Je suis toujours étonné par ceux qui ont des opinions sur tout : l'islam, Notre Dame des Landes, le changement climatique, les produits bio, la Grèce, Obama, Mai 68, le costume d'untel, la robe d'unetelle.
Pour ma part, s'il fallait dresser le catalogue des sujets sur lesquels je n'ai aucune opinion, il serait impressionnant. Y compris sur des sujets censés être importants, catastrophiques, apocalyptiques ! Et je n'ai même pas honte.
Les opinions peuvent concerner des individus. Marine Le Pen, François Hollande, José Bové, Nicolas Sarkozy, Xavier Beulin suscitent des jugements définitifs. Certains noms sont devenus des symboles. On ne juge plus des personnes, mais des bouts de phrases, les traits d'un visage, un acte de jeunesse, une fortune. C'est en effet plus simple.
Les opinions peuvent aussi concerner des étiquettes de partis, de syndicats, de professions, de religions. Ceux qui accordent beaucoup d'importance à leurs propres étiquettes en accordent aussi beaucoup aux étiquettes des autres. Ils ont en général tort, car chaque personne est plus complexe et plus intéressante que ses étiquettes. Les étiquettes deviennent trompeuses quand on ne les connait que par ouï-dire. Ainsi, autrefois, tout le monde avait un agriculteur dans sa famille. Les étiquettes des agriculteurs (FDSEA, éleveurs de porcs) étaient moins abstraites qu'aujourd'hui.
L'Institut de Locarn, accusé d'être à la fois un repaire de l'Opus Dei, un lobby communautariste ou ultralibéral, et un pôle de soutien à Le Drian, suscite les opinions les plus amusantes et les plus variées.
Les grands projets suscitent des opinions standardisées. Les jugements prêts à l'emploi sont fournis par ceux qui accèdent aux médias. Constatons que les projets qui suscitent le plus d'opinions, de pétitions et de manifestations sont situés à la campagne ou à la mer. Les métropoles, avec leurs concentrations humaines, leur pollution et leurs équipements démentiels pour le logement, les transports ou la sécurité, ne font pas partie du répertoire des "grands projets inutiles". Les opinions de masse sont diffusées par les médias de masse. Ces médias sont centralisés dans les métropoles.
Eh oui, je manque d'opinions ! Mais mon handicap n'est, finalement, pas si grave. Il est partagé par beaucoup de ceux qui entreprennent, que ce soit dans le monde économique, associatif, artistique ou politique. Les opinions permettent à ceux qui n'agissent pas de se donner une identité. L'identité des "disous" est liée à leurs jugements. L'identité des "faisous" est liée à leurs actes. Leur préoccupation est de mobiliser les énergies les plus diverses. Donner trop d'importance aux opinions présente un risque de dispersion.
Je fais la différence entre les opinions et les convictions. Pour passer à l'action, il faut des convictions. Celles-ci doivent être en nombre limité pour être efficaces. Il faut marcher vers un seul horizon, vers un point cardinal. C'est dans la façon de marcher ensemble que s'exprime la sensibilité démocratique, pas dans le brouhaha des opinions.
Notre avenir passe-t-il par des victoires dans les débats d'opinions ?
La Bretagne sera-t-elle indépendante quand nous aurons suffisamment flétri le jacobinisme ?
Les élus vont-ils démissionner parce que nous les aurons suffisamment insultés ?
Non. Je ne le crois pas une seconde. Les opinions tranchées et la violence verbale ne révèlent pas la force, mais l'impuissance. Certes, l'impuissance haineuse peut être destructrice. Les révolutionnaires, ceux qui veulent changer les choses, savent s'en servir et la manipuler. Mais ils n'y succombent pas. Ils y perdraient leur cap.
Pour construire la Bretagne de demain, nous devons être présents dans trois sphères.
Dans la sphère économique, nous devons contribuer au dynamisme des entreprises et faire en sorte que les centres de décision soient localisés en Bretagne.
Dans la sphère de la société civile, nous devons contribuer aux initiatives des associations et de tous les créateurs. Evitons le terme d'initiatives "citoyennes". Cet adjectif a un parfum d'embrigadement ; la citoyenneté est décernée et contrôlée par l'appareil d'Etat. Les initiatives qui structureront vraiment la Bretagne ne seront pas considérées comme "citoyennes", ni par le gouvernement, ni par l'opinion publique française, ne vous faites pas d'illusion !
Dans la sphère politique, une fois les élections régionales passées, il reste à créer une plateforme ouverte, analogue à ce qu'est l'Institut de Locarn ou "Produit en Bretagne" dans la sphère économique, et à ce que sont les Bonnets rouges ou l'Institut de Silfiac pour notre société civile. Une telle coopérative d'innovation politique est déjà en germe dans Breizh 5/5, Dibab, les cahiers de doléances ou la liste "Choisir nos régions".
Relativisons les opinions qui paradent et qui s'affrontent, sur Facebook ou dans les médias. Elles ne font pas bouger les lignes. C'est l'action constructive qui façonne la Bretagne de demain.