Chronique : Plogoff, le nucléaire et la bougie
Plomelin/Ploveilh.- Suite du journal de campagne de J.-C. Perazzi.
Lettre ouverte au président de la République
On n'osait le croire ? Vous avez osé, hier, en visitant le chantier de la nouvelle usine du Tricastin, à Pierrelatte : "Les Français veulent-t-il demain le retour à la bougie ?"
À trente ans de distance, la même interrogation méprisante entendue à Plogoff lors des événements que l'on sait. Les mêmes arguments de comptoir pour fustiger les supposés opposants au nucléaire, au progrès technologique, au confort électrique, au développement économique… Bref, à un avenir radieux grâce à la radioactivité, sachant que, dans ce domaine, nous sommes les meilleurs du Monde.
On s'attendait - on s'attend - à voir s'engager un vrai débat sur le sujet. A l'occasion d'une élection dont on nous rebat les oreilles depuis bientôt cinq ans. Pour désigner à la tête du pays un homme ou une femme qui parlera à la première personne au nom de soixante-cinq millions de citoyens et de citoyennes (n'oubliez pas, mesdames que vous allez retrouver droit de cité, comme d'habitude, quand approchent des élections). Et voilà-t-y pas, M. le président, que vous nous refaites le coup de l'éclairage à la bougie. Navrant.
Permettez-moi un petit rafraîchissement de mémoire
Au début de l'année soixante-quinze, soit cinq ans avant les événements qui secoueront la pointe du Raz, le professeur Pellerin, spécialistes des rayons ionisants, vient nous prêcher la bonne parole à Auray. En substance : l'industrie nucléaire comporte des risques très importants, mais les avantages sont infiniment supérieurs.
Le CRIN, Comité régional d'information nucléaire, organise le même jour à Lorient sa propre réunion sur le sujet. Contradictoire, celle-là. Et l'on entendra cette fois le professeur Philippe Lebreton, physicien nucléaire, mettre en garde l'auditoire en dénonçant « la mégalomanie de certains dirigeants d'EDF qui témoignent d'un profond mépris pour l'opinion » . Il évoquera aussi « la société totalitaire » vers laquelle va nous conduire cette technique.
Plus tard, à Audierne, en plein conflit de Plogoff, l'abbé Béhagel, professeur de chimie et de sciences, préviendra également les Bretons des dangers du nucléaire.
Des arguments pour ou contre suivront, développés avec une égale conviction par des spécialistes des sciences, mais aussi par des politiques, des philosophes, des sociologues…
Nous autres, journalistes, spécialistes le plus souvent en rien, avons écouté, interrogé les uns et les autres.
Une chose nous a particulièrement frappés, M. le président, durant les six semaines de l'enquête d'utilité publique engagée à Plogoff, mais aussi, avant et après. La somme de contre-vérités, d'informations fausses et même de mensonges avancée par les tenants du nucléaire a atteint des sommets.
Recul pris, enquêtes faites, le coût de l'énergie produite, la relativité du danger - voir les catastrophes survenues en Ukraine et au Japon et celle évitée de justesse aux États-Unis -, la fiabilité du nucléaire, la difficulté d'éliminer les déchets, de démanteler une centrale - voir Bennilis - et bien d'autres choses encore, font que l'on a bien mené en bateau les observateurs en principe neutres que nous étions.
Nous avons fini par comprendre, nous aussi, que la construction de centrales était d'abord voulue par le lobby nucléaire et planétaire, qui a su trouver les arguments qu'il fallait pour les imposer aux élus. Pas dans vingt ans, trente ou plus, quand cette technologie sera peut-être parfaitement maîtrisée. Le programme était à lancer au plus vite, afin d'assurer aux multinationales de l'atome ce qu'il est convenu d'appeler un « retour sur investissement » .
La bougie, M. le président ? Désolé, revoyez les textes et documents de l'époque. Dès la fin des événements de Plogoff, les Bretons proposaient un plan de développement des énergies renouvelables. Ils l'ont appelé Plan Alter Breton ( « Alter » pour « énergies alternatives » ). Avec utilisation du vent, des courants marins, du soleil, de la méthanisation. Les économies d'énergie, surtout, basées sur l'isolation des maisons, des bâtiments, l'arrêt du gaspillage de l'électricité, réduisant par ailleurs de moitié les besoins (excusez du peu !)
D'autres pays se sont lancés résolument sur cette voie du bon sens ; chez nous les multinationales de l'atome ont imposé leur loi.
Il faut croire que les propositions des Bretons et de leurs alliés, au lendemain de Plogoff, n'étaient pas si stupides que ça. La preuve : le Grenelle de l'environnement contenant un grand nombre de solutions alors proposées, a vu le jour sous votre autorité. Convenez-en : on a bêtement perdu trente ans. Et l'occasion d'être dans le peloton de tête des pays proposant de l'énergie renouvelable, douce, non polluante.
Alors, si je peux me permettre, Monsieur le président, pour que l'on aille dès aujourd'hui dans la bonne voie, laissez tomber le coup de la bougie. Permettez aux médias, aux politiques, aux citoyens de ce pays d'engager un vrai débat, non caricatural, sur un sujet trop grave pour être seulement traité à l'heure de l'apéro au café du Commerce.
Jean-Charles Perazzi