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- Lettre ouverte -
Laissez-nous nos langues et nos dialectes
Réponse de Jean-Louis Blenet et Pierre Montfraix (Confédération occitane des écoles Calandretas) à l'entretien de Libération avec Louis-Jean Calvet, dans l'édition du 4-5 octobre. Laissez-nous nos langues et nos dialectes La thèse de Louis-Jean Calvet peut se résumer au schéma suivant : la dynamique d'une langue accompagne celle des échanges
Par pour Confédération occitane des écoles Calandretas le 17/11/03 10:32

Réponse de Jean-Louis Blenet et Pierre Montfraix (Confédération occitane des écoles Calandretas) à l'entretien de Libération avec Louis-Jean Calvet, dans l'édition du 4-5 octobre.

Laissez-nous nos langues et nos dialectes

La thèse de Louis-Jean Calvet peut se résumer au schéma suivant : la dynamique d'une langue accompagne celle des échanges économiques. Dès lors la valeur d'un dialecte dépend de son utilité commerciale. Avec un tel a priori , il devient aisé de démontrer l'anachronisme des langues régionales et minoritaires et pronostiquer leur irrémédiable disparition. Le constat ne souffre aucune discussion. Nous assistons au lent et inéluctable remplacement de cultures anciennes, inadaptées aux contraintes modernes, par des modes de communication plus performants : «C'est une loi du marché qui s'impose, pas une loi culturelle.» Ce type de raisonnement est caractéristique de notre époque où volontarisme et idéalisme doivent céder la place au rationalisme, au déterminisme et à l'impuissance. Alors pourquoi se battre

Précisément, parce que l'on n'est pas obligé d'accepter la fatalité. Parce que ce serait faire preuve d'une singulière amnésie historique de ne voir dans la disparition des langues que le résultat de «mécanismes» économiques ou sociaux. Ce serait oublier que la marginalisation des langues minoritaires est, partout, le résultat de choix politiques. Que la France a, dès la Révolution, construit sa politique des langues avec l'objectif bien affirmé de faire disparaître les autres langues.

En France, ce sont les écoles immersives en langues régionales qui portent cette volonté. De tout petits David contre l'Etat Goliath.

Les écoles Calandretas Occitanes, comme les autres, font vivre au quotidien une histoire qui n'a pas à avoir honte de ce qu'elle est. Nos enfants pratiquent tous les jours un idiome que chantaient leurs grands-parents, ils font vivre une culture et une littérature qui restent marginalisées, ils donnent l'occasion à de grandes oeuvres d'avoir encore un public. Pourtant ce sont des enfants d'aujourd'hui pour qui le français est la langue d'usage et qui apprendront certainement l'anglais ou l'espagnol. En quoi la coexistence de cette diversité linguistique est-elle à rejeter, en quoi est-elle un appauvrissement Pourquoi vouloir à tout prix faire comme si on pouvait construire un avenir en arrachant ses racines

Louis-Jean Calvet nous rétorquera sûrement que c'est par utilité. Quelle tristesse de réduire la culture à son utilité économique. Avec une telle logique, pourquoi garder un pont du Gard qui ne sert plus à rien, pourquoi continuer à financer un cinéma français non commercial, pourquoi imprimer encore aujourd'hui des textes de François Villon, pourquoi ne pas tous passer directement à l'anglais ou au mandarin, on gagnerait du temps sur les résistances futures.

C'est un curieux raisonnement que tient ici l'ancien président de l'Organisation internationale de la francophonie. Pas si surprenant que ça pourtant, car la question n'est pas tant la place du français dans le monde (évidemment essentielle pour lui) que celui de la persistance des langues minoritaires en France (évidemment inutiles). La protection du français doit être une grande cause nationale, qui n'y consent Mais pourquoi ce qui est bon ici ne vaut-il pas pour le régional ou l'européen

Contre cette logique paradoxale qui défend l'un et dénigre l'autre, contre cette soumission au fait accompli ou à la loi du plus fort, nous continuerons à travailler, dans nos petites écoles, pour que la France reste un pays de la liberté et de la diversité.

Alors, demain matin, n'en déplaise à monsieur Calvet, nos enfants entreront en classe en criant «adiu» à leur professeur... avec l'accent.

Jean-Louis Blenet et Pierre Montfraix (Confédération occitane des écoles Calandretas)

samedi 1 novembre 2003

source : www.diwanbreizh.org