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Signalisation bilingue
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- Chronique -
La langue bretonne est-elle une charge pour les finances publiques ?
Nous avons répondu à la question de l’'utilité sociale de la langue bretonne dans la précédente chronique "Quand on est Français, apprendre le Breton a-t’il un sens ?" ( http://www.agencebretagnepresse.com/fetch.php?id=30300
Jean-Pierre Le Mat pour ABP le 9/06/13 12:46

Nous avons répondu à la question de l'utilité sociale de la langue bretonne dans la précédente chronique "Quand on est Français, apprendre le Breton a-t'il un sens ?" ( (voir le site) )

La deuxième question est : La langue bretonne est-elle une charge pour les finances publiques ? Posons la question autrement : Est-il économiquement rationnel, pour une collectivité locale ou territoriale, de reconnaître la langue bretonne ?

Tout comme dans le précédent article, le nationaliste breton aura une réponse tranchée. Enlever le coeur ou le cerveau de quelqu'un est une question de survie, et non pas de dosage des moyens. Forcer une nation à abandonner sa langue ne résulte pas d'une analyse financière, mais d'une intention meurtrière.

Cela dit, il faut se faire à l'idée que tous les Français ne sont pas nationalistes bretons. Nous entendons régulièrement des interpellations d'ordre économique sur la langue bretonne. La question se pose pour la signalisation routière bilingue ou pour le bilinguisme dans les services publics.

Nous aborderons la question de biais, par une analogie avec les arts plastiques. L'art, comme la langue bretonne, n'a rien d'utilitaire. Comme on hiérarchise les langues, on peut hiérarchiser tout aussi bêtement les artistes régionaux par rapport aux artistes français. Pourquoi financer une exposition consacrée à Mathurin Méheut, puisqu'une exposition Picasso est plus rentable ? Faut-il ne financer qu'une seule expression artistique et y mettre le paquet ? L'argument sélectif est connu : il faut rendre visible la France dans la compétition mondiale.

En peinture comme en musique ou en expression linguistique, les grands financiers ne veulent avoir affaire qu'aux "majors". Sur les 10 peintres dont les oeuvres ont atteint les plus fortes valeurs en 2006, la moitié sont Français : Picasso, Modigliani, Chagall, Gauguin et Matisse. On peut gloser sur la francitude de la plupart d'entre eux, mais là n'est pas le propos.

Revenons à l'économie réelle. Ce ne sont pas les financiers qui la font. La valeur parfois astronomique des "grandes oeuvres" n'a rien à voir avec l'impact économique des arts plastiques. Cet impact est lié, non pas aux majors, mais à la diversité des professionnels et des amateurs. Selon une étude du CSA, Il existe en France 1800 galeries d'art en France, qui emploient en moyenne 3 personnes. Chaque galerie fait vivre en moyenne 15 artistes ou ayant-droits. Cela fait 32400 personnes. Ce n'est pas négligeable en termes d'emplois. D'autre part, les arts plastiques font vivre des milliers de professeurs et de fabricants de matériel.

Et que dire de la musique ? Faut-il arrêter de financer les concerts de Brahms parce que Mozart est plus rentable ? Question stupide. On ne se pose pas non plus la question de faire disparaître le rock français parce qu'il existe un rock anglo-saxon. L'industrie musicale mondiale génère 16,5 milliards de dollars, mais surtout des centaines de milliers d'emplois. Là encore, le nombre d'emplois créés n'est pas lié aux flux financiers autour des 10 musiciens les mieux payés, mais au nombre et à la diversité de musiciens professionnels ou amateurs, des luthiers, des organisateurs de spectacles.

Ofis ar Brezhoneg a répertorié 1200 postes liés à la compétence "Langue bretonne". Ce segment du marché du travail se développe. Que rapporte-t'il aux pouvoirs publics ? Selon une étude de la FESP datant de février 2013 ( (voir le site) ) la dépense publique pour chaque personne en équivalent temps plein est estimée à 11883 euros par an, alors que pour un chômeur elle est de 28737 euros. Chaque emploi créé par la langue bretonne génère ainsi une économie substantielle pour les finances publiques. Que l'industrie linguistique bretonne soit soutenue par les collectivités publiques n'a rien d'anormal. Le contraire serait même anti-économique.

La dépense publique destinée à entretenir la diversité est largement compensée par les gains socio-économiques liés à l'appropriation et à l'exploitation de cette diversité par la société civile. L'exploitation de la diversité suscite l'innovation, équilibre les pouvoirs par des contre-pouvoirs, crée des emplois. Contrairement à certaines utopies sociales des XIXe et XXe siècles, c'est la diversité et non pas le nivellement qui apporte la prospérité.

Les raisonnements qui condamnent l'aide publique aux langues régionales confondent finance et économie réelle, plus-values et prospérité générale. Aujourd'hui, les "champions nationaux", ces grandes entreprises plus ou moins publiques en situation d'hégémonie ou de monopole, accumulent des résultats financiers. Mais les champions nationaux ne créent pas d'emplois, fragilisent les territoires et contribuent très peu à l'impôt.

Au-delà de l'argument financier contre les langues régionales, c'est la démocratie qui devient suspecte.

En effet, si le multilinguisme est contesté pour les charges financières induites, le pluralisme politique peut l'être de la même façon. Selon l'Association des Maires de France, pour organiser une élection, il en coûte à chaque municipalité environ un euro par électeur inscrit. En additionnant les différents échelons, mairies, préfectures, etc., les dépenses publiques, occasionnées par l'organisation régulière d'élections et le remboursement des candidats, atteignent des niveaux préoccupants.

Ajoutons-y le coût du fonctionnement démocratique permanent, avec ses 600.000 élus, son financement des partis, ses assemblées locales, départementales, régionales, parisiennes, ses fonctionnaires et ses frais généraux. Il y a de quoi faire tourner la tête. On pourrait même en déduire une faillite inéluctable de la démocratie.

Le ton de cet article n'est pas à la défense de valeurs morales mais au froid calcul. Je défendrai donc les retombées économiques du fonctionnement démocratique, qui est l'art de faire coexister des hommes différents, comme le multilinguisme est l'art de faire coexister des langues différentes.

D'abord à propos des élections. Les frais engagés par les candidats, locations de salles, imprimeries, banquets, mobilisations populaires, infrastructures des partis, font partie de l'économie réelle. Ils contribuent ainsi au dynamisme économique.

La démocratie stimule toute une ingénierie de la coexistence, qui crée des emplois et produit des innovations pour notre bien-être.

La théorie des jeux démontre mathématiquement que le dialogue entre des personnes qui ont des intérêts différents permet d'optimiser les gains de chacun.

La démocratie contribue aussi, par la théâtralisation des conflits, à entretenir l'industrie médiatique. En 2011, selon l'INSEE, l'industrie de l'information et de la communication occupait 704100 salariés, dont plus de 37000 journalistes. Une partie de ces emplois sont liés à l'actualité et à l'analyse politique.

Des analyses plus fines et bourrées de chiffres peuvent être faites. Elles aboutiraient à la même conclusion. Sur le temps long, ni les monopoles politiques, ni les monopoles linguistiques ne créent de la prospérité collective.

Jean Pierre LE MAT

L'auteur a décidé de ne pas autoriser les commentaires pour cet article.

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