Le sacrifice du 19e Régiment d'infanterie en mai 1940 mérite un peu plus de devoir de mémoire. Ce régiment va jouer un rôle critique, héroïque même, lors de la bataille de Givet les 13 et 14 mai 1940. Caserné à Brest, le 19e RI était, à ses débuts, constitué uniquement de Bretons mais ils avaient été rejoints par des Vendéens en 1940 car la Vendée faisait aussi partie de la XIe région militaire (Finistère, Morbihan, Loire-Inférieure, Vendée) alors que le département d’Ille-et-Vilaine avait été rattaché à une autre région qui comprenait les Côtes-du-Nord et la Manche. Le 19e RI, qui avait tant souffert en 14-18, avait du être reconstitué plusieurs fois tant les pertes étaient lourdes et avait été dissous à en 1920, mais reconstitué en 1939.
Le 19e RI traverse la frontière belge et arrive sur ses positions le long de la Meuse, le 10 mai. Les positions étaient au delà de la ligne Maginot, donc sans aucune protection, aucune sauf pour les canons de 155 que l'on avait installés dans l'ancien fort de Charlemont, qui, il est vrai, dominait les méandres de la Meuse de ses formidables remparts, toujours là d'ailleurs. Il n'y avait qu'une douzaine d'obus par pièce !
La Belgique, pays neutre, n'avait prévu aucune ligne de défense. De plus, la rive gauche était plus basse que la rive droite d'où allaient venir les Allemands qui seraient donc en position de les mitrailler à loisir de l'autre rive. Les troupes n'étaient pas prêtes, fatiguées même par la longue marche pour atteindre ses positions. Pas même le temps de s'enterrer, encore moins de construire des casemates. Le général Hassler, qui commandait la 22e division, était absent suite à un accident de voiture. Plus tard, il fit cette déclaration qui en dit long sur la situation, particulièrement dans la zone belge des défenses : "les hommes ne trouvent aucun abri, aucune tranchée, aucun barbelé, aucune installation de tir, aucun dépôt de munitions : rien, le néant" (Bulletin du 19e RI, 1959).
Le 19e RI occupait sept kilomètres de front entre Bac-du-Prince au nord de Givet en France et la Boucle de Waulsort en Belgique. Le 1er bataillon autour de Hastière était commandé par le commandant Kléber Argouarc'h (aussi écrit Argouac’h), le 2e bataillon du commandant Tulloup défendait l’isthme de Chooz entre Ham-sur-Meuse et le sud de Vireux-Molhain, le 3e était commandé par le commandant Kerangueven, il défendait la zone de Hermeton et du fameux Bac-du-Prince, l'enjeu de la bataille qui allait suivre. Le 19e RI était commandé par le Colonel Edouard-Marie Léon Brétillot (1895-1952) un Breton de Landerneau.
Les hommes ne trouvent aucun abri, aucune tranchée, aucun barbelé, aucune installation de tir, aucun dépôt de munitions : rien, le néant.. (Général Hassler dans le Bulletin du 19e RI, 1959).
Le 10 mai, une grande partie de l'armée allemande allait se ruer sur Sedan et les jours suivants sur Dinan au nord de Givet afin de franchir la Meuse. Le 13 mai une division d'infanterie allemande arrive sur la rive droite en face du 19e RI. Un combat inégal s’engage alors que le régiment vient juste d’arriver. Les Allemands sont d'abord repoussés alors qu'ils essayent de passer la Meuse à Chooz.
La clé du système de défense français est donc le vieux fort de Charlemont situé sur les hauteurs de Givet. Le fort accueille des pièces de 75 mm du 18e régiment d'artillerie divisionnaire et 6 batteries de 155 mm du 218e régiment d'artillerie lourde mais le nombre d'obus est limité. Le 14 mai au matin, le fort de Charlemont est bombardé par l'aviation allemande qui détruit 3 des 6 batteries de 155.
Les tirs du 19e RI bloquent pendant quelques temps la traversée de la Meuse en mitraillant les canots pneumatiques des Allemands tentant de traverser le fleuve au lieu dit Bac-du-Prince et ceci jusqu'à la fin des munitions et des combattants d'après les dires du Bulletin du régiment publié après la guerre. Le Chef de bataillon Kléber Argouarc'h a beau demander de l'aide par radio au fort de Charlemont, il ne reçoit aucune réponse. Et pour cause ! Il n'y a plus personne au poste. Entendant les Allemands approcher, la garnison a fait sauter les trois derniers canons de 155. De toutes façons il n'y avait plus d'obus à tirer.
Peu de temps après, les Allemands s'emparent du fort. La garnison est faite prisonnière. Le livre de Jean-Yves Mary (1) a une photo faite par un soldat allemand montrant les artilleurs français sortant du fort Charlemont les mains en l'air.
Le 14 mai, le 19e R.I sera submergé et anéanti. Seulement 300 survivants échapperont vers Philippeville. Le drapeau sera brûlé quelques jours plus tard pour qu'il ne tombe pas aux mains de l'ennemi.
Bombardés par l'artillerie allemande, par les stukas, et pris à revers par les unités ennemies qui avaient traversé la Meuse à Sedan ou à Dinant, les Bretons et Vendéens du 19e RI se sont battus jusqu'au dernier. Environ 1200 soldats et officiers de ce régiment seront ce jour là tués, blessés ou faits prisonniers. Le Chef de bataillon Kérangueven qui commandait le 3e bataillon sera tué, comme l'adjudant-chef Plougerne, le sous-lieutenant Tremel et tant d'autres. Le capitaine Queignec du 62° RI déclara "préférer mourir que de reculer". Il fut tué effectivement ce jour là aussi à Givet. Un des rares survivants, blessé et capturé quelques jours plus tard, fut le Chef de bataillon Kléber Argouarc'h (1896-1946), grand-père de l'auteur de cet article.
Le général Hassler dira d'eux "la glorieuse attitude de nos hommes est inscrite sur le terrain par leur tombes" et "Ils luttèrent sans esprit de recul [...] Ce sont des Bretons et des Vendéens, et si leurs aînés ont fait leurs preuves en 14-18, les jeunes de 1940 ne leur ont pas été inférieurs, en particulier devant Bac-au-Prince où la lutte prit des proportions inouïes " (dans les Cahiers du 19RI, 1959).
"SEDAN 1940" de Claude Gounelle. Presse de la Cité.
(1) Jean-Yves Mary, "Le corridor des Panzers", t. I, Bayeux, Heimdal, 2009.
Les cahiers du 19e RI année 1959 (édités par l'amicale du 19eRI).
Les quatre frères Argouarc'h (archives familiales de l'auteur).
modifié le 17 mars 2018
Philippe Argouarch
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