pour la langue bretonne- en 1969, cartel progressiste unissant Ar Falz, UDB et JEB étudiante. Tant à la fondation à Brest devant un amphi comble, que lors du rassemblement de Carhaix ou la grande marche des droits linguistiques entre Plouay et Lorient (1971), Erwan Evenou se révèle homme d’action, organisateur, l’un des meilleurs tribuns de sa génération. Il s’était choisi breton. Avec la publication d’une plaquette collective appelée « le livre blanc et noir de la langue bretonne » et de nombreuses marches non violentes locales.

Il aide des jeunes proches de l’UDB à s’ organiser en mouvement autonome (JPB), avec un journal régulier, Ni. Echec partiel, puisque le mouvement quitte l’UDB et ses adhérents rejoignent pour partie les maoïstes ou l’anarchisme. Erwan vit très mal cet échec.

Entre deux colonisations

Au Faouët où il enseigne l’anglais, et dans les environs, la guerre entre laïcs majoritaires et cléricaux condamne le pays au déclin, ce que dénonce le candidat Evenou lors des premières élections législatives avec participation du parti breton de gauche en mars 1973. Il dépasse largement les 3%, triplant ou quadruplant cette moyenne dans des commune rurales laminées par l’émigration. Il sera plusieurs fois candidat aux élections cantonales.

Mais l’appel du pays natal demeure fort et c’est le retour, cette fois en famille, en Algérie comme enseignant coopérant. Ses enfants bretonnants apprennent aussi l’arabe, ce qui est rare chez les coopérants. Mais la montée de l’islamisme et de la guerre civile met fin à cette tentative, où il découvre une Algérie mal gérée et policière qui dilapide ses atouts et qui n’accepte plus la différence.

De retour au Faouët, Erwan enseigne l’anglais et le breton dans son collège et obtient le Capes de breton en 1986, année de sa mise en place. Il soutient une thèse sur le breton de Lanvénégen et devient inspecteur pédagogique de breton, une situation inconfortable entre le marteau administratif jacobin et l’enclume des faibles moyens dédiés à l’enseignement du breton. Ombrageux, impatient, Erwan n’est sans doute pas fait pour cette fonction complexe où l’inspecteur n’est guère reconnu par ses collègues et ses supérieurs, à la mesure de la non reconnaissance de la langue. Avec deux brefs intermèdes plus favorables correspondant aux passages comme ministre de l’Education de François Bayrou, puis de Jack Lang.

Par ailleurs, Erwan s’est beaucoup investi localement et au niveau breton dans les instances du Gouren. Notre dernière rencontre s’est faite dans le hall du Conseil régional, où il venait défendre l’aide à ce sport breton important et moi à l’histoire de Bretagne.

Chez les Bretons, Erwan Evenou demeure très critique sur ses nouveaux compatriotes, quitte à y déceler des attitudes de colonisés qu’il avait déjà repérées chez ses frères algériens (2).

Sur tous les fronts

- On imagine mal tous les efforts que cette génération qui ne fait pas de très vieux os a dû fournir. Sur le plan professionnel, le militant doit beaucoup donner pour que le monde extérieur et la hiérarchie n’imputent pas au militantisme une insuffisance dans l’effort. Erwan Evenou a été un enseignant d’anglais puis de breton engagé syndicalement.

- Sur le plan culturel, le combat est sans fin et difficile ; il s’accompagne du « parfum violent d’une patrie à construire » dont a pu parler Paol Keineg. Erwan participe à la création culturelle en publiant en breton, poèmes et prose. Il laisse donc une œuvre littéraire et poétique publiée, en breton et en français. Son œuvre est aussi présente dans l’anthologie bilingue de Yann Ber Piriou, Défense de cracher par terre et de parler breton.

- L’avancée culturelle exige des changements légaux, ce qui nécessite en plus un engagement politique, lui aussi particulièrement lourd et ingrat, dans l'un des secteurs les plus figés et vieillis de Bretagne. Dans le cas d’Erwan Evenou et des siens, le tout s’est accompagné de l’effort réussi de vivre la langue bretonne dans l’espace familial et de la transmettre. S'y ajoute la volonté de faire vivre un sport breton pour les jeunes. D’où son engagement constant et à plusieurs niveaux dans la défense et la promotion du Gouren.

- La seconde question, que suggère déjà le titre de l’article, est en fait une réponse. Quand j’ai rencontré mon aîné Loeiz Le Bec, historien comme moi, mais engagé avant moi et pour qui la guerre d’Algérie a été également un élément marqueur (comme combattant obligé), il m’a tout de suite précisé : « on ne naît pas breton. On se choisit breton ! » . L’exemple d’Yvon Evenou, devenu « Erwan » par choix, en est une illustration supplémentaire.

