Imaginerait-on en Corse un Propriano ou Porto-Vecchio devenant « Beaussais-sur-Mer » ? Pourtant, c’est ce qui vient de se passer en Bretagne. Voici que Ploubalay, Trégon et Plessix-Balisson ont choisi un nouveau nom : Beaussais-sur-Mer. Soudainement, sans avoir consulté les populations par scrutin, après confrontation normale des idées et opinions, des élus ont décidé qu’il fallait un nouveau nom. Ils se sont alors mis d’accord entre eux pour nommer un territoire « Beaussais-sur-Mer ». Des panneaux fleurissent pour fêter l’événement. Ils annoncent soudainement aux habitants de Trégon, de Ploubalay et de Plessix-Balisson qu’ils ont déménagé… !
Certains jugeront cet événement sans intérêt. Peut-être. Mais quand on appelle Marcel quelqu’un appelé depuis toujours Victor, il n’est généralement pas content. Ici, ce sont les élus qui ont décidé de choisir une appellation pour leurs habitants. Leurs ambitions étaient certainement d’être tendance, de bien faire, de faire moderne. On constate toutefois que deux éléments au moins posent question.
Tout d’abord, si le mot Beaussais existe, on constate qu’il est tout sauf neutre et plutôt « de la haute ».
Initialement, il correspond à un château construit en 1842 par Victor Le Boüetoux de Bregerac. Un peu comme Versailles a donné son nom à une ville, on a donc choisi de qualifier tout un territoire du nom d’un château. Certains contesteront en disant qu’il existe aussi une baie de Beaussais mais, avant qu’elle ne soit précisément accaparée par les châtelains, elle s’appelait « baie de Saint-Jégu » (jusqu’au XVIIe siècle) puis la baie du Drouet (XVIIIe siècle). Les élus ont donc jugé pertinent de dire aux gens occupant des maisons à Trégon, Plessix-Balisson ou Ploubalay qu’ils étaient devenus des châtelains. Pourquoi pas. Le lieu-dit Beaussais reste un « château » de style malouinière qui est désormais une demeure « étoilée » de luxe. Puisque les élus ont décidé que tous les habitants habitaient « Beaussais », on leur propose immédiatement d’ouvrir gratuitement les portes du château et de la résidence à la population. Personne ne sera contre. On dit généralement que les Bretons ne sont pas frimeurs. On a fait ici le choix d’un nom prétentieux et ronflant qui fait fi des territoires classiquement occupés par les habitants.
On remarquera ensuite la puissance communicante du slogan « c’est beau, c’est Beaussais, c’est Beaussais-sur-Mer ». Peut-on faire plus ringard ? Les premières extensions « sur mer » datent des années 1920 et la commune se croit moderne en ayant un siècle de retard. Depuis une trentaine d’années, tous les scientifiques constatent que les communes ayant abattu une carte touristique unique sont concernées par les mêmes problèmes, voire les mêmes pathologies : économie exclusive de la villégiature favorisant l’exclusion foncière, la hausse des taxes liée à la nécessité pour les résidents permanents de payer les équipements temporaires liés au pic de la fréquentation estivale (parking servant deux mois par an, station d’épuration…), l’endettement des communes, la baisse de la population résidentielle, le vieillissement irréversible, l’exclusion des jeunes, la ségrégation sociale, la mono-activité touristique fonctionnant deux mois sur douze et tuant les activités pérennes.
Les îles bretonnes ayant fait ce choix ont perdu jusqu’à dix fois leur population et se mordent les doigts d’avoir mené cette politique, tentent avec l’énergie du désespoir de faire marche arrière pour renouer avec une économie productive, favoriser un développement durable, la mixité sociale. Elles se battent pour renouer avec un développement maîtrisé, font tout pour vivre douze mois sur douze et non être occupées temporairement par quelques nantis. Le secteur de Trégon, Plessix-Balisson, Ploubalay… évitait précisément les problèmes liés à la gentrification de Saint-Jacut de « la mer », de Briac sur « Mer », etc. Il ne faisait précisément pas comme les autres, gardait une identité bretonne permettant aux Bretons et à d’autres de vivre et travailler au pays.
« Beaussais-sur-Mer » se croit moderne. Ses promoteurs ont un siècle de retard. Ils sont tout heureux de leur trouvaille au moment où ils promeuvent ce qu’il ne faut pas faire.
L’heure est aujourd’hui au développement qui prend précisément en compte l’originalité du territoire, qui se base sur une économie productive maîtrisée, qui valorise son identité pour mieux s’affirmer. Qui est tout sauf hors-sol. Une poignée d’élus décide avec un siècle de retard de faire tout l’inverse. Qu’en disent les habitants ?
Le Comité de rédaction de Construire la Bretagne