A ma connaissance, « the Age of Arthur » (1) de John Morris est à ce jour, la tentative la plus ambitieuse pour tenter de brosser un tableau général de la Grande- Bretagne vers les 5/6 ème siècles. Comme le dit l'un des critiques les plus amènes de Morris, cet ouvrage s'adresse surtout aux historiens qui sauront, avec un flegme tout britannique, départir le vrai du supposé, car ici, les hypothèses foisonnent. Personnellement, je ne goûte guère la fiction car je trouve que la vie elle-même est souvent extraordinairement compliquée, et l'histoire par exemple. L'histoire des Bretons tout particulièrement avec pourtant, j'en suis persuadé, beaucoup de vérités … à démêler. Malheureusement le livre n'a pas été traduit. Dans le chapitre XIV, l'auteur parle des rois et des princes bretons d’Armorique, en voici un résumé. Mes commentaires sont en italiques.
La Bretagne Armorique faisait partie de la Troisième Lyonnaise, sous l'autorité ecclésiastique de l’évêque de Tours, Grégoire, au 6 ème siècle. Certains de ses contemporains firent l'objet d'hagiographie et de Vitas. Grégoire évoque Macliau de Vannes poursuivi par son frère, qui fait écho au récit de Gildas (Maelgwin) et à la Vita de Méliau.
D'après Morris, l'hagiographe Albert le Grand (1599-1642), de Morlaix, consulta nombre de manuscrits disparus depuis, notamment à la révolution. Mais lorsque que l'on dépouille ses textes « des ornements » dus à son imagination, on trouve une information de première main dont la valeur ne doit pas être mésestimée. Albert confond « Britain » et Angleterre, les ducs bretons deviennent des comtes d'Oxford, et sont couronnés à Londres, l'histoire romaine et leurs empereurs parsèment son texte, les lieux et les peuples sont déguisés sous des appellations modernes. Cela dit, sa « vie des saints de Bretagne Armorique » reste pour Morris un document important.
Les textes de Grande Bretagne distinguent trois grandes « migrations » vers l’Armorique. Des troupes bretonnes sont présentes sur le continent dès le 2 ème siècle. Des garnisons bretonnes stationnent sur les limes rhénans, donc à l'est du Rhin et de la Moselle et jusqu'à Abusina, sur le Danube. Certaines places d’Armorique sont d'origine militaire, le Léon ou pagus legionensis, Ploudalmezau ou plebs dalmatarum (cohortes dalmates).
Après sa défaite, Maxime (3) fut tué en 388, ses troupes bretonnes restèrent sur le continent et s'installèrent dans une vaste région sise entre le mont Jovis (col du Grand-Saint-Bernard), Quentovic, embouchure de la Canche, vers Montreuil-sur-mer (4), et le Menez Hom, avec leur leader, Conan Meriadec, dont Nantes fut la résidence et dont le nom se retrouve dans le Vannetais. Sidoine Apollinaire confirme la présence bretonne au dessus de la Loire. Ce Conan Meriadec aurait accompagné Maxime à Rome et serait parent d'Eudaf le vieux et de Caradoc cités dans la vie de saint Gurthiern. Morris ne considère pas cette histoire comme farfelue, car il est certain que Théodose fut clément avec les soldats bretons qui suivirent Maxime dans sa tentative d'usurpation. Je remarque d'ailleurs que conan-meur(iadec) ressemble étrangement à cono-meur(mor) qui vécut près de deux siècles après (parent ?). Bernard Merdrignac (2) fait la même remarque .
Cette seconde migration se fixa en Bretagne et en « Normandie » où les toponymes Bretteville sont nombreux. Sidoine Apollinaire correspondait avec Riothamus que Léon Fleuriot identifie à Ambrosius. Ce Riothamus débarqua en Bretagne avec 12000 hommes et, vaincu à Deols, se réfugia en Bourgogne (Avalon ?). Près d’Avalon se trouve la commune d'Island !
La « Normandie » tomba dans l'escarcelle des Francs qui ne purent conquérir la Bretagne. Elle fit allégeance cependant, mais sans tolérer de soldats francs et en leur disputant Rennes et Nantes.
Une troisième migration, sous l'impulsion des moines, vint renforcer la Bretagne et la sauver de la domination des Francs.
Conomor régnait des deux cotés de la Manche. Riwal était le chef de la Domnonée et serait le descendant de Gerontius, le Geraint d’Arthur. Geraint s'appelait aussi Erec à rapprocher de Bro-Erec et de Erec et Enide de Chrétien de Troyes. Riwal serait aussi le grand-père de Riothamus. Riwal était basé à Saint-Brieuc et régnait lui aussi dans les deux Bretagnes. Fracan en relation avec Cato, le suivit.
Pol Aurélien atterrit dans le Léon avec douze disciples et des esclaves. Il découvrit deux villas abandonnées, la villa Petri et la villa Wormavi, ainsi qu'une ville ruinée entourée de remparts, cernée par la mer (le château de Brest ou Roscoff ?), et occupée par des animaux sauvages.
Ces paysages ruinés évoquent les dévastations causées par les Goths, Saxons et Frisons vers 450.
Pol demande au chef local, un certain comte Victor (Withur sans doute), de l'autoriser à prendre possession de la ville déchue, au temps de Childebert. Withur serait parent de Pol Aurélien, tout comme Uther Pendragon (chef des dragons) et Ambroise Aurélien qui vint en Bretagne (Riothamus). Notez la similitude de ces deux noms, ce Withur aurait en réalité gouverné le Léon (Chedeville/Guillotel, p 82)
Cette migration du 6 ème siècle se voit dans les 150 « plou » qui parsèment la Bretagne. Les émigrés viennent d’Irlande, de Domnonée, du nord du pays de Galles et du sud, Gwent et Glywysing. Beaucoup de nouveaux arrivants se disent liés aux princes de Domnonée. Les saints sont le plus souvent gallois, mais les Gaëls eurent une grande influence sur eux en s'installant dans le Dyfed, notamment. Des inscription en Ogham en témoignent.
Des petits royaumes se développent en fonction de la géographie et des frontières naturelles. La rivière de Morlaix sépare le pays d'Ac'h de la Domnonée, le Gouet isole la Domnonée de l'Est, et le Blavet différencie la Cornouailles du Vannetais. Les montagnes noires séparent la Domnonée de la Cornouailles et la région de Carhaix se trouve enclose entre des montagnes, Arrée au nord et Montagnes Noires au sud. Ainsi, chaque région tend à se développer en royaumes séparés qui se disputent le territoire.
Meriadec est commun dans le Vannetais et Conan fut un nom usuel en Bretagne. Grégoire connaissait un chef de ce nom au 6ème siècle ; un descendant de Meriadec ? Riothamus aurait fondé le royaume de Domnonée. Daniel Dremrud, roi des Alamans (Albion) serait son fils. Peut-être des forces bretonnes auraient accompagné Childéric en Italie du nord vers 460.
Vers le 6 ème siècle, trois chefs se disputent la suprématie, Macliau au sud, Riwal au nord et Conomor à Carhaix. Grégoire est témoin de ces troubles. Canao de Vannes élimine ses frères, sauf Macliau qui se réfugie chez Conomor. Macliau devient évêque puis reprend l'épée quand son frère meurt (Canao). Pol Aurélien visita la cour de Conomor, le roi Marc'h, à Castle Dore près de Fowey, en Cornouailles britannique. Tristan (Drustanus) serait son fils.
Les moines condamnent les nombreux mariages de Conomor. Ce dernier attaque la Domnonée tandis que Judual se réfugie chez Childebert. Après la mort de Riwal, Conomor occupe une partie de la Domnonée. Les moines protestent auprès de Childebert. Mais Conomor finit par tout perdre en s'alliant avec Chramn, neveu de Childebert, fâché avec son père Clotaire. Clotaire le tue et ainsi Conomor se trouve dépourvu d'alliés Francs. Il est tué lui même près du Relecq en 560. Judual revient en Bretagne avec saint Samson, et récupère son trône ; Conomor avait demandé des renforts de grande Bretagne dont des Frisons. Les troupes débarquèrent à l’île Tristan sous le commandement de Tristan (Drustanus). Pourtant, Albert le Grand, qui conte cette histoire, ne connaissait pas le lien entre le roi Marc'h et Conomor. Après la mort de Conomor, le corps fut rapatrié à Castel Dore.
Macliau fut tué en 577. Son fils Waroc, le Erec de « Erec et Enide », lui succéda et devint le prince le plus puissant de Bretagne. Sa tombe serait dans la chapelle St André de Lomarec. La lignée de Judual, Judaël, puis Judicaël, acquit de la puissance. Judicaël, roi de Bretagne, bat les Francs puis conclut la paix avec Dagobert, étant l'ami de ses ministres, saint Éloi et saint Ouen. Judicaël se retira dans le monastère de Gaël tandis que son frère Josse fondait de nombreux monastères au nord de la France, notamment à Montreuil sur Mer (site ancien des Britanni) ou se réfugièrent les moines de Landevennec à la fin du millénaire).
Notes
1. John Morris, historien anglais, 1913-1977. Livre paru chez Charles Scribner's Sons, New York, 1973. Voici ce qu'en dit en.wikipedia, traduit par mes soins pour fr.wikipedia : L' "Age d'Arthur" (1973) est la première tentative d'un historien professionnel de décrire la Grande-Bretagne entre 350 et 650, à l'époque où le roi Arthur (que Morris considère comme un personnage historique authentique) aurait vécu. Le livre ne concerne pas exclusivement Arthur, mais aussi l'histoire de la Grande-Bretagne celtique à cette époque. Le livre comprend également des chapitres détaillés sur la Bretagne Armorique, au motif que sa population celtique, issue des migrations en provenance de Grande-Bretagne, montrait que la "petite Bretagne" était tout autant héritière de la Britannia romaine que ne l'étaient l'Angleterre, le pays de Galles, l'Irlande et l'Écosse. Bien que populaire auprès du public, le livre fut vivement critiqué par les historiens professionnels, et cela porta atteinte à la réputation de Morris aux yeux de nombre de ses pairs. David Dumville a lancé une attaque cinglante sur la méthodologie de Morris; DP Kirby et JE Caerwyn Williams, ont décrit le livre comme "un document érudit impressionnant", mais ils soutiennent que cette étude "s'effrite, après examen, dans un tissu enchevêtré de faits et de fantasmes, à la fois trompeurs et erronés". D'autres critiques, tels que James Campbell, étaient plus généreux, mais considéraient que l'Âge d'Arthur était tellement rempli de problèmes qu'il n'était vraiment utile qu'aux historiens professionnels qui pourraient départir les idées intéressantes des envolées fantastiques.
2. Bernard Merdrignac, Les vies de saints bretons
3. Maxime et Conan auraient débarqué aux bouches du Rhin. Ces bouches du Rhin dépendaient du tractus amoricanus, mais Zosime n'avait pas une vision nette de ces bouches car il situe la Grande Bretagne juste en face et inclut la Seine dans sa description ?
4. C'est à Montreuil que se réfugièrent des Bretons lors du péril Viking, c'est là aussi que Josse fonda une abbaye. En réalité, ils semblent fuir dans tout le tractus armoricanus ! Tongeren, Corbeil, Auxerre, Déols, partout ou vivaient encore des communautés bretonnes ? Où résidèrent des unités bretonnes de la notice des dignités. Est ce un hasard si Lancelot affirme la suzeraineté du roi des Bretons sur la ville de Bourges ? Grégoire évoqua des Bretons à Bourges, « ceux de Bourges » dit-il. Voir https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00995624/document
5. J’ai eu récemment l'occasion de lire « Arthur, roi des Bretons d'Armorique » de Gwenc'hlan le Scouezec dont j'avais beaucoup apprécié le Guide de la Bretagne mystérieuse. Là, il prend le parti de situer l'épopée d’Arthur en Bretagne Armorique et multiplie les hypothèses pour convaincre en s'aidant de linguistique et de toponymie. Les Vénètes, battus par César vont fonder la Vénétie !, tout cela est très fantaisiste et fumeux et l'histoire à peu à faire avec la divination !