- La troisième question est celle de l’identité : peut on en avoir plusieurs ? Erwan était un Algérien. L’Histoire ne lui a pas permis de continuer à l’être. Ce fut pour lui comme pour beaucoup d’autres « la valise ou le cercueil » , menace clairement écrite sur les murs d’Alger. Ce fut pour d’autres seulement le cercueil. Son grand-père breton et quelques séjours ont été suffisants pour qu’il puisse se trouver un pays de rechange et s’y impliquer totalement. Souhaitons que beaucoup d’autres personnes fassent cette découverte positive qui a donné sens à son existence.

(1) successivement R.Leprohon, P.Le Padellec, Y.Fichou, YC Veillard, Y.Donguy, D. Laurent, et dans un autre registre, Alexis Gourvennec, liste non exhaustive…

(2) voir son autobiographie en français "Le Coq, l'Hermine et le Croissant", Ouestélio, 2012

Voir aussi sur le même sujet : Histoire, mouvement breton, culture, politique
Cet article a fait l'objet de 1349 lectures.
Jean-Jacques Monnier est historien et écrivain.
[ Voir tous les articles de Jean-Jacques Monnier]
Vos 7 commentaires
Marie-Josée Christien Le Lundi 27 avril 2020 13:54
Merci pour cet article très exhaustif !
Quelques précisions :
- au CEG du Faouët, il enseignait aussi l'allemand, qui était 2ème langue à partir de la 4ème pour ceux qui ne faisaient pas latin.
- à cette époque (de 69 à 72 au moins, l'époque que j'ai connue collégienne), il organisait des colos en Breton pendant l'été.
- il a aussi monté des pièces de théâtre en Breton avec ses élèves au CEG. Elles étaient ensuite programmées pour tout public lors de la fête du Collège qui avait lieu à la salle du restaurant "Chez Louisette" avant les vacances de noël.
Je crois que Serge Moëlo a participé aux colos, aux cours de Breton et aux pièces de théâtre.
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Yann Menez Are Le Lundi 27 avril 2020 14:46
Article très documenté sur Ewan Evenou, personnage au parcours très riche,et très engagé.
La partie concernant le gouren seul sport national Breton, mériterait un développement plus important.
Ceci étant bel article!
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Jacques Le Lundi 27 avril 2020 15:40
@ Jean-Jacques Monnier,
=>Combien d'Algériens s'appellent ''Yvon'' comme prénom et ''Evenou'' comme nom de famille?
=>Je reformule ma question : Vu que vous affirmez que Yvon Evenou est ''Algérien'', j'aimerai savoir combien d'Algériens (42 millions d'habitants pour mémoire) considèrent qu'une personne ayant le profil d'Yvon Evenou comme l'un des leurs?
=>Je reformule encore ma question : Sur les 7 milliards d'êtres humains sur cette planète, combien de personnes liraient cet article en se disant ... ''Mais c'est bien sûr! Yvon Evenou était Algérien, qu'il se considère comme Breton n'est en rien logique....! Quelle belle aventure...!''
En clair, la prochaine fois que je rencontre un ''Yamamoto'' né à Glasgow, dois-je m'étonner que cette personne s'intéresse à la culture Japonaise...?
Mais alors comment expliquer que les 42 millions d'Algériens aient donné à Yvon Evenou le choix entre : ''valise ou cercueil...''?
Bien sûr on est en droit de penser que les 42 millions d'Algériens sont mal placés pour définir l'identité Algérienne...
Peut-être n'y a t-il que les progressistes occidentaux comme légitime pour s'exprimer sur ''ce qui est algérien ou pas''?
Je crains qu'à part la gauche du mouvement breton (UDB), personne sur cette planète (7 milliards d'individus) ne verrait dans Yvon Evenou un ''Algérien''... sachant que les Algériens (les 1er concernés) ont déjà répondu à cette question!
(Pour mémoire le FLN était de gauche comme l'UDB... de gauche oui mais pas occidental, donc peut-être pas légitime aux yeux de la gauche bretonne pour s'exprimer sur la question de l'identité algérienne... Je ne sais pas, je pose la question?)
Alors pourquoi le présenter ainsi?
La réponse apparaît en fin d'article :
« on ne naît pas breton. On se choisit breton ! »
Cette phrase est de Lebesque, oui et alors?
Donc : 4,5 millions de Bretons ayant de nos jours toutes les peines du monde à exister dans leur dimension culturel/identitaire (pourtant très ancienne au sein du monde occidental), ambitionnent d'expliquer aux 7 milliards d'êtres humains la notion d'identité???
N'est-ce pas un peu osé?
Que doit-on en conclure?
Ouverture sur le monde ou incapacité momentanée à accepter soit-même ce que l'on est?
Le sujet étant également l'identité algérienne : On note aujourd'hui que beaucoup d'Algériens (naturalisé français) de 2 et 3ème génération se sentent de moins en moins bien dans leur peau de ''Français/Breton/Européen'' et se revendiquent de plus en plus de l'identité de leurs origines!!!
Comment l'expliquer?
Chez les Africains il existe même un mouvement appelant à la remigration vers l'Afrique, pour construire l'Afrique avec les Africains!
Oui je sais, ce n'est pas aux Africains de définir l'identité Africaine...!
Un Africain avec une carte française est Français, point final et peu importe l'avis des personnes concernées!
