Madame la députée, Monsieur le député, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,
Comme vous le savez, la Bretagne souffre actuellement d'une dichotomie entre la forte attente de régionalisation exprimée par ses habitants et la faible capacité d'intervention de la Région Bretagne. En effet, de toutes les régions de métropole la Bretagne est celle dont le budget par habitant (340 euros par an) est le plus faible. A titre de comparaison le budget moyen par habitant des régions métropolitaines (hors Corse dont le budget est nettement plus élevé) est de 400 euros par an, mais celui de Rhône-Alpes par exemple atteint 620 euros. Cette situation s explique par un potentiel fiscal par habitant parmi les plus bas de France, dû aux exemptions fiscales dont bénéficient le secteur primaire et le secteur de la défense et à la prépondérance des entreprises de moins de 10 salariés (90% des entreprises bretonnes), et par une absence de compensation par l'État puisque les dotations versées à la Région Bretagne la situent dans la moyenne des régions.
Si le budget moyen par habitant de la Région Bretagne se situait dans la moyenne des régions françaises, ce sont 200 millions d'euros supplémentaires qui seraient à sa disposition. Sur la durée du mandat qui s'achève (2004-2010) ce sont donc 1,2 milliard d'euros qui auront manqué à l'action régionale. A titre de comparaison pour la réalisation du projet Bretagne Grande Vitesse (ligne TGV entre Le Mans et Rennes et amélioration des tronçons Brest-Rennes et Quimper-Rennes) l'État a exigé des collectivités bretonnes l'apport d'un milliard d'euros dont 650 millions au compte de la Région. Cette contribution va lourdement handicaper la capacité d'investissement de la Région pendant de nombreuses années, notamment dans l'économie verte qui fera les emplois de demain.
Un renforcement des capacités d'intervention de la Région Bretagne apparaît donc plus que jamais nécessaire. A cet égard, les projets de loi relatifs à la réforme territoriale et à la réforme de la taxe professionnelle que le président Nicolas Sarkozy a présentés le 21 octobre ne laissent pas d'inquiéter.
Ce texte comporte en effet plusieurs dispositions lourdes de conséquences pour la démocratie territoriale en Bretagne. La notion même d'intérêt régional est niée à travers le projet de suppression de la « compétence générale » que le législateur a confiée aux régions il y a 25 ans. Or, sans la clause de « compétence générale » l'Université de Bretagne Sud, par exemple, n'existerait pas car la Région, comme les autres niveaux de collectivité, a dû la cofinancer pour qu'elle sorte des cartons. Constatons que c'est ce même pouvoir voulant supprimer cette clause qui a imposé à la Région en 2008 un engagement de 650 millions d'euros pour consentir lui-même à engager un milliard dans le projet « Bretagne Grande Vitesse » pourtant déclaré d'intérêt national. Alors, faut-il parler de duplicité ou d'aveuglement de la part du pouvoir central ?
La suppression de la clause de « compétence générale » additionnée à l'élection de 80 % des futurs « conseillers territoriaux » non plus à l'échelle de la Région mais dans des cantons, c'est-à-dire sur une profession de foi forcément localiste, cela signifie tout simplement la négation de la Bretagne comme territoire où peut s'exprimer l'intérêt général. C'est effectivement un retour de trente ans en arrière.
Par ailleurs, où est la simplification de la carte administrative censée justifier cette pseudo-réforme ? Bien au contraire elle crée un échelon supplémentaire à double déclinaison (bonjour la simplification!) : les « métropoles » , statut réservé aux actuelles communautés urbaines ou d'agglomération de plus de 450.000 habitants, et les « pôles métropolitains » (sorte de 2e division) qui « regroupent des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre formant un ensemble de plus de 450.000 habitants (et dont) l'un d entre eux comporte plus de 200.000 habitants » .
