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La France se noie
- Chronique -
L'identité française a-t-elle encore un sens ?
Le mercredi 17 décembre 2014, l'Assemblée nationale a adopté définitivement la nouvelle carte de France des régions. Les raisons avancées pour cette réforme sont d'ordre administratif. D'abord, il faut des
Par Jean-Pierre Le Mat pour JPLM le 24/12/14 10:09

Le mercredi 17 décembre 2014, l'Assemblée nationale a adopté définitivement la nouvelle carte de France des régions. Les raisons avancées pour cette réforme sont d'ordre administratif. D'abord, il faut des régions de taille européenne. Ensuite, il faut faire des économies. Dans le monde de l'entreprise, on appelle cela "seuils de rentabilité" et "centres de profit". Ceux qui vivent sur place, ceux qui vont habiter ses fameuses régions, n'ont pas été consultés. Laissez les hauts fonctionnaires et les élus décider ! Contentez-vous d'obéir aux uns et de voter pour les autres !

A propos de taille européenne, il suffit de regarder les pays qui nous entourent. Toutes leurs régions ont une base historique, que ce soit en Grande Bretagne, en Espagne, en Allemagne, partout ailleurs. En fait, il n'existe pas de taille européenne. En Allemagne, des régions comme la Bavière, qui comptent 12 millions d'habitants voisinent avec d'autres, comme Bremen-Bremerhaven, qui en comptent 650 000. A l'exception notable de la France, les régions d'Europe se fondent sur une cohérence territoriale, liée à un enracinement historique et à un sentiment d'appartenance de ses habitants. Cette cohérence territoriale permet d'engager des dynamiques économiques, sociales et culturelles. En démocratie, cela permet aussi de les partager avec la population concernée.

La réforme territoriale était une chance, peut-être la dernière, de définir une identité française rassembleuse. Ils nous auraient dit : "Vous êtes Bretons, Alsaciens, Savoisiens, Occitans, Flamands, basques… Construisez votre région par vous-mêmes, nous vous aiderons ; et construisons ensemble la France de demain !"

Eh bien non… Ils nous ont dit : "Vous vivez sur un territoire que nous contrôlons. Nous allons vous donner un nom et une identité. Cela correspondra aux découpages territoriaux que nous allons réaliser !"

La France a peur de ses citoyens réels. Elle préfère des citoyens abstraits et interchangeables. Elle imagine que son unité passe par la mise sous tutelle des énergies locales. La meilleure manière d'assurer cette tutelle est la création de régions-Frankenstein, dont l'identité monstrueuse ne pourra jamais rivaliser avec l'identité française. Mais, comme dans le roman, les créatures insatisfaites finiront par dévaster l'identité française.

Pour l'instant, les habitants de l'Hexagone assistent, médusés, au charcutage de leur espace de vie, de leur passé et donc de leur avenir. Doivent-ils se prosterner devant ce monstre froid dont l'intelligence les dépasse, pour éviter de passer pour des imbéciles ? Doivent-ils au contraire se révolter au nom de liens humains, imperméables à la mise en équation ?

On n'autopsie que des cadavres. On ne découpe que des carcasses. La France se rêve désormais, non plus comme une fille aux seins nus qui mène les foules, surgie du tableau de Delacroix, mais comme une machine à administrer. La puissance, l'énergie et la diversité de l'humanité qui vibre dans les territoires de l'Hexagone l'effraie. A la sève qui monte des racines, elle oppose le mouvement inverse, en imposant des "intérêts supérieurs" et un roman national : Jeanne d'Arc, les droits de l'Homme et la Révolution de 1789, l'empire civilisateur, la Résistance… Autrefois, quand le pouvoir central détenait le contrôle du savoir et de l'information, cela pouvait marcher. Mais aujourd'hui, comment peut-on adhérer à ces vieilles cartes postales retouchées et colorisées ?

J'entends déjà les mots des nouveaux inquisiteurs. Ils brandissent une Constitution de papier, comme d'autres, autrefois, brandissaient un crucifix de fer.

Communautariste ! Il faut l'avouer, l'expression ne nous fait plus ni chaud ni froid. Tout le monde sait qu'un militant breton ou alsacien n'a rien à voir avec un islamiste radical. Ceux qui ont lancé ce mot, il y a 20 ans, ont créé une confusion qui fait de la France, non pas une adhésion, mais un renoncement. Aujourd'hui, on choisit les communautés auxquelles on adhère, qu'elles soient philosophiques, territoriales ou virtuelles. Ne pas adhérer à une communauté, c'est être aliéné, c'est-à-dire sans lien. C'est se limiter aux pauvres vérités officielles.

Identitaire ! Voilà la nouvelle formule de l'exorcisme républicain. Cri pathétique. La France ne fait plus rêver. Derrière l'insulte se cache une supplique : "Je vous en prie, contentez-vous de l'identité française ; sinon elle va disparaître !"

La France n'a plus les moyens d'une guerre de conquête. Alors, pour exister, elle montre du doigt, pêle-mêle, des ennemis intérieurs : les islamistes de souche, les identités incontrôlées, les nations de l'Hexagone, les langues minoritaires. A droite et à gauche, on se dispute la palme de l'alignement républicain. On fait de la surenchère sur les démarches citoyennes. On s'agenouille devant une histoire trafiquée.

Tous ces bons Français s'imaginent à la fois libre penseurs et nouveaux Croisés du Tricolore. Ils ne sont que les défenseurs d'une machine administrative.

Regardez-les parader. Mais ne les enviez pas. Leur jour de gloire se termine.

Jean Pierre LE MAT

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