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Le refus de décentralisation
Première partie "Profit et éthique" Aux yeux de démocrates étrangers mais aussi bretons, la réaction centraliste des fonctionnaires français apparaît profondément choquante. Existerait-il des principes ou des intérêts qui font préférer le haut fonctionnaire parisien à la participation démocratique ? Vivre et décider au pays La démocratie est la participation de
Par pour Jean Pierre Le Mat le 10/01/04 22:35

Première partie "Profit et éthique"

Aux yeux de démocrates étrangers mais aussi bretons, la réaction centraliste des fonctionnaires français apparaît profondément choquante. Existerait-il des principes ou des intérêts qui font préférer le haut fonctionnaire parisien à la participation démocratique ?

Vivre et décider au pays

La démocratie est la participation de tous aux décisions politiques. Cette participation, qu'elle soit directe ou assurée par des représentants élus, est d'autant plus vivante que les décisions sont assumées par tous. L'idée de centralisme démocratique, défendue au XXème siècle par le parti communiste, a fait historiquement la preuve de sa déficience.

Dans « le portrait du Colonisé », Albert Memmi décrit le processus du protectorat. « Il est dans l’intérêt même du colonisé qu’il soit exclu des fonctions de direction ; et que ces lourdes responsabilités soient réservées au colonisateur ».

Il existe un lien très fort entre démocratie et responsabilité. La responsabilité collective constitue un risque qui doit être assumé pour le meilleur et pour le pire. Je conçois que l'on refuse d'assumer le pire. Mais promouvoir un système où, s’il y a risque, les Bretons ou leurs élus ne doivent rien assumer du tout, c'est diriger les générations qui nous suivent vers la passivité. Un tel système n'en fera pas des bons Bretons. Elle n’en fera pas non plus des bons Français. Elle en fera des provinciaux. Ce n'est pas ce que je souhaite pour mes enfants.

Le bilan de la décentralisation

Depuis la décentralisation de 1982, nous observons autour de nous des établissements scolaires neufs ou rénovés, qui tranchent avec ceux que les générations précédentes ont connus.

L'Observatoire de l'Action Sociale décentralisée, structure indépendante, vient de publier un rapport « Bilan et perspectives » (voir : www.odas.net). Le bilan de la décentralisation est extrêmement positif. Les dérives redoutées d'inégalité, de repli ou de clientélisme, ne se sont pas produites. L'objectif est maintenant de poursuivre en créant des péréquations entre collectivités riches et pauvres dès le prochain budget.

Le bilan de la décentralisation fait apparaître que, face aux énarques, les élus locaux ne sont ni des imbéciles, ni des incapables, ni des corrompus. C’est pourtant ce que veulent nous faire croire les défenseurs de la centralisation.

La décentralisation, c'est bon pour les autres

Dans les entreprises, le fléau des délocalisations est rendu possible par la centralisation des décisions et des budgets. Une entreprise décentralisée peut certes monter à l'étranger une filiale qui sera plus rentable que ses usines françaises. Mais le transfert brutal des machines et des hommes d'un lieu à un autre ne peut se faire que si la décision est centralisée. Ainsi en est t'il aussi des services publics centralisés : maternités, hôpitaux, services postaux, gares,... On ne peut lutter contre les délocalisations et à la fois refuser la décentralisation.

Autre paradoxe : je retrouve des fonctionnaires partisans de la centralisation sur mon domaine, à savoir l'élevage, prônant l'autonomie et l'agriculture paysanne ! Ils s'insurgent avec beaucoup d'idéalisme contre l'intégration agroalimentaire, la concentration des productions et la fin de l'exploitation familiale. Ils considèrent comme un progrès social que la société civile (dont ils font partie) interviennent dans le monde rural : commissions de remembrement, comités d'hygiène. En revanche, ils sont scandalisés par l'idée que la société civile (dont les ruraux font partie) puisse intervenir dans le monde éducatif : conseil d'orientation stratégique des universités par exemple.

Mes amis enseignants sont pour la centralisation chez eux et décentralisateurs ailleurs. La démocratie sociale leur semble bonne, mais seulement pour les autres. Pour eux le fonctionnement centralisé et fermé reste préférable. Cette duplicité pourrait signifier que la centralisation est profitable alors que la décentralisation est éthique.

Concilier profit et éthique

Profit et éthique se rejoignent lorsque la prise de décision se prend, non pas au niveau le plus bas ou le plus haut, mais au niveau le plus pertinent. L'identification de ce niveau pertinent est brouillée par les intérêts : intérêt de l'État, intérêts de chaque catégorie professionnelle, intérêts de chaque communauté idéologique, culturelle ou religieuse.

