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L'astronaute Jean-Loup Chrétien et Catherine Alric
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- Interview -
Mise en orbite avec Jean-Loup Chrétien
Le premier Européen de l'Ouest dans l'espace fut Jean-Loup Chrétien. Le cosmonaute/astronaute a pris le chemin des étoiles pour trois missions (1982, 1988, 1997) dont une sortie extravéhiculaire. Le Trégorois se raconte dans "Rêves d'étoiles", livre d'entretien avec Catherine Alric et ouvre les portes de son univers à ABP.
Par Ronan Le Flécher pour ABP le 5/09/09 12:12

Le premier Européen de l'Ouest dans l'espace fut Jean-Loup Chrétien. Le cosmonaute/astronaute a pris le chemin des étoiles pour trois missions (1982, 1988, 1997) dont une sortie extravéhiculaire. Il se raconte dans un livre d'entretien avec Catherine Alric (Rêves d'étoiles, éditions Alphée, 238 pages, 21€). Le Trégorois ouvre les portes de son univers à ABP.

Ronan Le Flécher - Avant de devenir astronaute, vous avez fait vos débuts comme pilote d'avion. Quel souvenir gardez-vous de votre premier vol ?

Jean-Loup Chrétien - Je me souviens de mon premier vol comme si c'était hier, une date facile à garder en mémoire le 5/5/55. C'était à Saint-Brieuc à bord d'un Jodel D112. J'ai rencontré par hasard, un commerçant, un héros de la Résistance qui faisait beaucoup d'aviation. Il m'a embarqué avec lui ce jour-là.

Et bien plus tard, vous devenez astronaute à la Cité des Etoiles de Moscou en 1980-82 et 1986-88. Être à la fois héros national en Russie et Breton de l'année, ce n'est pas courant.

Ces distinctions sont très différentes, mais me font toutes les deux plaisir.

Vous auriez fait voyager le gwen ha du dans l'espace. Une légende ?

Dans la navette, j'avais un drapeau breton scellé sous plastique avec d'autres objets comme le fanion de mon escadrille. Il est revenu sur terre avec le tampon de la NASA.

Comment se passe aujourd'hui votre vie ?

Entre Paris, le Texas et la Bretagne où j'ai toujours ma maison. C'est mon port d'attache. Jusqu'il y a peu, je dirigerais de Lannion Tietronix Optics, qui avait sa société sœur à Houston. Pendant plus de cinq ans, j'ai traversé l'Atlantique dans les deux sens tous les quinze jours, sautant d'une entreprise à l'autre. J'ai décidé de passer les rênes et vais aussi lâcher progressivement mes activités pour la Nasa. Il y a un temps pour tout. J'ai des projets plus personnels.

Comme gravir l'Himalaya ?

Ce n'était pas vraiment dans mes cordes. Avec une petite équipe de la Nasa à Houston, nous sommes venus retrouver l'un des mes amis américains parti à l'assaut du sommet. Nous sommes montés jusqu'à 5 800 à 6 000 mètres et restés juste au-dessus du camp de base avant de redescendre.

La Bretagne, cela parle-t-il aux Texans ?

Ce n'est déjà pas évident pour la France. Je ne vous dis pas pour la Bretagne qui est toute petite. Il faut rester modeste même si la Bretagne a une culture très attrayante. Français jusqu'au bout des ongles lorsqu'il s'agit de défendre nos valeurs, je reconnais être très fier d'appartenir à cette grande famille celte où se retrouvent les Bretons, les Irlandais, les Ecossais, les Gallois et bien d'autres.

Qu'est-ce qui unit donc les Celtes ?

La musique, les traditions, les racines. Tenez, le collège écossais de Houston a suffisamment d'élèves pour avoir été capable de former un jeune groupe de soixante-dix joueurs de cornemuse, champions de la plupart des grands concours qui ont lieu à travers le monde. Un Celte n'aura de cesse que de retrouver un autre Celte, puis plusieurs autres Celtes, et enfin beaucoup d'autres Celtes.

Vous avez sur le sujet une anecdote très personnelle.

Un soir vers 19 heures, dans la marina de la Nasa, je travaillais au fond de mon bateau sur les moteurs. Derrière le bruit des ventilateurs, j'ai vaguement entendu un son de cornemuse. Je me suis dis que cela venait d'une radio. Cela devenait de plus en plus fort et je suis sorti de mon bateau voir quel énergumène avait l'âme celte. Et là, stupeur, je vois entrer au moteur dans la marina, tout doucement et majestueusement, un voilier avec un Ecossais en kilt qui jouait de la cornemuse. C'était superbe !

Lors d'une mission vers la station Mir, vous avez joué sur un orgue et un clavier fonctionnant sur piles. Cet orgue est resté neuf ans dans l'espace. Parlez-nous de cette passion.

En 1970 au moment où je passais la grande porte des essais en vol, une petite porte s'est ouverte vers l'orgue de l'église Saint-Michel à Salon de Provence. Un ami et moi avons patiemment restauré pendant six mois ce petit orgue resté silencieux depuis 1925. Avec ce merveilleux instrument, j'éprouve des joies et des émotions d'une intensité rare. La consécration pour moi est arrivé lorsque je fus invité il y a quelques années, à participer au festival de « Toulouse les Orgues » en tant qu'organiste.

Quel regard portez-vous sur le dynamisme de la « Tregor Valley » ?

Les belles années de l'électronique dans la région sont derrière nous. Tout cela s'est un peu usé même si de bonnes choses sont là. Avec la crise, comme ailleurs, ce n'est pas facile ici. On est un peu en phase de survie.

Que manque-t-il à l'économie bretonne ?

Pas grand chose. Sur le plan géographique, la Bretagne est bien située mais les transports ne suivent pas. Où en est le projet d'aéroport Nantes Atlantique qui ferait gagner trois heures de vol ? Pour me rendre à Houston, je marche à l'envers et pars le matin à Brest pour m'envoler vers Roissy. L'avion passe au-dessus de chez moi très exactement sept heures après être parti. L'oxygénation des entreprises commencent par les visiteurs qui arrivent avec les poches pleines d'argent. C'est le BaBa. C'est choquant de penser qu'il faut moins de deux heures de TGV pour aller de Paris à Avignon mais toujours plus de quatre pour aller à Brest. On n'aide pas les Bretons. Ce n'est pas leur faute si on a du mal à venir les rencontrer.

Votre accent breton ne vous a jamais quitté. Parlez-vous breton ?

Je connais quelques expressions et phrases apprises pendant mon enfance. Je m'en sers volontiers pour faire illusion. Lorsque j'étais à l'école primaire de Ploujean, de nombreux enfants parlaient mieux le breton que le français. Le problème est qu'ils devaient un peu se cacher dès que « l'étranger » était proche. Il a fallu beaucoup de lutte et de courage pour que la langue bretonne reprenne enfin sa place et soit autorisée dans les écoles. Il y aurait beaucoup à dire sur ce problème, tant les meurtrissures et les cicatrices ont marqué de nombreuses générations.

Propos recueillis par Ronan Le Flécher

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