Jean-Jacques Monnier, historien, par ailleurs connu pour son engagement politique en tant que conseiller municipal UDB de Lannion, était le 4 février à Nantes pour un dîner conférence organisé par le Club Bretagne Réalité ( voir notre article ). Une occasion pour le public de prendre connaissance de son livre « Résistance et conscience bretonne, L'hermine contre la croix gammée » ( embannadurioù Yoran Embanner), fruit de huit années de recherche en Bretagne et à l'étranger, préfacé par Mona Ozouf .
Dans les années 30, la prise de conscience bretonne avait beaucoup progressé. Concernant les nationalistes bretons, Jean-Jacques Monnier parle d' « une clairvoyance et une générosité qui (l)'ont étonné » . On admire le nationaliste Mohandas Gandhi, on dénonce les violences exercées déjà par la France envers les Algériens ou les Kanaks à une époque où l'on organise à Paris des expositions coloniales avec des « indigènes » en cage. Tout ce contexte permet aussi de mieux comprendre la période complexe et tragique qu'ont vécue ces résistants pendant l'occupation de l'État français (Régime de Vichy) et du IIIè Reich en Bretagne.
Une période tellement dense, complexe et nuancée que tout résumé s'avère difficile. Avec ce livre, on approche petit à petit, parcours après parcours, d'une réalité occultée. On apprend que le Bro Gozh ma Zadoù, l'hymne national breton, est populaire, connu et diffusé, plus qu'aujourd'hui en fait. On apprend comment le Parti National Breton, au nationalisme composite mais dont Olivier Mordrelle s'était emparé en 1938, et le Parti Communiste Français ont bénéficié de traitements similaires au début de l'occupation, mais qu'après celle-ci, on a condamné le premier en « oubliant » le second. On apprend comment les résistants de la première heure (il y avait d'ailleurs des tendances politiques diverses et qui n'étaient pas forcément déterminantes, mais le fait est que la plupart de ceux qui étaient communistes ont par la suite été exclus du PCF) n'ont pas grand-chose à voir avec la masse des résistants des trois derniers mois, auteurs d'une épuration très violente (Épuration à la Libération en France) dans un contexte de surenchère tricolore, contre laquelle les « anciens » n'ont rien pu faire et qui les a traumatisés à vie.
Il y a un départ massif de Bretons pour Londres, pour rejoindre les forces de résistances alliés, au sein de la structure de la résistance gaulliste la France Libre (été 40, 70 % de Bretons, à la fin de la guerre encore 30 à 40 %). Cependant, au fur et à mesure, là aussi la prise de conscience bretonne progresse parmi la communauté expatriée. De plus en plus s'installe l'idée qu'après la guerre, la France devra reconnaître politiquement l'attitude des Bretons. L'engagement des Bretons dans les résistances extérieures et intérieures était connu et constaté par tous, à commencer par Charles de Gaulle. Mais ce sera l'amertume et même la peur en rentrant en Bretagne après la guerre en constatant le climat très lourd qui règnera alors quant à la chose bretonne suite à l'épuration française. Ce climat durera en réalité un demi-siècle, et aujourd'hui encore, le livre de Jean-Jacques Monnier, s'il a reçu un bon accueil général, a essuyé de rares mais violentes critiques d'un groupe d'anciens combattants de sensibilité communiste. Des pressions auraient même été exercées envers certains témoins qu'a rencontrés l'auteur pour son livre. Une violence qui contraste avec les réactions mesurées mais fermes de Forum Breizh ( voir notre article ) et du Parti Breton ( voir notre article ) quand différents intervenants politiques et médiatiques français avaient fait passer pour un résistant Guy Môquet effectivement fusillé en Bretagne par les nazis en octobre 1941 un an après son arrestation en France, mais qui n'a objectivement jamais été un résistant ( voir notre article ).
Le général de Bollardière, René-Yves Creston, Adrien Delavigne, le Docteur Jacq et tant d'autres… En prenant connaissance du livre, on voit se dessiner, petit à petit, par ces 300 itinéraires sauvés de l'oubli (mais combien d'autres resteront méconnus à jamais ?), un véritable panthéon national d'hommes et femmes courageux et humanistes. Ces Bretons de cœur font mentir la phrase de Mona Ozouf qui, dans son intéressante préface, affirme cependant qu'une exception bretonne en matière de résistance est une « chimère » . Pourtant, après des décennies de culpabilisation reductio ad Hitlerum, aujourd'hui on peut le constater : les Bretons, de sensibilités politiques diverses et plus ou moins affirmées mais avec le même fond humaniste, ont été plus nombreux que d'autres à résister, et pas de manière déterminante à cause de la proximité géographique de la Petite Bretagne avec la Grande. Il est aujourd'hui également prouvé que la collaboration des Français a été bien plus importante que la collaboration des Bretons avec les nazis (un exemple : la « Bezenn Perrot » ou plutôt la milice Célestin Laîné, du nom d'un nationaliste breton d'extrême-droite collaborateur avec les nazis, ce sont 60 à 70 hommes pendant 6 mois, dont une vingtaine de manière permanente ; les miliciens Darnand, ou Milice française, du nom de Joseph Darnand, homme politique, ce sont de 3 à 4 fois plus en Bretagne, et jusqu'à 35 000 membres en France, sur une période trois fois plus longue. D'une manière globale, pour la région Bretagne administrative, la collaboration ce sera 1/7e de nationalistes bretons et 6/7e de nationalistes français selon Jean-Jacques Monnier (citant Luc Capdevila).
« On n'avait qu'un côté de la balance et on a besoin des deux pour pouvoir juger » a déclaré Jean-Jacques Monnier. Avec ce livre, fruit d'un long travail, c'est déjà un peu plus le cas, même si, aujourd'hui encore, selon l'historien, professeur dans le secondaire, aucun universitaire ayant sa carrière devant soi ne peut travailler actuellement sur ce thème sans briser ladite carrière. Par ailleurs, sans parler uniquement du monde universitaire, personne d'autre que Jean-Jacques Monnier ne semble travailler sur le sujet des nationalistes bretons dans la Résistance.
Le thème reste tabou, plus encore que par le passé. Il est aujourd'hui encore considéré comme scandaleux d'affirmer que la France a voué les nationalistes bretons aux gémonies car après avoir failli disparaître, elle avait besoin de réaffirmer son pouvoir et son autorité en même temps que de faire oublier beaucoup de choses. Nombre de Bretons en ont souffert dans leur chair, dans une amertume d'autant plus grande que cela venait après une première déception face à la non-reconnaissance par la France du prix du sang versé par les Bretons pendant la Première Guerre Mondiale.