Sauf que c'est bien aux personnes concernées de répondre et non aux progressistes occidentaux!
Alors, est-ce que l'on ne naît pas Algérien mais qu'on le devient?
La question de l'identité est posée :
A titre personnellement, je pense que cette question d’identité est l'une des très rares à être universelle (on le sait maintenant, elle existe même au sein du monde animal, et oui...)!
L'étude de cette question ne se résume en rien à l'exemple breton, et encore moins aux idéologies des progressistes bretons/européens/occidentaux!
Sauf bien sûr à imaginer que ce débat ne relève que des Bretons qui seraient une espèce à part du reste de l'humanité (7 milliards d'êtres humains vs 4,5 millions Bretons...)
Mais je n'apprécie pas véritablement ce terrain racial qui ferait des Bretons une race humaine à part de l'humanité!
J'avoue être en difficulté pour comprendre cette théorie plus que douteuse que l'on veut imposer aux Bretons comme une pensée unique et obligatoire qui par nature ne serait que propre à eux-mêmes...!
Car sauf erreur, cette approche n'a pas encore soulevée des foules au sein des ''Bretons qui ne seraient pas Bretons...''... on peut même parler d'échec!
A galon,
PS : Par avance, merci de ne pas censurer.
Le débat est la base de la démocratie.
(Pour rappel, dans UDB il y a la lettre ''D''...)
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jean-jacques monnier Le Lundi 27 avril 2020 16:16
Je laisse passer exceptionnellement cet article parce que ce n'est pas la vocation d'une chronique historique de dériver sur un débat qui peut être légitime mais qui ne concerne pas les faits cités dans l'article. Je m'en réfère à son livre autobiographie: Erwan Evenou s'estimait d'abord Algérien et Pied noir. Je n'ai pas de raison de remettre en cause son sentiment d'appartenance. Puis il s'est investi profondément dans de nombreux aspects du combat breton, culturel, social et politique et s'est fortement affirmé comme Breton. Tout l'article en est une illustration. Le propos "on ne naît pas breton, on se choisit breton, est de Loeiz Le Bec, bien avant la parution de "Comment peut on être breton? ". J'ai donc cherché à être le plus fidèle à la trajectoire et aux écrits de Erwan Evenou. Je conseille vivement, avant de remettre en cause les termes qu'il a employé, de lire son autobiographie en français, ou celle en breton. Je n'écris pas ici en tant que représentant de tel parti mais en tant qu'historien et seulement cela. Je ne mélange pas les genres.
Tout apport sur le Gouren et l'action d'Erwan sur ce terrain est bienvenu. Dans un article forcément écrit rapidement pour paraître sur ce site, on ne peut tout dire et chacun ne sait pas tout. Si cet article peut être complété par des apports sur l'action d'Erwan (très importante dans de nombreux domaines), il aura rempli son but.
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jakez Lheritier Le Lundi 27 avril 2020 16:38
Je laisserai mon beau frère algérien parler de Erwan Evenou, qu'il a connu plus que moi au Faouet notamment à son retour en Bretagne.
Et j'aimerais que les intervenants comme -Jacques- communique son nom!
Son commentaire, comme d 'autres souvent, se cache dans un anonymat malsain...Pourquoi?
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Klaod an Duigou Le Mardi 28 avril 2020 07:20
En espérant que mes brèves remarques passeront. J'ai fait la connaissance d'Erwan Evenou en novembre 1970, après quelques échanges épistolaires. Avec mes camarades de classe, nous avons créé rapidement un "Cercle Ni" (l'Union des Cercles Ni s'est transformée en Jeunesses Progressistes de Bretagne un an plus tard à "Dor an Dour"; effectivement, avec Erwan, l'Algérie était partout) à Rostrenenn et j'ai moi-même intégré celui d'Ar Faoued. Le militantisme à Galv a suivi logiquement pour moi-même et mes camarades, nous étions en force dans le travail de préparation de la Marche Galv de la Pentecôte 1971 (cf. la photo publiée par Jean-Jacques sur le site du PB). La campagne électorale de 1973 fut très fatigante. Les divergences devinrent de plus en plus évidentes entre, d'une part, le courant MAJORITAIRE dans les JPB, et les militants soutenant la ligne de l'UDB. Elles devinrent publiques au printemps 1974 par notre appel à l'abstention dans lequel nous rappelions notamment le passé colonialiste de Mitterrand. Enfin, pour répondre à Jacques, des Européens d'Algérie (y compris donc des juifs indigènes) firent le choix de participer à la Guerre d'Indépendance. Certains en moururent, les survivants restèrent dans leur pays. L'un d'eux, mort il y a quelques années, fit une belle carrière puisqu'il était le dirigeant de la Protection Civile.
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pascal rannou Le Mercredi 29 avril 2020 13:01
On parle souvent de Camus comme d'un "écrivain algérien d'expression française", ce qui ne choque personne, au contraire...
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