En France, c'est l'État qui est le point de départ de la recherche, et bien souvent le point d'arrivée. La décentralisation n'est pas une alternative, mais un remède à ce modèle. Quand le centre est engorgé, il perd en vitesse et en efficacité. Pour ne pas se faire remplacer par des instances privées plus efficaces, il délègue les pouvoirs aux instances régionales, départementales ou locales. La décentralisation est une logique de pouvoir et un mouvement de haut en bas. Quand il existe des solutions locales qui peuvent le menacer, l'État cherche à les contrôler en se décentralisant. Etre à la fois contre la décentralisation et contre la privatisation est incohérent, à moins de considérer que la patience et le portefeuille de l’usager sont inépuisables.

L'alternative à cette logique de pouvoir est la subsidiarité. Elle part du niveau le plus bas, la personne humaine. La recherche du niveau pertinent remonte vers les structures locales, régionales, nationales puis mondiales de décision. Elle s'arrête au premier échelon qui peut apporter une réponse pertinente. La subsidiarité suit une logique de compétence et un mouvement ascendant.

Que devient la souveraineté (nationale) dans tout cela ? « Est souverain celui qui décide de l'exceptionnel ». Pour les décisions purement techniques (l'entretien des lycées et collèges par exemple), la subsidiarité surclasse largement la centralisation. Elle concilie éthique et profit. Pour le reste, il faut appeler un chat un chat : en défendant le statut public d’État là où il ne correspond à aucune fonction liée à l’exceptionnel, on ne défend pas un droit mais des intérêts corporatistes et une tradition napoléonienne.

On peut considérer un programme éducatif comme faisant partie de l'exceptionnel, du souverain. Selon la Déclaration des droits de l’homme, la souveraineté réside dans la nation. Bien. la programmation scolaire doit être pensée au niveau national. Dans le cadre de la nation bretonne, la revendication n'est plus alors la décentralisation, mais le transfert pur et simple. Les exemples de l'Ecosse et de la Catalogne font que le projet d'une éducation nationale bretonne est résolument moderne. La revendication d’une vraie éducation nationale, alors que l’éducation d’État exhale de vieux parfums totalitaires, se retrouve aussi en Kabylie ou au Kosovo.

Les critiques sur la forme

Refuser la décentralisation en arguant de l'arrogance ou de l’absence d’écoute du gouvernement français n’est pas logique. L’écoute de la base n'est pas dans les habitudes des organisations ou des États centralisés. Quand on lutte pour le maintien de la centralisation, il faut en assumer les caractéristiques les plus connues.

Parmi les adversaires de la décentralisation actuelle, j'en vois aussi quelques uns qui sont pour une « autre » décentralisation. Il faut qu’ils sachent que la Bretagne a faim de se prendre en charge. Déjà la reine Marie-Antoinette répondait à ceux qui manquaient de pain qu'ils n'avaient qu'à manger de la brioche. Quand la Bretagne aura dévoré le pain de droite, elle aura encore autant d'appétit, sinon plus, pour la brioche de gauche.

La montée des populismes français

Certains jeunes gens croient naïvement qu’une revendication, portée par un mouvement populaire, est forcément libératrice ou porteuse de progrès social. L’histoire nous apprend à être prudent. Le populisme et le totalitarisme arrivent au pouvoir en mêlant une revendication sociale et une revendication politique : le renforcement de l’Etat. Les précurseurs du fascisme comme Georges Sorel sont des socialistes fascinés par le potentiel lié à la puissance étatique. Le péronisme en Argentine mêle la revendication sociale et la solution étatique. Pendant la guerre des Balkans, Milosevic et le parti socialiste de Serbie (SDS) mêlaient conquêtes sociales, lutte contre le fascisme (croate) et défense de l’État de droit (yougoslave). Le parti Baas de Saddam Hussein, qui se voulait anticolonialiste et laïc, a pris le pouvoir en Irak en 1963 à la suite d’une grève des étudiants et des enseignants. Avec le mélange de la revendication sociale pour les retraites et la revendication politique de centralisation, nous avons le même cocktail.

Le populisme incarné par le Front National s’est nourri du sentiment de faillite de la droite lors de l’élection de François Mitterrand en 1981. Le sentiment de faillite des politiciens de gauche se renforce depuis la défaite socialiste lors des élections présidentielles de 2002. De droite ou de gauche, le populisme se construit sur la défiance face aux jeux politiques, une focalisation sur les défenseurs de la république (le militaire à droite, l’enseignant à gauche), le repli économique et culturel. Il s’y rajoute aujourd’hui une vision fantasmatique du monde productif (le secteur « privé ») ; la production de la valeur est considérée comme subalterne par rapport à sa redistribution. Cela ne promet rien de bon pour une démocratie ouverte et dynamique.

A suivre Deuxième partie "Les trois déclencheurs de la réaction centraliste"

Jean Pierre LE MAT

Publié en 2003 dans "Bretagne Hebdo"

Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur