Par courrier en date du 22 décembre, Philippe Couturaud, Inspecteur Académique du Morbihan, a demandé aux directeurs d'écoles maternelles de “limiter la pré-inscription des 2 ans sachant qu'en dehors des zones situées dans un environnement social défavorisé, je ne pourrai procéder à l'ouverture de classes pour accueillir ces élèves.”
Jusqu'à cette année, en Bretagne, 60% des enfants étaient scolarisés dès 2 ans. Une tradition qui répond à l'attente sociale des familles et qui participe aussi sans doute aux excellents résultats scolaires de l'académie bretonne. On sait en effet que “les écoliers entrés à l'école maternelle à 2 ans redoublent un peu moins souvent” et que “l'écart de réussite entre les élèves scolarisés à 2 ans et ceux rentrés à l'école maternelle à 3 ans atteint 5 points à l'entrée au CE2...” (1) Alors, que se passe-t-il ? La Bretagne peut-elle conserver sa spécificité ?
Pour Jacques Brillet, délégué syndical au SNUipp (Syndicat National Unitaire des instituteurs et des professeurs des écoles) et membre du CDEN (Conseil De l'Education Nationale du Morbihan), “c'est une décision arbitraire d'un fonctionnaire d'état et la marque d'un autoritarisme incompatible avec le fonctionnement citoyen de la société que tout le monde souhaite aujourd'hui. Le CDEN du 12 décembre n'a même pas été consulté comme le prévoit le Code de l'Education.”
Des conséquences sociales en cascade
Contacté hier matin par téléphone, le maire de Guéméné-sur-Scorff ne cachait pas son inquiétude. "De nombreuses communes rurales ont investi dans leur école pour accueillir les jeunes enfants, parce que l'école est un lieu d'éducation", nous déclarait Christian Perron. "Nombre de communes rurales n'ont ni crêche, ni garderie. Comment vont faire les parents face à cet abandon de l'Etat de ses obligations. " Et de rappeler que "c'est le Maire qui inscrit les enfants, l'Etat ayant l'obligation d'apporter les moyens nécessaires à l'accueil des enfants. A Guéméné, nous continuerons d'inscrire les enfants de 2 ans", conclut-il.
Hervé Pellois, maire de Saint-Avé, également membre du CDEN, avouait "mal comprendre la position de l'inspecteur Académique." Favorable au maintien de l'accueil des 2 ans à l'école, il se déclarait préoccupé de l'équité entre les écoles. "Je ne voudrais pas voir l'école publique pénalisée par rapport à l'école privée."
Tous les maires réagiront-ils de la même façon ? Difficile à dire aujourd'hui. Mais si la maternelle n'accueille plus les enfants de 2 ans, qui va les prendre en charge ? Faute d'anticipation, les crèches-garderies, quand elles existent, ne seront pas en mesure d'absorber l'augmentation de la demande. Dans les grands centres comme Vannes, Lorient, Pontivy, les délais d'attente vont donc s'allonger, empêchant les mamans de reprendre un travail et les obligeant à rester au foyer pour garder leur enfant.
Pour l'heure, c'est la consternation dans les écoles maternelles. “C'est nous qui allons devoir annoncer aux parents que nous n'inscrivons pas leur enfant alors que nous n'y sommes pour rien”, explique un directeur qui compte et recompte ses prévisions d'effectifs pour la rentrée. (2) “Les classes de tout-petits vont disparaître, entrainant la suppression d'autant de postes d'aides maternelles, les ATSEM qui aident les enseignants dans les classes.” Ces dernières années, beaucoup de jeunes femmes, invités à se former à ces métiers, ont été admises au concours d'agent territorial. Faute d'être engagées, elles risquent de perdre le bénéfice de leur concours. A peine formée, il leur faudrait déjà se reconvertir ?
Ultime conséquence de la fermeture de classes dans la plupart des maternelles : la suppression des “décharges” pour les directeurs qui vivent déjà mal le poids grandissant de leur charge administrative.
Mobiliser tous les acteurs de l'école
Pour Jacques Brillet, l'Inspecteur d'Académie doit revoir sa copie. “Face à la forte croissance démographique que connait la Bretagne, une vision anticipatrice et prospective est nécessaire, en consultant tous les acteurs de l'école : les parents, les enseignants et les élus territoriaux.” Le syndicat vient d'écrire à tous les maires du Morbihan pour que les conseils municipaux procèdent à une délibération demandant à l'Inspecteur d'Académie de revenir sur sa décision. ”Nous allons aussi nous adresser à tous les députés du Morbihan.” conclut-il. A suivre.
ABP/EB
(1) J.P. Caille et F. Rosenwald – France, portrait social 2006. (2) Ce directeur nous a demandé de préserver son anonymat.