La loi prévoit que ces « métropoles » , qui seraient au nombre de 8 (dont Nantes), puissent s'approprier les compétences économiques des régions et des départements car « les compétences économiques sont en effet prioritaires pour la réussite des métropoles françaises dans la compétition urbaine européenne et internationale » . Ici l'idéologie qui sous-tend ce projet de loi apparaît crûment : celle d'une Europe livrée à l'ultralibéralisme par la compétition sauvage entre les aires urbaines, au mépris du souci des équilibres de développement à l'intérieur des régions. C'est toute la tradition bretonne, fondée sur un maillage urbain fait de villes petites ou moyennes, qui est mise à bas, au profit d une vision « midi-pyrénéenne » : Toulouse et le désert autour. C'est une perspective inacceptable pour la Bretagne. Notons aussi que cette métropolisation à marche forcée, en concentrant davantage les activités économiques dans les villes les plus grandes et en allongeant les navettes quotidiennes domicile-travail (car le foncier et l'immobilier seront inaccessibles en ville aux revenus faibles ou moyens), ira fatalement à l'encontre des objectifs fixés dans les lois dites du Grenelle de l'environnement que sont la lutte contre l'étalement urbain et la réduction des émissions de gaz à effet de serre générées par les transports.
Cette analyse est renforcée par la menace qui pèse sur les pays dont le ministre Hortefeux a déclaré souhaiter la « suppression immédiate » . Cette orientation est absurde au regard des évolutions sociologiques qui conduisent de plus en plus de nos concitoyens à partager leur quotidien entre la ville et la campagne. Le rurbain s'est ajouté au rural et à l'urbain ; à ce titre le pays, autrement dit la zone d'emploi ou le bassin de vie, est le seul territoire où les fonctions de la vie quotidienne peuvent s'organiser d'une façon cohérente et durable. Plutôt que le supprimer il faudrait au contraire ériger le pays au rang de collectivité territoriale, dotée d une assemblée élue au suffrage universel direct. Les pays auraient alors vocation à se substituer aux intercommunalités, dont ils constitueraient le prolongement, et aux départements dont ils pourraient reprendre les compétences sociales, la Région récupérant les compétences sur l'éducation et les infrastructures de transport. C'est ce projet alternatif dont la Bretagne a besoin.
Il n'est plus acceptable que le budget de la Région Bretagne, toujours amputée de la Loire-Atlantique, plafonne à 1 milliard d'euros quand celui de l'Écosse est de 32 milliards d'euros, ce qui permet à cette région, dotée depuis l'an 2000 d'un pouvoir législatif et réglementaire, d'investir massivement dans les énergies vertes : éolien terrestre, éolien offshore, hydrolien, énergie houlomotrice. C'est d'ailleurs une technologie irlando-américaine expérimentée en Écosse (OpenHydro) qui devrait être prochainement implantée au large de Bréhat. La Bretagne va-t-elle manquer le tournant des énergies marines dans la décennie 2010 comme l'État nucléocrate lui a fait manquer le virage de l'éolien terrestre il y a trente ans alors que la Bretagne était à la pointe de l'innovation dans ce domaine (on se souvient comment les essais à Ouessant avaient été torpillés) ? Serons-nous condamnés à installer des technologies développées à l'étranger et, de ce fait, serons-nous privés des dizaines de milliers d'emplois industriels à la clé (l'industrie éolienne emploie 30.000 salariés en Allemagne et 20.000 au Danemark) ? La menace est réelle et immédiate, faute d'un pouvoir régional doté d'une réelle capacité d'investissement.
Parce que l'avenir de la Bretagne et de la Loire-Atlantique, notamment sur le plan de l'économie maritime, ne peut s'entendre sans une réunification administrative, nous vous demandons d'agir, comme la Constitution vous le permet depuis 2003, pour que les projets gouvernementaux soient révisés de telle façon que la procédure dite de consultation populaire permette de fusionner une région administrative et un département.
Nous savons que les parlementaires bretons, au-delà du clivage droite-gauche, sont convaincus de la nécessité d'une vraie régionalisation au service d un développement durable de nos territoires. Nous comptons sur votre intervention pour que la réforme territoriale en discussion soit profondément révisée dans le sens des intérêts de la Bretagne, une Bretagne réunie et solidaire.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expression de nos sentiments très distingués.
Mona Bras; porte parole de l'Union démocratique bretonne, conseillère régionale de Bretagne
Christian Guyonvarc'h, vice-président du Conseil régional de Bretagne
Naïg Le Gars, conseillère régionale de Bretagne